Fin des hydrocarbures : l'Assemblée reprend la main sur le texte en nouvelle lecture
Après l’échec de la commission mixte paritaire, le projet de loi programmant l’arrêt de la production de pétrole et de gaz en France en 2040 est revenu dans le camp de l’Assemblée nationale. Sans surprise, cette nouvelle lecture a conduit principalement à refermer les nombreuses brèches ouvertes par le Sénat. L'un des volets du texte a toutefois donné lieu à un travail de coconstruction entre les deux chambres.
Examinant en nouvelle lecture le projet de loi visant la fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures en France d'ici 2040, les députés ont rétabli en séance, le 1er décembre, leur version du texte. Après l'échec de la commission mixte paritaire à trouver un compromis entre "deux visions largement différentes", la commission du développement durable avait déjà opéré en ce sens en revenant, dans la très grande majorité des articles, sur la logique à l’oeuvre au Sénat (lire notre article ci-dessous).
Certaines modifications introduites par la majorité sénatoriale de droite semblaient en effet, selon le ministre d’Etat Nicolas Hulot, "brouiller les pistes", "dénaturer le texte en y introduisant des doutes qui compromettent l’irréversibilité que le gouvernement cherche à imprimer à la lutte contre le changement climatique". Force est de constater que le Sénat a voté un certain nombre d’exceptions au principe d’interdiction de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures pour "le vider de sa portée concrète", a également martelé le rapporteur LREM, Jean-Charles Colas Roy, citant par exemple "la dérogation pour les hydrocarbures non-énergétiques - contresens majeur (...) sur ce que doit être l’évolution de notre modèle industriel pour les prochaines décennies - ; la dérogation en cas de valorisation pour des usages connexes ; la dérogation pour accepter les demandes de permis déposées avant le 6 juillet 2017, avec pour conséquence de doubler le nombre de permis en cours de validité ; la dérogation pour les outre-mer, au moment même où tous nos territoires devraient se tourner vers les énergies d’avenir plutôt que vers les énergies fossiles".
Bataille sémantique
Pour ce nouveau passage dans l’hémicycle, les députés ne sont revenus qu’à la marge sur le texte déjà largement réécrit en commission pour restreindre le champ des dérogations. Un amendement technique du rapporteur complète la rédaction de l’interdiction des techniques non conventionnelles, introduite par la loi de 2011. Un autre assure la coordination entre le dispositif de sanctions prévu par la loi Jacob et le nouveau dispositif de sanction tel que modifié par l’article 3 du projet de loi.
Cette bataille sémantique autour de l’interdiction de la fracturation hydraulique a fait réagir les Amis de la Terre France, le Collectif du Pays fertois "Non au pétrole de schiste" (77), 350.org et Attac France, qui considèrent cette définition "vide de sens". Au regard des "failles" du texte , le groupe LFI s’est abstenu, le député Loïc Prudhomme regrettant notamment que la dérogation accordée au bassin de Lacq soit préservée. Le député de Gironde a tenté, en vain, de faire supprimer la dérogation permettant la poursuite de la production au-delà de 2040 si l'industriel titulaire d'un permis n'est pas rentré dans ses frais par rapport aux recherches préalables. Mais Nicolas Hulot a défendu cette dérogation au nom de la "sécurité juridique" : "Je suis bien obligé d’avoir une boussole juridique. Je suis le Conseil d’Etat, qui a recommandé la progressivité de la mise en place de l’interdiction d’activités d’hydrocarbures pour garantir la constitutionnalité du projet de loi."
Volet énergie
Sur l’autre volet très technique du projet de loi consacré à l’énergie, députés et sénateurs ont livré un important travail de coconstruction. Il n’est pas question de faire "table rase" du travail sénatorial, a souligné Jean-Charles Colas Roy, estimant que plusieurs dispositions devaient "impérativement être conservées".
C’est notamment le cas pour le nouvel article 6 ter permettant aux communes et à leurs groupements d’accompagner le déploiement des points de ravitaillement des véhicules en gaz ou en hydrogène ou encore pour le nouvel article 11 "qui constitue un aménagement bienvenu du dispositif des certificats d’économie d’énergie", a t-il relevé.
La rapporteure de la commission des affaires économiques, Célia de Lavergne - saisie au fond sur les articles 4 à 5 ter - a pareillement souligné un certain nombre d’enrichissements fruits du travail parlementaire. A l’article 4 relatif au stockage du gaz, le Sénat a ainsi intégré le contenu du projet d’ordonnance qui faisait l’objet de concertations depuis l’été entre les différents acteurs. En séance, la rapporteure a défendu un amendement permettant aux tarifs de transport de gaz de couvrir une partie des coûts de raccordement des producteurs de biogaz aux réseaux de transport. Le niveau de prise en charge, arrêté par l’autorité administrative, ne pourra excéder "40% du coût du raccordement". Pour rappel, cette "réfaction tarifaire" est pour l’instant uniquement réservée aux producteurs de biogaz raccordés aux réseaux de distribution de gaz naturel desservant plus de 100.000 consommateurs.
L’article 5 bis "est désormais bien équilibré et devrait contribuer à accélérer la réalisation des projets d’énergie renouvelable en mer", s’est également félicitée la rapporteure. Quant à l’article 5 ter A, il "sécurise juridiquement un nouveau schéma de distribution de l’électricité qui s’est développé dans certains immeubles". Les modalités de mise en œuvre de ces réseaux intérieurs qui peuvent être installés dans les immeubles "à usage principal de bureaux" seront fixées par décret, au terme d’un autre amendement adopté en séance.
Après un dernier passage au Sénat, le texte sera définitivement adopté par l'Assemblée, qui aura le dernier mot, le 19 décembre.