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Transports - Financement de la mobilité : comment sortir de l'impasse ?

L'association TDIE (Transport Développement Intermodalité Environnement) a organisé le 25 octobre un colloque à l'Assemblée nationale sur le financement de la mobilité. Face à des ressources en baisse, le secteur des transports va devoir faire des choix. L'époque des grands projets paraît révolue et la priorité aller vers l'optimisation et la modernisation des réseaux existants.

C'est à un véritable exercice de haute voltige que va devoir se livrer la commission "Mobilité 21" chargée de remettre à plat le Schéma national des infrastructures de transport (Snit). Une semaine après son lancement, TDIE, association que copréside le député Philippe Duron, nommé à la tête de la commission, a organisé le 25 octobre un colloque à l'Assemblée nationale intitulé "Financer la mobilité : l'heure des choix" qui a utilement posé les termes de l'équation. En présence de près de 300 personnes, le sujet a été débattu au cours de plusieurs tables rondes par des experts, chercheurs, élus et décideurs du monde des transports.
Si le "droit à la mobilité" doit être constamment réaffirmé, comment peut-il se décliner dans un contexte de crise et de transformations profondes de la société ? "Ce qui génère la richesse et la qualité de vie, c'est l'accès à différents services et les transports sont un service permettant cet accès, a rappelé José Manuel Viegas, secrétaire général du Forum International des transports (OCDE). On peut considérer qu'il y a des mobilités évitables. Quand on vit sur un territoire dense et diversifié, on a moins de raisons de se déplacer par des moyens mécaniques. Les choix d'aménagement du territoire sont donc essentiels pour éviter ces 'négakilomètres' comme il existe des 'négawatts' en matière d'énergie". L'apport des nouvelles technologies (visioconférence, télétravail…) et l'essor de services tels que l'autopartage, les taxis partagés, contribuent aussi à changer la donne. Toute la difficulté est d'appréhender correctement ces évolutions dans le temps. "La période actuelle est trompeuse, estime Michel Savy, professeur à Paris Est et président du conseil scientifique de TDIE. La crise économique ralentit la croissance, voire entraîne un déclin de certaines mobilités et les besoins de capacités nouvelles apparaissent moins pressants. Pour autant, peut-on se contenter de garder les choses en l'état ? Les besoins changent, les contraintes aussi et il faut redéfinir les objectifs. Une vision à long terme est ainsi nécessaire pour orienter les bonnes décisions."

"Des produits à cycle long"

"Il ne faut pas oublier que les infrastructures de transport sont des produits à cycle long – l'horizon est de 15 ans entre la prise de décision et la mise en service, a appuyé Jean-Pierre Duport, préfet de région honoraire, ancien délégué à l'aménagement du territoire et ancien président de Réseau ferré de France (RFF). Lorsque l'on finance des infrastructures qui vont durer de 50 à 100 ans, il ne faut pas non plus avoir honte de s'endetter." Une vision à rebrousse-poil des contempteurs de la dette. Nicolas Baverez, avocat et essayiste, qui a présidé la commission consacrée à l'économie du système ferroviaire dans le cadre des Assises du ferroviaire, a pointé une double impasse financière. "Le financement des infrastructures nouvelles et l'entretien des réseaux existants, qui ont largement fait appel à l'endettement public, ne sont plus assurés du fait de la crise des dettes souveraines et des tensions croissantes qui pèsent sur les finances publiques françaises." Il a rappelé l'incapacité à financer le Snit, qui prévoyait un volume d'investissement de 260 milliards d'euros sur 25 ans. Mais selon lui, le fonctionnement du système ferroviaire accuse aussi des déficits récurrents "insoutenables" : 1,5 milliard d'euros de "dérive annuelle" après 13 milliards d'euros de concours publics. Pour l'ensemble du système de transport, il atteindrait 85 milliards d'euros à l'horizon 2030.

Des trains appelés à rouler plus

Il existe pourtant des leviers d'action permettant de regagner des marges de manoeuvre. Pierre Mongin, président de la RATP, a vanté le contrat conclu avec le Syndicat des transports Ile-de-France (Stif) qui prévoit 6,5 milliards d'euros sur 4 ans pour moderniser les infrastructures et le matériel roulant. 580 millions d'euros ont déjà été investis. La RATP a réussi à stabiliser le niveau de sa dette et s'est engagée à investir l'intégralité de sa capacité d'investissement prévisionnelle (430 millions d'euros au 30 juin 2012) dans le financement de l'amélioration des transports quotidiens en Ile-de-France.
La SNCF, elle aussi, estime pouvoir gagner en productivité. "Selon une récente étude du Boston Consulting Group, le système ferroviaire français fonctionne avec des contributions publiques rapportées au nombre d'habitants deux fois et demie inférieures à celle du système suisse et et 40% plus faibles que celles du système allemand, a avancé Sophie Boissard, directrice générale déléguée stratégie et développement du groupe SNCF. Pour améliorer notre performance, nous devons maintenant jouer sur deux leviers. Travailler sur l'ensemble de nos processus de production pour gagner par exemple en disponibilité du matériel roulant et ainsi faire passer plus de trains.  Aujourd'hui, une rame de TGV coûte 25 millions d'euros et ne roule que 7 heures par jour. Notre idée est de faire des TGV éco qui circuleraient 13 heures par jour, des TGV 'essuie-glaces', Ce qui permettrait de faire 13% de gains sur les coûts d'exploitation des TGV", a-t-elle précisé. En termes de gouvernance, Sophie Boissard s'est une nouvelle fois prononcée en faveur d'une gestion unifiée du réseau. "Il nous faut aussi aller plus loin dans la contractualisation avec les autorités organisatrices, notamment les régions, pour construire des schémas de mobilité optimisés", a-t-elle ajouté.

Moderniser l'existant

Un consensus se dessine chez les décideurs autour de la priorité à donner à la modernisation de l'existant et à une stricte hiérarchisation des projets à réaliser. D'autant que les coûts des nouveaux projets ferroviaires ont fortement grimpé ces dernières années. "En trente ans, le coût d'une ligne à grande vitesse a été multiplié par quatre pour atteindre aujourd'hui 20 millions d'euros au kilomètre", a illustré Alain Quinet, directeur général délégué de Réseau ferré de France (RFF). Une hausse qui tient selon lui essentiellement à trois éléments. "Les premières lignes comme Paris-Lyon ont été réalisées en plaine, avec peu de franchissements. Depuis, les coûts de génie civil ont quadruplé. Les coûts du foncier ont aussi été multipliés par dix car la part des espaces urbains est plus importante dans les projets actuels. Enfin, les exigences des normes environnementales sur les nouvelles lignes en construction représentent de l'ordre de 5% du coût des projets." Pour la révision du Snit, deux pistes sont à privilégier, a estimé Alain Quinet : moderniser le réseau pour améliorer sa performance -ce qui ne passe pas seulement par les rails mais aussi par les systèmes de signalisation, les télécommunications, etc. - et l'amélioration du débit, en facilitant par exemple le circulation à double sens et en veillant à une meilleure régularité et fiabilité du système ferroviaire en zone dense.

Quatre sources de financement

Sur le plan des ressources, la crise de la dette publique et la difficulté d'accéder aux financements bancaires pour des projets de long terme obligent à faire preuve d'imagination. En attendant de pouvoir attirer vers les infrastructures d'autres acteurs disposant aujourd'hui de ressources considérables (fonds souverains, fonds de retraite, compagnies d'assurance vie) et de développer le recours au financement obligataire, sans négliger les fonds européens, d'autres recettes peuvent être trouvées. Pour Claude Gressier, président de section honoraire au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), il n'existe réellement que "quatre sources de financement : le client et le contribuable d'aujourd'hui et le client et le contribuable de demain". Si ces derniers sont privilégiés, on peut faire appel au privé via des concessions ou des PPP. Mais aujourd'hui, "pour que les collectivités publiques puissent continuer à investir dans les transports du quotidien, il faut freiner la dérive des coûts publics d'exploitation", a-t-il insisté. Selon un scénario tendanciel, ce coût pourrait augmenter de 60 à 70% dans dix ans. Si l'on part du principe que la hausse du versement transport n'est pas la voie idéale au moment où l'on veut alléger les charges pesant sur les salaires, la piste inéluctable selon Claude Gressier est d'augmenter la contribution des usagers. "Les clients ne paient aujourd'hui que 20 à 30% du coût de leur transport. Pour stabiliser la dépense publique, il faudrait augmenter de 25% la recette par voyage. Bien sûr, pour les plus démunis, il faudrait que cela s'accompagne d'une carte solidarité transport incluant un volet énergie." Claude Gressier a aussi cité d'autres sources possibles de financement qui inciteraient de surcroît au report modal : péages urbains, taxe sur les voitures particulières sur le modèle de la taxe poids lourds ou encore taxe carbone. "Au prix de 32 euros la tonne de carbone émise dans l'atmosphère, cela entraînerait un renchérissement du litre de carburant de huit centimes d'euros et rapporterait 4 milliards d'euros, a-t-il calculé. Ce serait une bonne mesure à condition de l'affecter entièrement aux transports publics et aux transports ferroviaires."