Archives

Dépendance - Excédents de la CNSA : nouvelles dissensions en vue

Que deviendront les crédits 2009 non-consommés de la CNSA ? L'Igas et l'IGF comptent préconiser l'affectation de ces excédents à l'assurance maladie. Tout comme les représentants des établissements sociaux et médicosociaux, l'ADF s'y oppose, estimant logique que ces crédits soient réaffectés aux départements.

En avril 2009, alors que les comptes de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) laissaient apparaître une sous-consommation des crédits de 560 millions d'euros sur la seule année 2008, les ministres du Travail, de la Santé et du Budget chargeaient l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) d'une mission d'enquête sur les excédents de la Caisse (voir notre article ci-contre du 15 avril 2009). L'objectif était alors de "tenter de comprendre l'origine de la sous-exécution des dépenses médico-sociales" et de rechercher "les moyens d'y remédier". Le sujet est particulièrement délicat, puisque l'utilisation des excédents de la CNSA donne régulièrement lieu à des affrontements au sein et hors du conseil d'administration, certaines organisations représentant les établissements sociaux et médicosociaux n'hésitant pas à crier au "hold-up" (voir par exemple notre article ci-contre du 5 octobre 2007).

 

L'"Arlésienne" du secteur social

Depuis lors, le rapport de l'Igas et de l'IGF est devenu "l'Arlésienne" du secteur social. Les deux inspections l'auraient remis, en janvier 2010, aux ministères concernés, à la Caisse nationale d'assurance maladie et sans doute à la CNSA elle-même, dans le cadre de la procédure contradictoire. La version finale du document devait être remise aux ministres en février. Mais, selon des propos rapportés par l'agence APM (Agence de presse médicale), les cabinets affirment que les ministres concernés n'ont pas reçu le document.
On peut comprendre aisément ces précautions. Certes, selon des sources convergentes, le rapport n'apporterait pas de révélations fracassantes sur les excédents de la CNSA. Les causes en sont en effet connues depuis longtemps : montée en charge de certaines prestations beaucoup plus lente que prévue (le cas de la prestation de compensation du handicap est exemplaire à cet égard), décalages dans les programmations des opérations de construction ou de rénovation d'établissements sociaux ou médicosociaux... Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la sous-consommation des crédits de la CNSA, que le rapport Igas/IGF évaluerait à 300 millions d'euros pour 2009, représente moins de 2% du budget de la Caisse ! Un taux d'exécution budgétaire qui n'a donc rien de scandaleux, même si une gestion plus fine de la programmation permettrait de le réduire. Soulignant les difficultés de pilotage de la dépense et de suivi des engagements financiers, le rapport préconise, selon l'APM, une gestion "plus transparente" et "plus exigeante" des crédits de l'objectif global de dépenses (OGD) pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Sur ce point, on observera que, selon son rapport annuel 2008, la CNSA disposait, au 31 décembre, de 84 équivalents temps plein travaillé (ETPT) pour gérer et contrôler plus de 18 milliards d'euros de crédits, ce qui semble plutôt modeste (même s'il s'agit essentiellement d'enveloppes déléguées).

 

"Les excédents doivent retourner aux départements"

Mais le caractère controversiel du rapport se situe ailleurs. L'Igas et l'IGF préconiseraient en effet d'affecter la quasi-totalité - on parle de 90% - des excédents de la CNSA à l'assurance maladie. Dans l'absolu, une telle mesure n'aurait rien de choquant. La majeure partie des ressources de la CNSA provient en effet des dotations de l'assurance maladie et il n'y a donc rien d'anormal à y faire remonter les excédents, surtout lorsqu'ils ne sont pas le fruit d'efforts de gestion. Mais une telle décision ne manquera pas de se heurter à des réactions virulentes.
Les représentants des établissements et services sociaux et médicosociaux ne manqueront pas de considérer à nouveau que les crédits destinés au financement d'opérations de construction, extension ou rénovation doivent conserver leur affectation, même si des décalages d'opérations entraînent une sous-consommation des crédits concernés. Cet argument aurait toutefois davantage de portée si la sous-consommation de ces budgets ne revêtait pas un caractère structurel, ce qui semble bien être le cas compte tenu de sa récurrence depuis la création de la caisse.
Mais les plus inquiets sont sans aucun doute les conseils généraux. L'Association des départements de France (ADF) a d'ailleurs publié, le 12 mars, un communiqué "préventif" intitulé "CNSA : les excédents doivent retourner aux départements". En effet, contrairement aux établissements et services - pour lesquels le volume global de financement n'est, dans l'immédiat, pas directement menacé dans la mesure où les crédits correspondent à une dépense programmée -, les départements subissent la hausse irrépressible de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) et de la PCH (prestation de compensation du handicap). Or, face à la fin probable de ses excédents - la CNSA devrait afficher un déficit de gestion en 2009 -, la caisse a clairement fait savoir qu'elle ne pourrait pas suivre la progression des dépenses, notamment en matière de PCH (voir notre article ci-contre du 20 novembre 2009). Conséquence : le taux de participation de la CNSA au financement de l'APA va tomber en dessous de 30%, un niveau jamais atteint depuis la création de cette prestation en 2002. Le taux de couverture de la PCH par la CNSA est encore de 55% mais, face à l'envolée de cette prestation, il devrait se dégrader rapidement.

 

Une mission d'information

L'ADF estime, par conséquent, qu'une affectation des excédents à l'assurance maladie "serait incompréhensible au moment où les départements subissent lourdement la sous-compensation des dépenses qu’ils engagent pour le compte de la solidarité nationale au titre de la dépendance et du handicap". Le communiqué insiste surtout sur deux éléments qui relèvent pourtant plutôt de la réforme de la tarification des établissements. L'ADF propose en effet d'affecter les excédents de la CNSA, d'une part, au financement des postes de psychologues dans les maisons de retraite (actuellement assuré par les départements sur la section dépendance) et, d'autre part, de mettre un terme au financement croisé (sections soins et hébergement) des postes d'aides-soignants. "Surtout, il conviendra d'accroître la participation de la CNSA aux dépenses d'APA ou de PCH", conclut toutefois le communiqué.
Pour l'instant, le gouvernement ne s'est pas exprimé officiellement sur le sujet. Le ministère du Budget ne fait toutefois pas mystère de sa préférence pour une remontée des excédents à la Cnam. Le gouvernement souhaite aussi, sans doute, connaître la position de la mission d'information sur la CNSA, mise en place par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 18 novembre dernier. Cette commission présidée par Laurence Dumont, députée PS du Calvados, a procédé à une série d'auditions et tables rondes qui doit en principe se clore début avril par l'audition du ministre Xavier Darcos et des secrétaires d'Etat Nora Berra et Nadine Morano puis déboucher dans la foulée sur la présentation de son rapport - en avril, c'est-à-dire peu avant que le conseil d'administration de la caisse adopte son compte administratif 2009. Si le conseil d'administration de la CNSA a déjà une longue tradition de séances agitées, la prochaine pourrait bien monter d'un cran.

 

Jean-Noël Escudié / PCA