Archives

Couverture numérique du territoire - Très haut débit : entre "oligopole déséquilibré" et "monopole contrarié", l'équation est à revoir...

Pierre Hérisson, sénateur UMP de Haute-Savoie, et Yves Rome, sénateur PS de l'Oise, viennent de remettre les conclusions de leur rapport sur l'action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire. Réalisé dans le cadre d'une mission de contrôle sur l'application des lois, le rapport analyse les "déséquilibres" résultant d'un cadre de régulation inefficace et appellent à une clarification des choix technologiques, à une concurrence maîtrisée des réseaux et des opérateurs, sans oublier le retour à un Etat "stratège" engagé et redistributeur.

"Lors de nos déplacements et rencontres avec les collectivités locales et les acteurs du secteur, nous avons avons pu mesurer le désarroi, le mécontentement et une grande inquiétude", souligne en introduction Yves Rome. Il s'interroge sur les capacités des collectivités territoriales à porter le déploiement du très haut débit et en attribue la cause aux "insuffisances d'un système de régulation qui n'a pas joué pleinement son rôle". Pierre Hérisson enfonce le clou en dénonçant les effets négatifs d'un droit européen envahissant : "Dans la dérégulation du monopole des télécoms, affirme-t-il, l'Europe a fait prévaloir une conception particulièrement radicale où l'intervention publique est a priori suspecte et où la concurrence doit aller le plus loin possible. Le régulateur national a d'ailleurs collé au plus près de cet esprit d'encadrement." Pourtant, le résultat serait sans appel : "L'Europe est à la traîne du reste du monde", elle ne compte que 4% des abonnés mondiaux au THD, contre 11% au Etats-Unis et plus de 70% en Asie. Quant à la France, elle serait le mauvais élève de la mauvaise classe, avec une place de 23e sur 27. L'Autorité de régulation des télécom (Arcep) souligne bien la progression des prises éligibles, passées de 1,3 million fin 2011 à 2 millions au 3e trimestre 2012. "Mais le déséquilibre est confirmé", ajoute Yves Rome : les 2 milliards auraient massivement bénéficié aux zones denses puisque, dans les zones AMII (zones semi-denses à la périphérie des villes), "seules 35.000 prises seraient à ce jour installées". Quant aux réseaux d'initiative publique très haut débit, ils connaissent certes une progression, avec plus d'une dizaine de projets ayant obtenu des financements, mais leur équilibre économique n'est toujours pas assuré.

Extinction du cuivre, péréquation et restauration du rôle de l'Etat

Les rapporteurs ont identifié des points d'inertie générateurs de déséquilibres. Ceux-ci sont liés au partage du territoire entre zones d'intérêt privé et zones d'intervention publique. Le principe du regroupement des forces au service de la construction du nouveau réseau a été abandonné au profit d'un modèle séparé : "d'un côté une zone d'intérêt privé, portée par un oligopole déséquilibré, de l'autre une zone publique traitée par un monopole contrarié"… Cette "combinaison" est néfaste, elle génère "de l'inefficacité et réduit la maîtrise".
Pour combler les lacunes, Yves Rome et Pierre Hérisson formulent trois recommandations.
Ils appellent à une clarification des choix technologiques en proposent la fibre comme "frontière technologique" et l'extinction programmée du fil de cuivre comme conséquence. La concurrence des réseaux "ruine la perspective du THD" et entraîne des surcoûts pour l'ensemble des investisseurs. "Il est même étonnant que des fonds publics puissent être engagés tant que cette hypothèque n'est pas levée", souligne Yve Rome, qui propose avec son collègue une voie progressive "qui ne dévaloriserait pas les actifs de l'opérateur historique".
Cette perspective devrait en partie viabiliser l'équation économique à condition de revoir aussi en profondeur les modalités d'intervention de l'Etat et notamment les principes d'une péréquation "propre à assurer la justice territoriale". Enfin, il faut restaurer la gouvernance du très haut débit. L'Etat doit "assumer ses responsabilités de régulateur et de financeur" et apporter la vision de long terme que les marchés financiers et les industriels ont un peu tendance à obérer, sans oublier "de se donner les moyens de sa politique".
La feuille de route qui doit être présentée ce jeudi 28 février dans le cadre du séminaire gouvernemental sur le numérique "constitue bien une base de départ, mais il conviendra de la compléter en suivant nos recommandations", ont soutenu les deux sénateurs. Lequels auront l'occasion de poursuivre le débat en présentant le 2 avril leur rapport en séance publique au Sénat, et en présence du gouvernement.