Assises des finances publiques : la chasse aux économies est ouverte

Le gouvernement a indiqué ce 19 juin dans le cadre des Assises des finances publiques avoir identifié "au moins 10 milliards d'euros" de possibles économies budgétaires dès 2024 pour enclencher le "désendettement" du pays. Les champs du logement et de l'emploi sont notamment visés. Chaque ministère devra identifier "5% de marges de manœuvre". Les revues des dépenses publiques seront réalisées chaque année. Élisabeth Borne entend mieux associer les collectivités et leur garantir un "cadre financier pluriannuel". Bruno Le Maire leur propose pour sa part "un système d'auto-assurance" de leurs recettes.

"Nous sortons de temps exceptionnels, nous devons revenir à la normale", a d'emblée déclaré le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, en ouvrant ce lundi 19 juin à Bercy les Assises des finances publiques. La Première ministre, Élisabeth Borne, qui concluait l'événement quelques heures plus tard, a elle aussi évoqué la nécessité de sortir du "quoi qu'il en coûte" et d'"une politique de protection puis de relance massive" à l'œuvre depuis 2020. "Ne transformons pas une exception en habitude", a insisté Bruno Le Maire. Le nouveau mot d'ordre : "accélérer le désendettement de la France", "consolider nos finances publiques pour assurer la soutenabilité de notre dette". Élisabeth Borne y voir un "impératif de souveraineté", un "impératif économique" et un "impératif moral". Une "condition indispensable", aussi, pour "préparer l'avenir" en matière de transition écologique, de "révolution technologique" et de "transition démographique" dans la mesure où ces enjeux "nécessiteront des investissements majeurs" qui "ne pourront pas être entièrement financés par de la dette".

La cheffe du gouvernement a mis en avant quatre "piliers" pour ce mouvement de désendettement : le "renforcement du potentiel de croissance" (création d'emplois, réindustrialisation…), les "réformes de structures" (assurance chômage, retraites, lycée professionnel, France Travail…), la "lutte contre l'érosion des assiettes taxables" et contre les fraudes fiscale et sociale, "l'efficacité des politiques publiques".

Afin d'échapper à toute "procrastination administrative", le gouvernement aurait "anticipé" les choses "dès septembre 2022" pour "un résultat en septembre 2023" dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Ceci grâce aux revues des dépenses publiques qui "deviendront la règle chaque année". Ces revues "doivent nous permettre de trouver des économies dans les 'strates profondes de la dépense', accumulées au fil du temps sans que l’on s’interroge suffisamment sur leur pertinence et leur portée", a expliqué Élisabeth Borne. Bruno Le Maire avait exposé les choses de façon plus tranchée : "Chaque année nous passerons au crible, avec tous les acteurs concernés, une vingtaine de dépenses publiques, pour mesurer leur efficacité. Les dépenses inutiles (…), nous proposerons de les supprimer progressivement." En précisant que "toutes les dépenses de la sphère publique" seront concernées, donc non seulement celles de l'État mais aussi les dépenses sociales… et celles des collectivités. Selon le ministre de l'Économie, les coupes qui avaient été faites en 2017 (emplois aidés, CCI, suppressions de postes à la DGFIP…) auraient été "la preuve qu'on peut réduire des emplois publics, réduire les dépenses et améliorer le service rendu".

Certaines décisions ont déjà été prises pour 2023 : la fin du bouclier énergétique, la fin des "chèques exceptionnels" et l'annulation "d'une partie des crédits budgétaires mis en réserve" pour cette année. Mais le grand pas sera pour 2024. Élisabeth Borne a indiqué avoir adressé une "lettre de cadrage" à tous les ministres, "afin de demander à chacun d’identifier 5% de marges de manœuvre sur leurs budgets, hors masse salariale". Bruno Le Maire, lui, semble avoir en partie devancé les retours de ses collègues puisqu'il a déjà "identifié au moins 10 milliards d'économies". Et une source à Bercy d'indiquer qu'"il y en aura d'autres" qui totaliseront en réalité "sans doute davantage" que 12 milliards d'euros.

Ces milliards d'économies, Bruno Le Maire les situe en priorité sur trois axes. Tout d'abord, "la responsabilisation des acteurs en matière de soins". Il a cité à ce titre les arrêts maladie, qui auraient augmenté de 30% en dix ans ("l'absentéisme ne peut être une fatalité", a-t-il dit), et les "frais de santé" ("il faut définir une meilleure répartition des charges" et "arrêter les dépenses de confort", "en particulier les dépenses de médicaments").

Deuxième axe : "trois politiques publiques" que sont le logement, le travail et les opérateurs de l'Etat. En matière de logement, il a simplement repris les annonces issues du CNR Logement concernant la fin du Pinel et le recentrage du PTZ (voir notre article). S'agissant du "travail", le contexte ne surprendra guère : "Des entreprises qui n'ont jamais eu autant de mal à recruter… et on garderait le même niveau de dépenses pour l'emploi ? Ça n'a pas de sens !" Et le ministre d'estimer par conséquent "légitime de réduire le coût des aides à l'emploi", citant l'apprentissage et le compte personnel de formation (instauration d'un "ticket modérateur"). Enfin, pour les opérateurs de l'État, l'idée est de "limiter leur trésorerie" et de "rouvrir la question des taxes affectées dont ils bénéficient".

Troisième axe : "le verdissement de la fiscalité". Ou comment cesser d'"accorder des avantages fiscaux sur les énergies fossiles" et donc sur les carburants. Ce qui touchera notamment, à terme, les "tarifs réduits" pour les transports routiers et le gazole non-routier, "progressivement, sur quatre ans".

Au-delà des exemples fournis par son ministre de l'Économie, Élisabeth Borne a insisté sur la méthode, sur la nécessité de "construire ensemble une nouvelle gouvernance de nos finances publiques" en retrouvant "l'esprit de la Lolf". Pour la "construction de notre budget", les "dialogues de Bercy" mis en place par Gabriel Attal en amont de la précédente loi de finances seront réitérés cette année et étendus au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Elle entend "associer davantage les élus locaux aux décisions qui les concernent, en leur donnant plus de lisibilité sur la durée de leur mandat, avec un cadre financier pluriannuel". Ces mêmes élus, a-t-elle insisté, devront être "associés, de manière systématique et formalisée, à toutes les décisions budgétaires qui ont un impact sur eux", afin de ne pas "être considérés comme de simples exécutants". Avec, au passage, un mea culpa : "Reconnaissons-le, concernant la hausse du point d’indice annoncée la semaine dernière, nous n’avions pas suffisamment associé les collectivités territoriales en amont. Nous devons veiller à ce que cela ne se reproduise pas" (de quoi répondre aux bruyantes réactions des représentants des employeurs publics locaux - voir notre article).

Bruno Le Maire, saluant au passage la "bonne gestion" des collectivités, qui ont "dégagé pour la plupart des excédents", compte lui aussi "ouvrir la voie à une nouvelle méthode pour les quatre prochaines années" avec ces collectivités, "un nouveau partenariat, d'égal à égal", afin d'"arrêter les irritations, les querelles" et les "renvois de balles". Il a mis sur la table une proposition qui avait été évoquée lors de la dernière réunion préparatoire avec les associations d'élus (voir notre article) : "un système d'auto-assurance des recettes des collectivités". Il s'agirait, "lorsqu'elles vont bien, qu'elles font des excédents, qu'on leur permette de se constituer des réserves financières pour faire face en cas de coup dur", a-t-il simplement expliqué, sans plus de précisions quant au mécanisme envisagé, notamment sur son caractère facultatif ou obligatoire, individuel ou collectif. En sachant que cette idée a été plusieurs fois formulée par la Cour des comptes, notamment dans son rapport d'octobre 2022 (voir pages 122 et 123 : les deux possibilités sont évoquées, le modèle individuel et le modèle "collectif", ce dernier prenant exemple sur ce qu'ont mis en place les départements en matière de péréquation horizontale sur les DMTO).

Autre proposition dont on a déjà pu entendre parler : la mise en place d'un "Haut Conseil des finances publiques locales". Celui-ci, a veillé à préciser Bruno Le Maire, n'aura pas vocation "à se substituer au Comité des finances locales présidé par André Laignel" et sera surtout conçu comme un "instrument de pilotage et d'anticipation".

Plusieurs associations d'élus locaux ont rapidement fait part de leurs réactions à l'issue de ces Assises des finances publiques. En sachant que certaines d'entre elles avaient choisi de ne pas participer à la réunion. Dont l'Association des maires de France (AMF). Celle-ci a relevé dans les propos de Bruno Le Maire le fait que "les comptes locaux ne sont pas un problème pour la nation". Et note qu'il n'a pas été question de "contraintes supplémentaires" sur les dépenses des collectivités. Elle se montre en revanche plus que sceptique quant à l'idée d'auto-assurance qui "pourrait être synonyme, si elle n’était pas volontaire, d’écrêtement imposé des recettes" et donc d'"atteinte nouvelle et grave à la libre administration des budgets locaux". Quant à un éventuel haut conseil, l'AMF n'en voit toujours pas l'utilité.

L'association France urbaine, tout en disant partager "la nécessité de maîtriser la dépense publique", insiste pour sa part notamment sur le fait que "la capacité d’autofinancement des collectivités ne doit en aucun cas suppléer aux déséquilibres du budget de l’État mais être au service de l’accélération des financements locaux concourant à la transition écologique". Et appelle à "un nouveau modèle de financement qui permette aux exécutifs locaux de bénéficier de recettes territorialisées résultant de leurs propres actions, plutôt que de compensations et subventions de l’État dont l’évolution est déconnectée de leurs compétences et de leurs initiatives".

L’Association des petites villes de France (APVF), qui était représentée à Bercy par son vice-président, Romain Colas, souligne que la participation des collectivités au redressement des comptes publics implique que "l’effort soit proportionné à leur poids dans la dette publique, établi sur la base d’un constat partagé ainsi que des objectifs librement consentis". Or pour l'heure, les maires de petites villes constatent une "absence de diagnostic partagé".

  • Revues des dépenses : la façon d'y associer les collectivités fait débat

Comment les collectivités participeront-elles aux économies espérées par le gouvernement pour réduire le déficit et la dette publics ? Bercy semble ne pas avoir totalement écrit le scénario à l'avance et la majorité a interpellé les élus locaux sur le sujet, à l'occasion des Assises des finances publiques, qui se sont tenues ce 19 juin.

État et collectivités, "nous sommes dans le même bateau", a lancé Jean-René Cazeneuve, rapporteur général du Budget (Renaissance) à l'Assemblée nationale, lors d'une table-ronde consacrée aux "revues des dépenses". "Vous ne voulez pas qu'on vous donne ni de leçons ni de contraintes. (…) Dites-nous comment vous faites et allons-y ensemble !", a lâché le député du Gers. Qui, déclarant "faire confiance" aux collectivités, a dit être partisan de leur "responsabilisation".

Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a répondu que les associations d'élus locaux alliées sous la bannière de Territoires unis (Association des maires de France, Départements de France et Régions de France) avaient proposé, à l'été 2020, de nouveaux transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales. "C'est posé sur la table", a indiqué cet élu proche de la majorité présidentielle - qui n'était pas mandaté par Régions de France, puisque l'association avait décidé de boycotter les Assises. Il s'est montré toutefois désabusé sur le sujet, disant ne pas croire à une concrétisation de ce projet de décentralisation sous le mandat de l'actuel président de la République.

Renaud Muselier s'est par ailleurs montré plutôt favorable à la proposition de Bruno Le Maire de créer un mécanisme visant à permettre aux collectivités de mettre en réserve des recettes, lorsque la conjoncture est favorable : "On le prend volontiers." Comme nombre de ses collègues ces derniers jours, le président de région a, en revanche, très sévèrement critiqué la décision prise "sans aucune concertation" par le gouvernement, d'augmenter, au 1er juillet, la rémunération des agents publics. "Nous ne souhaitons pas être le tiroir-caisse de l'État", a-t-il dit.

"On est sur un chemin de crête", a estimé Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales. Si le secteur public est responsable de "20%" de la dépense publique totale, il est aussi à l'origine de "70%" de l'investissement public. Or, le gouvernement "a envie que nos collectivités investissent", a-t-elle souligné. Pour cela, les collectivités devront "continuer à dégager de l'autofinancement". La ministre a par ailleurs pointé les "injonctions paradoxales", auxquelles sont confrontées les collectivités, notamment dans le contexte des transitions écologique et énergétique. Ces dernières sont, en effet, appelées à faire des économies et, en même temps, à recruter des agents compétents pour exercer les compétences confiées par exemple par la loi Climat de 2021, et donc à accroître leur masse salariale.

Les revues de dépenses publiques "sont des processus qui permettent de réaliser des économies, soit pour réduire le total des dépenses publiques, soit pour redéployer" ces dernières, a précisé François Ecalle, conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes. Le créateur de Fipeco, site d'information sur les finances publiques, a rappelé que leur histoire en France est déjà longue, les dernières années étant marquées par une succession de démarches, aux minces résultats, selon lui ("Révision générale des politiques publiques" engagée en 2007, "Modernisation de l’action publique" lancée en 2012 et "Action publique 2022" initiée en 2017). "La meilleure des économies, c'est d'abord de ne pas engager de dépenses nouvelles", a estimé l'expert. "Ce n'est pas systématiquement quand on met plus d'argent, ou systématiquement quand on met plus de fonctionnaires qu'on obtient les meilleurs résultats", a pour sa part jugé le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale.

Sur les 38 pays que compte l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 33 mènent des revues de dépenses régulières, a précisé Elsa Pilichowski, directrice de la gouvernance publique au sein de cette structure. Selon elle, la France n'est pas la moins bien placée pour faire aboutir ces démarches. En effet, les Français seraient, en moyenne, plus nombreux à adhérer à l'idée de réduire la dette que les habitants des autres pays de l'OCDE. La question qui se pose à la France est celle des "priorités de dépenses", a-t-elle jugé.

"La méthode est fondamentale, a par ailleurs déclaré l'experte. On doit impliquer le Parlement et les collectivités territoriales. Il n'y a pas de succès sans une forme de cocréation", a-t-elle dit, insistant également sur l'importance de "l'implication des citoyens". Une population auprès de laquelle il convient de faire de la pédagogie sur le sujet de la dette publique, a estimé Éric Krezel, maire de Ceffonds (Haute-Marne) et vice-président de l'Association des maires ruraux de France, qui prenait la parole dans la salle. Les maires, en particulier ceux des petites communes, peuvent être "des relais" efficaces dans ce but, selon lui.

Thomas Beurey / Projets publics pour Localtis

 

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