Guiclan : les habitants investissent dans la maison de santé (29)

Près de 10 % des habitants de Guiclan, commune rurale de l'arrondissement de Morlaix, sont partie prenante de la structure qui porte la maison médicale communale. Un montage original pour un projet de santé, pensé pour remédier sur la durée au risque de désertification médicale.

Le choix d'une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour porter la maison de santé de la commune s'est fait au départ à défaut d'autres pistes et au regard de plusieurs obstacles.

Le premier écueil, en 2016, tient au fait que le territoire n'était pas considéré sous tension par l'Agence régionale de santé (ARS). La commune ne pouvait donc prétendre à aucun soutien de ce côté-là. « Nous n'avons donc pas pu bénéficier d'une subvention qui nous aurait apporté près de 40 % des financements », souffle le maire, Robert Bodiguel, qui était à l’époque maire adjoint. Deuxième écueil, « la perception nous avait expliqué qu'au vu des projets d'investissement déjà en cours sur la commune, notre capacité financière était insuffisante pour un nouvel emprunt ». Le chef d'entreprise, contrarié par la « prudence » des services financiers de l’État, ne baisse pas les bras. Car « le bâtiment dans lequel nous voulions investir était prévu pour être loué à des praticiens, donc je n'étais pas inquiet sur l'équilibre financier de l'opération », explique-t-il.

Plusieurs pistes sont creusées. En commençant par celle d'une Société civile immobilière (SCI), « sauf qu'une collectivité doit obtenir l'accord du Conseil d'État dans ce cas. Autrement dit, il nous fallait attendre deux à trois ans pour espérer avoir l'aval ». Trop long, tranche l'équipe municipale. Au gré de ses recherches, l’élu tombe sur la formule de la Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Ayant déjà dirigé une société coopérative de production (SCOP) dans sa vie professionnelle, il n'hésite pas à creuser davantage l'idée, et se fait épauler par la fédération des SCOP dans le montage du projet. En plus d'un cabinet de juriste.

Le moment de vérité : le soutien de la population

Mais à ce stade, la commune ne peut pas continuer à avancer seule. « Il fallait convaincre la population d'entrer dans le projet, car une SCIC doit avoir au moins trois collèges dans ses actionnaires : les consommateurs, ici, les habitants ; les producteurs de services, c’est-à-dire pour nous les professionnels de santé et la collectivité : la mairie », rappelle le maire. Et la SCIC avait besoin d'argent !

En juin 2016, la commune commence par réunir ses « forces vives » : une soixantaine de personnes (présidents d'association, etc.) pour leur présenter le projet et sonder leur réaction. « S'ils n'accrochaient pas, cela hypothéquait la suite », pose l'élu. À la sortie de la réunion, les participants votent à bulletin secret, pour ou contre le projet. Le pour l'emporte « à l'unanimité ». De quoi donner des ailes aux élus…

Dans le même temps, la commune avait envisagé de réaliser un film pour se vendre auprès des étudiants en médecine lors d'un « généraliste dating » organisé par l'ARS en 2016 à la faculté de médecine de Brest. Ce projet parallèle servait à faire connaître et populariser le projet de maison médicale, et aussi à obtenir un soutien plus large de la population. Cet engouement se concrétise lorsque la SCIC ouvre la souscription, en septembre et octobre 2016 : 241 habitants mettent la main au porte-monnaie pour devenir sociétaire (50 euros la part de capital, pour une mise maximum de 1 000 euros par sociétaire).

80 000 euros de capital sont réunis. « C'était bien plus qu'espéré ! Nous avions envisagé 25 000 euros. Comme nous avions décidé en conseil municipal de doubler la mise des habitants, nous avons donc décidé d'augmenter notre apport, à 80 000 euros » précise le maire.

Dotée de 160 000 euros, la SCIC Guiclan Santé est créée dans la foulée, fin 2016. Elle emprunte 250 000 euros pour boucler le plan de financement.

Le projet voit rapidement le jour. « C'est l'avantage d'une société privée commerciale, nous n'avons pas eu à passer par un appel d'offres, ce qui nous a aussi fait gagner au moins un an », souligne l'élu.

Une évolution ancrée dans la vie de la commune

La maison médicale communale a ouvert fin janvier 2018, avec une généraliste, suivie par une seconde quelques semaines plus tard, une fois diplômée. Toutes deux avaient été séduites par la dimension du projet et le portage envisagé lors du « généraliste dating » auquel la commune avait présenté son projet. « D'un inconvénient nous avons fait un avantage », savoure Robert Bodiguel. Le fait de ne pas disposer du label de maison de santé par l'ARS épargne aux médecins de s'engager dans un projet de santé territorial. « Les deux jeunes femmes que nous avons rencontrées à la fin de leurs études nous avaient bien dit qu'elles ne nous suivraient pas si elles devaient devenir maître de stage à peine sorties de leurs études », explique-t-il.

Cinq ans plus tard, les deux généralistes sont toujours là. La SCIC a su investir pour accompagner l'essor de la maison médicale. À tel point que la commune s'est mise en quête d'un troisième généraliste. Car chaque médecin compte aujourd'hui plus de 1 500 patients, quand le nombre moyen de patients devrait tourner plutôt autour de 1 200. « Autrement dit, elles sont surchargées », lâche l'élu. La surface de la maison médicale a été doublée et a ainsi pu accueillir de nouveaux professionnels de santé. Certains s'étaient au départ installés à mi-temps, avant de décider de passer à temps plein : cabinet infirmier, kiné, psychomotriciens, psychologue, etc. En tout, 14 professionnels de santé exercent dans la maison.

Un jeune pharmacien a réouvert la pharmacie, grâce, là encore, à l'appui de la SCIC sur laquelle il a pu compter pour construire des locaux, dont il est aujourd'hui locataire. Un projet d'extension est à l'étude avec l'appui, toujours, de la SCIC… « Alors que notre bourg prenait triste allure après la fermeture du restaurant et de la pharmacie, tout redémarre », sourit le maire qui, finalement, constate que sans ces obstacles, le projet n'aurait peut-être pas eu la même dimension collective…

Les chiffres clés du projet

En tout, la SCIC a investi près d'un million d'euros dans trois projets immobiliers : la maison médicale, la pharmacie et son extension.

Le loyer de la maison médicale est de 8/9 euros le mètre carré. Le prix de départ était de 7,20 euros le mètre carré.

La commune n'a pas eu besoin de verser une subvention à la SCIC pour équilibrer ses comptes.

La commune a en revanche apporté sa garantie sur les emprunts, en étant caution sur la moitié du mondant du capital.

Le projet a bénéficié d'une aide de 50 000 euros de fonds européens (Feader). « Nous aurions pu avoir deux fois plus, si l'ARS nous avait soutenus », indique encore le maire.

Commune de Guiclan

Nombre d'habitants :

2529
4 place de l'Église
29 410 Guiclan
mairie@guiclan.bzh

Robert Bodiguel

Maire

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