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Aménagement numérique - Feuille de route sur le très haut débit : le Sénat auditionne les opérateurs, le régulateur et la ministre

Annonce d'une prochaine réunion du Comité des réseaux d'initiative publique (Crip), projet de lancement de l'observatoire des déploiements, perspectives des opérateurs... le Sénat était, le 13 mars dernier, au centre de l'attention des acteurs du très haut débit.

Les commissions des affaires économiques et du développement durable du Sénat ont auditionné le 13 mars le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), Jean-Ludovic Silicani, les représentants des principaux opérateurs privés et la ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, pour un premier tour d'horizon après la publication de la feuille de route sur le déploiement du très haut débit.
Le choix du gouvernement d'un changement dans la continuité est la bonne méthode, a commenté le président de l'Arcep pour qualifier le plan de déploiement dans sa nouvelle configuration : "Continuité" avec le maintien du cadre réglementaire édicté par l'Arcep et la conservation du modèle d'intervention initial, associant investisseurs publics et investisseurs privés ; "changement" dans l'engagement de l'Etat, qui se remobilise, et dans les modalités de financement et de déploiement... Devant les sénateurs, il a aussi légèrement "taclé" le gouvernement sur le volume des aides publiques de l'Etat, estimant les évaluations "un peu optimistes". De son point de vue, "il faudra sans doute plus de financements publics qu'on ne le voit apparaître dans les papiers rendus publics fin février". La rallonge nécessaire représenterait, selon lui, près d'un milliard d'euros sur dix ans et élèverait le besoin de subventions des collectivités à 400 millions par an, soit un quart de plus que les propres chiffres du gouvernement. Interrogé sur le sujet, le sénateur Yves Rome (PS) a estimé qu'il n'y avait pas le feu, "attendons de voir ce que le déploiement produit en recettes, il sera toujours temps de corriger le tir, je reste pour ma part, assez optimiste sur les perspectives, malgré ces temps difficiles", a-t-il déclaré à Localtis.

Opérateurs : premières manifestations d'intérêt sur les RIP

Les signaux envoyés par les opérateurs sont d'ailleurs plutôt positifs. Le consensus est à peu près général sur les choix opérés par le gouvernement Les différences apparaissent plutôt sur les stratégies d'engagement et d'investissement. Sur la zone moyennement dense, dite zone Amii, dédiée au secteur privé, Orange et SFR, signataires d'un accord de partage des villes, ont confirmé leurs engagement antérieurs. Olivier Henrard, le nouveau secrétaire général de SFR, assure que les 593 communes qui sont à la charge du groupe pour le déploiement des réseaux, "seront bien initiées pour un traitement, avant 2015". De son côté Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Télécom-Orange souligne "le plein engagement" de son groupe : "nous allons confirmer formellement nos intentions d'investissement et de co-investissement sur près de 3.600 communes" affirme-t-il. Numéricable, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, poursuivra la modernisation de son réseau à destination des 3 millions de foyers raccordables sur cette zone. Les autres opérateurs investiront assez peu, sur la constitution de réseaux en propre, mais agiront en co-investisseurs. Illiad a néanmoins annoncé avoir déjà engagé 800 millions d'investissements pour la fibre, sur une centaine de communes en zone dense et souscrit à des co-financements avec France Télécom sur une soixantaine d'autres mais sans se prononcer pour la suite. Bouygues Télécom entend privilégier la location du réseau de son partenaire Numéricable et n'a investi que 74 Millions d'euros dans les zones très denses en co-investissement. Son accord avec France Télécom sur les zones Amii ne serait activé "que lorsque la visibilité du déploiement du FTTH sera meilleure sur la localisation et sur le calendrier" indique Didier Casas, secrétaire général.
Si les débats ont surtout porté sur les zones plus directement placées sous la responsabilité du secteur privé, les Réseaux d'initiative publique n'ont toutefois pas été complètement ignorés. Le signal positif est envoyé par Bouygues Télécom et Numéricable. Didier Casas veut assurer une présence sur les RIP "lorsque les collectivités territoriales mettront des offres 'Bitstream' à leur catalogue" autrement dit, des offres activées mobilisables pour tout nouvel abonné enregistré sur place par l'opérateur. Numéricable adopte également une stratégie commerciale plus franchement axée sur les RIP depuis la confirmation de la compatibilité de sa plateforme : "nous allons ainsi apporter un peu partout nos services très haut débit", confirme son directeur général Jérôme Yomtov. Ces annonces devraient en partie rassurer les maîtres d'ouvrage publics sur l'espérance de recettes. Reste à déterminer le rythme de ces déploiements et les conditions qui seront négociées.

Le partenariat Etat-collectivités s'organise

En fin d'après midi, Fleur Pellerin, venue commenter et répondre aux questions des sénateurs, était attendue sur les questions financières, mais c'est surtout sur l'organisation du dispositif qu'elle s'est prononcée.
Petite nouveauté toutefois sur les prêts qui seront consentis aux collectivités territoriales, la ministre a confirmé des maturités très longues pouvant aller jusqu'à quarante ans. Elle a par ailleurs indiqué être en discussion avec la Banque européenne d'investissement (BEI) sur des prêts complémentaires consentis "à des conditions intéressantes en termes de taux et de possibilités de remboursement différé". Quant à la base principale des prêts en provenance des Fonds d'épargne, les modalités et les conditions sont toujours en phase de négociation. On murmure cependant qu'ils pourraient être également très attractifs.
Des précisions ont été données sur le périmètre d'action et le fonctionnement de la Mission très haut débit appelée à se transformer en établissement public dans les quinze prochains mois. Elle devient l'interlocuteur unique des collectivités territoriales aussi bien pour les mission d'accompagnement que pour l'instruction des demandes de prêts et les demandes de subvention. Sur le terrain, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ainsi que les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) seront les interlocuteurs privilégiés des collectivités locales et les relais de la Mission. Certains sénateurs se sont toutefois inquiétés de la faible présence locale de l'Etat sur le secteur des télécoms et s'interrogent toujours sur ses capacités à remplir de telles missions d'accompagnement.
Plusieurs initiatives nouvelles sont par ailleurs annoncées. Une mission sur l'extinction du cuivre sera lancée dans les prochaines semaines. Elle sera pilotée "par une personnalité reconnue des télécoms à laquelle seront associés deux députés et deux sénateurs". La ministre a également annoncé la convocation dans les prochains jours du Comité des réseaux d'initiative publique (Crip, créé par l'Arcep en 2004) qui change donc de camp et devient "l'instance de concertation qui manquait au très haut débit". Cette première réunion sera l'occasion de présenter le nouveau cahier des charges d'accompagnement financier des collectivités territoriales. D'autres projets sont inscrits à l'ordre du jour, en particulier le lancement de l'observatoire semestriel du déploiement du très haut débit appelé à devenir "un vecteur de transparence et d'alerte déterminant pour vérifier que le rythme de déploiement prévu est bien tenu". La ministre a confirmé qu'une première publication de l'observatoire serait diffusée dès la fin de cette année.
Mais la concertation et la collaboration sur le déploiement devraient prendre des formes plus poussées : à propos du futur établissement public chargé de prendre le relais de la Mission, Fleur Pellerin a déjà confirmé la présence des collectivités territoriales, via leurs associations, au sein d'un conseil d'administration ou d'un comité de surveillance. Le choix n'est pas encore tranché, mais il laisse augurer de nouvelles modalités de travail plus équilibrées entre l'Etat et les collectivités territoriales.