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Fin de l'or noir : quel impact sur les collectivités productrices ?

La fin de l'exploitation et de la recherche de gisements de pétrole et de gaz en 2040, contenue dans le projet de loi Hulot, aura des conséquences importantes pour les collectivités productrices, essentiellement concentrées dans le bassin parisien et l'Aquitaine. Au-delà des emplois et des retombées économiques, les collectivités (département et communes) perçoivent, en redevance, une manne d'environ 20 millions d'euros. Pour elles, "l'après-pétrole" passera par les futurs contrats de transition écologique dont les contours devront être précisés lors de la prochaine Conférence nationale des territoires, le 14 décembre.

Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, la fin de la recherche et de l'exploitation de gisements d'hydrocarbures en France se veut avant tout symbolique. Elle ne touche en effet qu'une très faible part de la consommation : la France ne produit qu'1% du pétrole qu'elle consomme. Soit une production de 0,8 million de tonnes de pétrole, auxquels s'ajoutent 0,16 milliard de m3 de gaz en 2015 pour un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de millions d'euros et environ 150 millions d'euros de retombées fiscales annuelles. Derrière, ce sont aussi quelque 1.500 emplois directs et près de 4.000 indirects. Mais le projet de loi Hulot  qui vise à mettre fin à l'exploitation d'ici à 2040 est un geste fort pour le plan en faveur du climat, adopté par le gouvernement lors du conseil des ministres du 6 juillet 2017. Celui-ci comporte un volet consacré à la réduction de la dépendance de l'économie française aux énergies fossiles. L'objectif est de ce plan d'atteindre une situation de "neutralité-carbone" à l'horizon 2050. Préparer "l'après-pétrole".

64 concessions et des recherches en outre-mer

Mais qu'adviendra-t-il des sites de production qui dépendent aujourd'hui beaucoup de cette manne ? On compte 64 concessions en France, principalement concentrées en région parisienne et dans le bassin aquitain, et dans une moindre mesure en Alsace. Les deux tiers de la production de pétrole sont assurés par dix gisements, parmi lesquels quatre concentrent près de 40% de la production nationale : ceux de Parentis (Landes) et Cazaux (Gironde) en Aquitaine, et de Champotran (Seine-et-Marne) et Itteville (Essonne) dans le bassin parisien. En Outre-Mer, aucun permis d'exploitation n'a été délivré mais des campagnes d'exploration ont été autorisées : des permis de recherches ont été attribués au large de la Guyane, de Juan de Nova dans le canal du Mozambique, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Martinique. Le bassin de la Nouvelle-Calédonie présente aussi un intérêt en matière d’hydrocarbures.
Ces activités d'exploration et de production d'hydrocarbures sont menées dans le cadre de titres miniers délivrés par l'Etat et régis par le code minier. 
La filière de production en France repose sur un petit nombre d'opérateurs français et étrangers de taille moyenne, comme Vermilion, Lundin, Geopétrol, Petrorep et SPPE. Les grands groupes sont également présents. Total possède ainsi son principale centre technique et de recherche scientifique à Pau. Il emploie 2.000 ingénieurs, géophysiciens, géologues.
Les acteurs de la filière sont regroupés dans des associations telles que l'Union française des industries pétrolières (UIFP) ou au sein du pôle de compétitivité Avenia qui regroupe quelque 180 entreprises, centres de recherche, de formation... Ces organisations sont montées au créneau contre le projet du gouvernement et ont dénoncé son manque de concertation. Appelant au pragmatisme, Francis Duseux, le président de l'UIFP, a fait valoir à l'annonce du projet que "même si la consommation d’hydrocarbures va diminuer, notre pays aura encore besoin pendant de nombreuses années de gaz naturel et de pétrole". Et il devrait donc davantage dépendre des importations. Lors du passage à l'Assemblée, les députés ont toutefois assoupli l'effet couperet du texte en introduisant un "droit de suite" : un industriel qui ne serait pas rentré dans ses frais pourra poursuivre l'exploitation après 2040 (voir ci-dessous notre article du 11 octobre 2017).

Des retombées fiscales pour les départements et communes concernés

Au-delà de l'activité générée par les forages dans le sites de production, la recherche et l'exploitation du gaz et du pétrole assurent aussi des retombées fiscales aux collectivités territoriales. Une part de la redevance des mines perçue chaque année est reversée aux départements et aux communes sur le territoire desquelles sont extraits ces hydrocarbures. C'est ce qu'on appelle la redevance départementale et communale des mines  (RDCM), calculée en fonction des quantités extraites. Elle représente quelque 20 millions d'euros par an, au profit essentiellement des départements. Ainsi en Seine-et-Marne, qui abrite d'importants gisements, dont celui de Chaunoy (186.600 tonnes de pétrole et 2,3 millions de m3 de gaz), en 2016 le département a récupéré 2,48 millions d'euros et les communes 1,3 million d'euros. S'agissant de la part communale, environ la moitié (623.000 euros) est attribué aux communes qui accueillent les forages, comme Jouy-le-Chatel, Saint-Just-en-Brie, Champeaux, Saint-Méry ou Vaudoy-en-Brie. L'autre moitié (676.000 euros) a été attribuée aux 302 communes de moins de 2.000 habitants pour l'entretien de leur voirie grâce à un mécanisme de péréquation calculé en fonction de la population et du potentiel fiscal.

"Quelles compensations ?"

La perspective de perdre cette manne financière inquiète les élus. "Cette annonce sonne comme une nouvelle difficulté pour notre collectivité. La fin de la production et de la recherche signifie en effet la fin d'importantes recettes pour le département de Seine-et-Marne, déjà assommé par les baisses de dotations. Quelles compensations seront mises en place ?", a questionné Jean-Jacques Barbaux, président du département, dans un communiqué diffusé début septembre 2017.
Dans le département, Jouy-le-Châtel (1.500 habitants) perçoit 100.000 euros de redevance pour les forages de son territoire. C'est 5% du budget communal ! "Nous sommes très inquiets, car c'est une grosse somme d'argent qui nous sert pour les écoles, la voirie, les travaux d'assainissement ; on va devoir faire moins, à terme on fermera boutique", fulmine Patrice Caffin, le maire de Jouy-le-Châtel, auprès de Localtis. Il assure qu'il n'a pour l'heure aucune information sur une éventuelle compensation, qui de toute façon "serait prise ailleurs". Bassevelle, autre commune de Seine-et-Marne (400 habitants) perçoit pour sa part la compensation pour l'entretien de la voirie, soit entre 5.000 et 6.000 euros par an. Pour le maire, ce projet de loi a été élaboré dans la précipitation. "Il est fait sans concertation, explique-t-il. On est à l'heure des belles promesses, on parle déjà de compensation pour la taxe d'habitation, mais par la suite, ce n'est jamais revalorisé. On va vers l'asphyxie des petites communes."

Guyane, un cas à part ?

Dans les territoires d'Outre-Mer, en revanche, le ministre a décidé de prolonger le permis exclusif d'exploration d'hydrocarbures "Guyane Maritime", avant même que la loi n'entre en vigueur. Le permis en question avait été accordé en 2001 puis prolongé à deux reprises en 2007 et 2011. Il devait prendre fin en 2016, le code minier n'accordant qu'une prolongation à deux reprises (avec réduction de moitié de la superficie du permis de recherche lors de son premier renouvellement et du quart lors du deuxième), mais le gouvernement a accepté la demande de l'exploitant de prolonger le permis jusqu'au 1er juin 2019 sur une superficie inchangée. Un article du code minier (article L. 142-2) a permis de justifier la décision : en cas de circonstances exceptionnelles, la durée de l'une des périodes de validité peut être prolongée de trois ans au plus, sans réduction de surface. Dans son avis formulé début septembre 2017 sur le projet de loi, le Conseil d'Etat avait demandé au gouvernement de préserver cette possibilité de prolongation exceptionnelle des permis de recherche. Conséquence : si Total découvre des gisements, une exploitation pourrait potentiellement avoir lieu et se poursuivre jusqu'en 2040. La décision du gouvernement a été saluée par le président de la collectivité territoriale de Guyane, Rodolphe Alexandre, qualifiant de "très belle victoire pour la Guyane et les Guyanais" la prolongation du permis d'exploration, qui devrait être source de création d'emplois.

Des contrats de transition écologique

Quoi qu'il en soit, le gouvernement a fait savoir qu'il ne laisserait pas tomber les territoires. Il veut les aider à anticiper les mutations et à s'engager dans la transition écologique. Les futurs "contrats de transition écologique" prévus dans le plan climat pourront jouer ce rôle. Les premiers devraient être lancés l'an prochain sur certains territoires pilotes. Ils concerneront des territoires en phase de désindustrialisation, ou qui nécessitent un accompagnement social de la transition énergétique. Conçus "sur mesure" par les collectivités, les acteurs économiques locaux, les opérateurs et représentants de l'Etat, ils permettront de déployer des projets viables économiquement. On en connaîtra mieux les contours lors de la prochaine conférence nationale des territoires, le 14 décembre.
Le 20 septembre 2017, le gouvernement a également nommé un directeur de projet "Transformation de l'appareil productif et de la société face aux enjeux environnementaux" (arrêté du 20 septembre 2017). Installé à France Stratégie, Dominique Auverlot a dix-huit mois pour mener sa mission. Il devrait aussi s'intéresser au sort de ces territoires.