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Commande publique - Extension du recours "Tropic" : une brèche ouverte aux tiers lésés qui inquiète les pouvoirs adjudicateurs

L'arrêt "Département du Tarn-et-Garonne" du 4 avril, qui étend à tout tiers intéressé la possibilité de contester la validité d'un contrat administratif, a "provoqué un vent de panique auprès des acheteurs". Explication de texte. Et éclairage de Jean-Marc Peyrical, président de l'Apasp.

Rendu par l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, l'arrêt du 4 avril 2014, "Département de Tarn-et-Garonne", que nous signalions dans notre édition du 7 avril (voir ci-contre), étend à tout tiers intéressé la possibilité de contester la validité d'un contrat administratif devant le juge du contrat. Cette nouvelle décision constitue un véritable bouleversement jurisprudentiel en matière de contentieux administratif puisqu'elle ouvre un nouveau droit de recours à tout tiers justifiant d'un intérêt lésé par la passation d'un contrat public ou par ses clauses.

Recours "Tropic travaux signalisation" : toute une histoire...

Saisi par le département du Tarn-et-Garonne dans le cadre d'un litige opposant le pouvoir adjudicateur à un conseiller général à propos d'un marché à bons de commande pour la location de véhicules de fonction, le Conseil d'Etat vient donc tracer les contours d'un nouveau cadre juridique.
Jusqu'à présent, seules les parties à un contrat administratif avaient la possibilité d'en contester la validité. Les tiers ne pouvaient attaquer que les actes détachables du contrat, c'est-à-dire ceux préalables à sa conclusion telles que les décisions de conclure ou de ne pas conclure le contrat. Cette règle prévalait depuis l'arrêt "Martin" rendu par le Conseil d'Etat le 4 août 1905. Progressivement, le Conseil d'Etat a assoupli sa jurisprudence en permettant à une catégorie de tiers, les candidats évincés, de former un recours de plein contentieux devant le juge du contrat pour contester la validité d'un contrat administratif, assorti le cas échéant, d'une demande d'indemnisation. Ce principe important avait été posé par la Haute Juridiction dans l'arrêt dit "Tropic travaux signalisation" du 16 juillet 2007.
Dans sa décision "Département de Tarn-et-Garonne", le Conseil d'Etat va encore plus loin puisqu'il considère cette fois que tout tiers intéressé peut contester la validité d'un contrat administratif. Dorénavant, "tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses règlementaires qui en sont divisibles".
Parties au contrat, concurrents évincés et désormais tiers intéressés peuvent former un recours de pleine juridiction pour contester la validité d'un contrat et en obtenir le cas échéant l'annulation auprès du juge. Le risque contentieux pour les acheteurs publics risque donc de s'accroître mais pour limiter les recours abusifs, un cadre strict a été posé par le Conseil d'Etat.

Un encadrement juridique précis

Cette nouvelle voie de recours doit en effet obéïr à certaines conditions. Au préalable, le tiers requérant doit être lésé dans ses intérêts de manière "suffisamment directe et certaine" par la passation du contrat ou par ses clauses. Ensuite, le tiers ne peut invoquer que "des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé" dont il se prévaut ou "ceux d'une gravité telle que le juge devrait le relever d'office". La voie du recours contre les actes détachables, "devenue inutile", leur sera dorénavant fermée, a précisé la Haute Juridiction dans un communiqué du 4 avril.
Cette action est également ouverte aux élus des collectivités territoriales concernées par le contrat et au préfet de département en charge du contrôle de légalité. Contrairement aux autres tiers, ces derniers peuvent invoquer tout moyen pour contester le contrat. Nouvelle particularité, le préfet pourra toujours demander l'annulation des actes détachables du contrat tant que celui-ci ne sera pas encore signé.
Ce recours est enfermé "dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées", soulignent les juges du Palais Royal.
Pour préserver la sécurité juridique des relations contractuelles en cours, seuls les contrats signés à compter du 4 avril 2014 seront concernés par ce nouveau recours.

Un juge aux pouvoirs étendus ?

Dans sa décision du 4 avril 2014, le Conseil d'Etat précise en outre l'étendue des pouvoirs du juge lorsque celui-ci est saisi de ce nouveau recours direct contre un contrat administratif. En effet, dans un esprit pédagogique, la Haute Juridiction énumère les solutions qui s'offrent au juge après que ce dernier ait apprécié l'importance et les conséquences des vices relevés par le requérant et entachant la validité du contrat.
Selon les cas, il peut tout d'abord décider de la poursuite de l'exécution du contrat en invitant ou non les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il aura fixé. Il peut ensuite décider de résilier le contrat en cas "d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat". Enfin, le juge ne prononcera l'annulation totale ou partielle du contrat que s'il "a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit relever d'office". Pour ces deux dernières hypothèses, le juge prononce la résiliation ou l'annulation, le cas échéant avec un effet différé, "après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général".
Toutes ces sanctions peuvent être assorties d'une condamnation des parties à verser des indemnités pour préjudice subi à l'auteur du recours.
Cette jurisprudence devrait concerner l'ensemble des contrats publics, qu'il s'agisse es marchés publics, des contrats de partenariats ou des délégations de service public, voire même des conventions d'occupation domaniale. En somme, des répercussions importantes pour les contrats des collectivités territoriales quel que soit le domaine concerné…

L' Apasp

Référence : Conseil d'Etat, "Département de Tarn-et-Garonne", 4 avril 2014, n° 358994 ; Communiqué de presse du Conseil d'Etat, 4 avril 2014. 

Le Point de vue de Jean Marc PEYRICAL, Président de l'APASP, sur l'arrêt Tarn et Garonne                                              

"L'arrêt du Conseil d'Etat du 4 avril 2014 "Département du Tarn-et-Garonne" a provoqué un vent de panique auprès des acheteurs. En effet, alors qu'ils s'étaient à peine habitués à l'idée que les concurrents évincés à un contrat public et plus particulièrement à un marché public pouvaient en solliciter l'annulation, voilà qu'ils apprennent que ce recours en contestation de validité du contrat est désormais ouvert à tous les tiers susceptibles d'être lésés par sa passation. A partir du 4 avril 2014, date de la publication de la décision du Conseil d'Etat, les associations de défense des intérêts des usagers, les contribuables locaux, les élus de l'opposition ou encore les ordres et syndicats professionnels pourront donc attaquer devant le juge tout contrat administratif les concernant.
Les acheteurs vivent cette extension considérable de l'intérêt à agir comme une nouvelle atteinte à la sécurité de leurs contrats et des décisions (délibérations, choix des CAO…) qui y sont attachées.
Heureusement, ou malheureusement, selon le côté duquel on se place, cette évolution notable de la jurisprudence se doit d'être nuancée.
Tout d'abord, les requérants devront mettre en avant une lésion suffisamment directe et certaine de leurs intérêts, ce qui devrait malgré tout limiter les velléités de certains d'entre eux. On peut par exemple penser qu'une requête intentée à des fins uniquement politiques n'aura que peu de chances d'aboutir.
D'autre part, s'agissant en tout cas des marchés publics, les délais de jugement des recours (entre 1 et 3 ans selon les juridictions) limitent fortement l'impact de ces derniers, dés lors que certaines décisions sont rendues alors que le contrat est d'ores et déjà exécuté. Un tel argument est bien évidemment moins important s'agissant de contrats d'une durée plus longue du type délégation de service public ou contrat de partenariat pour lesquels la jurisprudence Tarn-et-Garonne a sans doute davantage de poids."
 

 

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