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Transports - Ferroviaire : des investissements à deux vitesses ?

Un "état de délabrement jamais vu": le rapport d'experts sur le déraillement de Brétigny-sur-Orge (Essonne) l'an passé met de nouveau en lumière le manque d'investissements de la SNCF sur son réseau, lié à des années de politique du tout-TGV. Avec "une centaine de défauts", "visibles" et "critiques", relevés sur l'aiguillage incriminé dans la catastrophe survenue le 12 juillet 2013, les conclusions sont "sévères", a souligné le 7 juillet le procureur de la République d'Evry, Eric Lallement. Et selon les experts, Brétigny ne serait pas un cas isolé. De son côté, le secrétaire d'Etat aux Transports, Frédéric Cuvillier, a déploré le même jour sur France Inter la situation "extrêmement dégradée" du réseau ferré français.

"Sous-investissement persistant"

"Il est totalement exclu que nous fassions le lien entre le drame de Brétigny et le développement du TGV. Ça n'a aucun lien", a réagi dans la foulée lors d'une conférence de presse le président de Réseau ferré de France (RFF), Jacques Rapoport. Le déraillement qui avait fait sept morts et des dizaines de blessés avait révélé au grand public l'état du réseau ferroviaire, délaissé pendant 30 ans au profit de la construction des quelque 2.000 kilomètres de lignes à grande vitesse (LGV). Pour autant, la sonnette d'alarme avait été tirée il y a longtemps. A commencer par l'Ecole polytechnique de Lausanne en 2005 qui, dans un audit, pointait du doigt la dégradation continue des voies ferrées, et estimait que, faute d'entretien, 60% des lignes devaient être inutilisables en 2025. "Les difficultés récurrentes de qualité du service rendu sur le réseau Transilien (...) résultent surtout d'un sous-investissement persistant sur le réseau existant" dû aux années TGV, avait aussi souligné la Cour des comptes dans un rapport de 2010.
Le renouvellement massif du réseau avait néanmoins commencé dans le cadre d'un "contrat de performance" signé avec l'Etat, qui prévoyait 13 milliards d'euros affectés entre 2008 et 2015. A grands renforts d'investissements, la SNCF et le gestionnaire d'infrastructure RFF avaient tenté d'inverser la vapeur et de redonner au réseau classique une nouvelle jeunesse. En vain : en 2012, nouveau rapport des polytechniciens de Lausanne, qui estimaient alors que cette injection de plusieurs milliards d'euros avait simplement ralenti le vieillissement du réseau.
Depuis Brétigny, pour rassurer une opinion publique très marquée par l'un des plus importants accidents ferroviaires des vingt dernières années en France, de nouveaux milliards sont investis sur la moitié du réseau sur laquelle circulent 80% des trains, qui a "souffert de sous-investissements pendant 30 ans", avait reconnu début 2014 le patron de RFF. "Ce n'est pas normal qu'il y ait des équipements qui datent des années 30", avait-il réagi. Ainsi, 2,5 milliards d'euros seront consacrés chaque année jusqu'en 2020 à cette modernisation, et 1.000 kilomètres de voies seront renouvelées, contre 500 en 2005.

Priorité aux trains "classiques"

De son côté, la SNCF a récemment annoncé le développement d'une méthode industrialisée de changement des aiguillages, qui doit permettre d'en renouveler 500 en 2017, contre 326 en 2013. Alors que la profitabilité du TGV, mis en service en 1981 et qui fut longtemps la vitrine et la vache à lait de la SNCF, est en baisse depuis 2008, et que sa fréquentation a diminué de 0,7% en 2013, l'Etat avait annoncé, trois jours avant l'accident de Brétigny, le renouvellement de tous les trains Intercités d'ici à 2025. La décision avait également été prise de reporter après 2030 la construction de certaines lignes à grande vitesse au profit des trains du quotidien et des trains d'équilibre du territoire (TET), suivant ainsi les conclusions du rapport de la commission Mobilité 21 élaboré par plusieurs parlementaires de différentes sensibilités, et qui préconisait de redonner la priorité aux trains "classiques" par rapport au modèle du tout-TGV. "Ma priorité absolue en tant que président de la SNCF, c'est le réseau existant et les transports du quotidien. Les Français nous attendent d'abord sur le bon fonctionnement" de ces trains, a commenté le 7 juillet Guillaume Pepy lors d'une conférence de presse avec RFF. Quatre LGV, dont les travaux sont actuellement en cours, doivent être achevées d'ici à 2017: Tours-Bordeaux, Metz-Strasbourg, Le Mans-Rennes, et le contournement de Nîmes et Montpellier.