Sports / Economie - Euro 2016 : une étude d'impact (trop) optimiste pour les villes-hôtes
Estimer les retombées économiques des grands événements sportifs est un exercice qui oscille souvent entre la pratique de l'équilibrisme et celle de la prophétie. Pour preuve, ceux qui s'y risquent prennent parfois soin d'accoler à leurs travaux l'adjectif "ex-ante". Une façon comme une autre de s'abriter derrière la glorieuse incertitude des marchés économiques. Cette précaution prise, les prévisions sur l'impact de l'Euro 2016 de football - qui aura lieu du 10 juin au 10 juillet - sur l'économie, telles qu'elles figurent dans l'étude du Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES), sont optimistes. Commandée fin 2014 par l'UEFA, organisatrice de la compétition, l'étude a d'abord été tenue secrète. Désormais publique, elle envisage des retombées tant au niveau national que ville par ville.
Globalement, le poids économique de l'Euro 2016 est évalué à 2,8 milliards d'euros et son impact économique, correspondant au cumul des apports financiers en provenance d'acteurs étrangers uniquement, s'élèverait à 1,26 milliard selon la décomposition suivante : 593 millions de dépenses des spectateurs dans les stades ; 478 millions de dépenses d'organisation et 195 millions de dépenses des spectateurs dans les fans-zones.
En termes d'emplois, l'étude met en avant la création de 20.000 emplois pour la construction et la rénovation des stades ; plus de 94.000 personnes employées pour l'organisation de la compétition ; et plus de 26.000 emplois équivalent temps plein créés sur une année du fait de l'impact économique national généré par l'Euro 2016.
Saint-Denis en tête, Toulouse en queue
Ville par ville, les retombées vont du simple au quadruple. Ainsi Saint-Denis devrait bénéficier d'un impact économique de 221 millions d'euros, devançant Marseille (181 millions), Lyon (166 millions), Paris (161 millions) et Lille (151 millions). Bordeaux se trouve décroché, à 121 millions d'euros d'impact économique. On trouve en bas de classement un tir groupé comprenant Nice (81 millions), Saint-Etienne (77 millions), Lens (71 millions) et Toulouse (61 millions).
Cette prévision pour Saint-Denis s'explique à plus de 90% par l'importance du Stade de France. La plus grande enceinte de la compétition (80.000 places) sera en effet le théâtre de sept rencontres, dont le match d'ouverture et la finale. A l'opposé, le Stadium de Toulouse, qui ne compte que 33.000 places, n'accueillera que quatre matchs et baissera le rideau dès le 26 juin.
Cette étude, donc, relève de l'équilibrisme sur plusieurs points. Le premier concerne les coûts de construction des stades. Les aides de l'Etat pour la construction ou la rénovation des équipements, d'un montant total de 160 millions d'euros, pèsent sans conteste sur les dépenses publiques… tout en apparaissant positivement dans l'impact économique territorial de chacune des villes-hôtes.
Le coût de la sécurité, point noir de l'étude
Autre point noir de l'étude : l'absence d'évaluation des coûts de la sécurité. La note méthodologique indique ainsi que "les autres dépenses à la charge de l'Etat (sécurité publique notamment) n'ont pas pu être évaluées". Difficile en effet d'évaluer le coût de la présence des forces de l'ordre aux abords des stades et dans certains points cruciaux lors de la compétition (camps d'entraînement et hôtels des 24 équipes, aéroports, gares…), mais il s'agira au bas mot de plusieurs dizaines de millions d'euros. Et l'on sait par ailleurs que les CRS habituellement déployés pour la surveillance des plages l'été ne seront pas disponibles avant le 20 juillet 2016, ce qui entraînera pour les collectivités concernées un surcoût en termes de recrutement de plusieurs millions d'euros, somme qu'il conviendrait d'ajouter dans la colonne dépenses de l'événement.
L'impact des coûts d'organisation pris en charge par les collectivités n'est pas davantage présent dans l'étude. "Les dépenses des collectivités territoriales pour l'accueil de l'événement n'ont pu être estimées faute d'information disponible", préviennent ses auteurs. En début d'année, le ministre des Sports, Patrick Kanner, estimait que la seule mise en place des fans-zones (rendues obligatoires par le cahier des charges de l'UEFA) coûterait quelque 200 millions d'euros pour l'ensemble des sites.
La glorieuse incertitude du sport
Autre point noir qui n'était pas envisageable il y a un an, au rayon des recettes cette fois : les dépenses dans les fans-zones, estimées à 108 euros par visiteur et par jour, soit 352 millions d'euros au total, pourraient être revues à la baisse. On sait désormais (lire notre article du 25 novembre 2015 ci-contre) que les difficultés liées à la sécurité des fans-zones pourraient conduire à réduire les dimensions de ces espaces, quand elles n'entraîneront pas leur suppression pure et simple là où la sécurité ne pourra être assurée ou dans les cas où l'équilibre économique indispensable à leur organisation ne serait pas trouvé. Ainsi, l'appel d'offres de la mairie de Toulouse portant sur l'animation de sa fans-zone s'est déjà révélé infructueux.
Enfin, notons que l'étude du CDES cherche encore un impossible équilibre dans des notions que d'aucuns jugeraient éloignées de l'impact économique objectif de l'événement. Elle propose ainsi de comptabiliser la "désutilité sociale évitée" (sic), autrement dit, "les économies directes permises par l'augmentation de la pratique sportive", lesquelles, tenant compte du nombre de nouveaux licenciés sportifs attendus après l'Euro 2016, sont évaluées à 15 millions d'euros et s'appliquent à la "baisse des coûts inhérents aux problèmes de santé, à l'absentéisme professionnel, etc.". Quand on se souvient que la campagne désastreuse de l'équipe de France au Mondial 2010 avait conduit à une baisse de 5,6% du nombre de licenciés en football, il ne reste plus qu'à s'en remettre à la glorieuse incertitude du sport…
Jean Damien Lesay
Une convention pour l'emploi à l'Euro 2016
Les secteurs de la sécurité privée, des industries hôtelières, des transports et de l'intérim, ainsi que les têtes de réseaux des Plie et Cap Emploi ont signé, le 8 décembre au ministère du Travail, une convention portant accord-cadre national de partenariat à l'occasion de l'Euro 2016.
Le texte se donne un objectif aussi consensuel que flou : assurer la qualité du déroulement de l'événement et la mobilisation pour l'emploi et l'insertion professionnelle. En d'autres termes, les acteurs s'engagent à partager les informations sur leurs besoins en emploi et formation afin d'anticiper au mieux les réponses concrètes à apporter : diffusion des offres d'emploi, actions de formation avant le recrutement, accès à l'emploi des publics en insertion professionnelle, etc. Autant de tâches que les acteurs concernés sont déjà censés accomplir dans leur quotidien.
Par ailleurs, Myriam El Khomri, ministre du Travail, a assuré dans son discours que "la préparation de l'Euro 2016 n'est pas un sprint, c'est une course de fond". L'avenir dira si un départ six mois à peine avant l'événement relève plus de la course de fond que du sprint...
J. D. L.