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Economie sociale et solidaire - ESS : "Il manque des signaux forts de la part de la Commission"

L'économie sociale et solidaire peut-elle "réenchanter" l'Europe ? Les instances de l'Union européenne s'en donnent-elles les moyens ? Comment les acteurs de l'ESS peuvent-ils se saisir des leviers européens pour financer leurs projets, changer d'échelle et créer ainsi de l'emploi et de la valeur sociale ? Lors d'un forum organisé le 20 novembre 2015 à Paris, collectivités et porteurs de projets ont été invités à penser "ESS + Europe".

Un forum intitulé "ESS + Europe - Réenchanter l'Europe avec l'économie sociale et solidaire" s'est tenu le 20 novembre à Paris, à l'initiative du Réseau européen des villes et régions de l'économie sociale (Reves), du Réseau des territoires pour une économie solidaire (RTES), de l'Atelier Ile-de-France – centre de ressources régional sur l'ESS – et de Ile-de-France Europe – instance de représentation de la région Ile-de-France auprès de l'Union européenne (UE).
Pour Nicolas Schmit, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'ESS du Luxembourg, il est en effet "absolument temps de réenchanter l'Europe", et l'ESS peut y contribuer. La présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE s'est ainsi saisie des différents enjeux – notamment financiers - liés au développement de l'ESS sur le continent. Le 7 décembre, les conclusions de ce travail seront rendues à l'occasion d'un Conseil des ministres du travail et des affaires sociales, après avoir été discutées lors d'une conférence - les 3 et 4.
Dans cette stratégie volontariste, le Luxembourg dispose de quelques alliés, dont le Parlement européen et son intergroupe Economie sociale. "80 membres du Parlement" issus de "cinq groupes politiques" s'y investissent, ce qui constitue "un signal important", pour Jens Nilsson, député européen (groupe socialiste, suédois) et coprésident de l'intergroupe.

Davantage d'"engouement" de la Commission est attendu

"Ce qui manque un peu, ce sont des signaux forts de la part de la Commission", estime Nicolas Schmit. Après l'élan donné par l'ancien commissaire Michel Barnier avec l'"initiative pour l'entrepreneuriat social" d'octobre 2011, la Commission européenne en place depuis maintenant un an ferait preuve de "moins d'engouement" pour l'ESS, confirme Cédric Daumas chargé de mission Ile-de-France Europe.
"La commission n'oublie pas l'ESS", assure pourtant Michel Catinat, chef d'unité "Clusters, économie sociale et entrepreneuriat" à la DG marché intérieur de la Commission européenne. Il rappelle que les travaux se poursuivent dans le cadre du GECES (Groupe d'experts de la Commission sur l'entrepreneuriat social), un groupe de 70 experts représentatif de tous les Etats membres. Il importe selon lui "que de plus en plus d'Etats se dotent d'un appareil juridique" reconnaissant et encourageant l'économie sociale.
La Commission plaide pour une "définition opérationnelle" de ce champ qui retienne deux critères : une "gouvernance à la fois participative et démocratique" et le réinvestissement du profit pour le développement de l'activité ou, comme dans le cas des mutuelles, la diminution des tarifs. En dehors de ces marqueurs, Michel Catinat appelle à ne pas "ouvrir la boîte de Pandore" de la définition de l'économie sociale, au risque de ne pas trouver de dénominateur commun entre les pays.
Pour le directeur de Social Economy Europe, la Commission européenne devrait opter de façon plus claire pour une définition inclusive – qui ne mette pas en exergue les organisations à vocation solidaire – et inscrire l'économie sociale comme priorité de son agenda 2017. D'ici là, en septembre 2016, le GECES aura rendu son rapport.

Le Sieg pour privilégier l'ESS dans les marchés publics

Fondateur du think tank Pour la solidarité (1), Denis Stokkink a été nommé rapporteur général du GECES. Pour lui, les acteurs de l'ESS devraient d'abord se saisir des "possibilités offertes par l'Europe". Il remarque ainsi que des pays, tels que la France et la Belgique, utilisent peu certains programmes, en comparaison, notamment, avec l'Espagne et l'Italie.
Denis Stokkink invite aussi les collectivités locales à s'intéresser de près aux leviers issus de la nouvelle directive sur les marchés publics. "19% du PIB européen est porté par les marchés publics" et l'ESS est peu représentée dans ces marchés. En interprétant assez largement un arrêt récent de la Cour de justice de l'UE, il ajoute que les collectivités pourront désormais exiger des éléments sociaux supplémentaires de la part des candidats. Ce qui serait a priori favorable aux entreprises de l'ESS (2).
Actuellement, si des outils juridiques permettent de privilégier l'ESS, ils demandent une volonté sans faille de la part de la collectivité qui souhaite s'en saisir. La métropole de Strasbourg est ainsi l'une des premières collectivités à s'intéresser au statut de service d'intérêt économique général (Sieg), avec un but précis : réserver la collecte de textiles aux acteurs de l'insertion par l'activité économique (IAE).
"C'est d'une complexité absolue, on a mis plus de trois ans pour accoucher du dispositif", témoigne Jeanne Barseghian, conseillère déléguée à l'ESS de l'Eurométropole de Strasbourg. Selon elle, les excellentes perspectives d'emploi pour l'IAE justifient pleinement ces efforts.

Vers des groupes européens de l'ESS ?

Au-delà de l'environnement réglementaire et de l'accès aux financements liés aux programmes européens (voir encadré ci-dessous), l'ESS a besoin de l'Europe à un niveau plus culturel, pour "développer un imaginaire", juge Patricia Andriot, vice-présidente du conseil régional de Champagne-Ardennes. La consolidation et l'enrichissement du secteur passent aussi selon elle par davantage d'échanges entre les acteurs européens.
Le RTES, dont Patricia Andriot est vice-présidente, est ainsi membre du GECES. Le réseau français de collectivités travaille en outre de façon étroite avec d'autres réseaux, tels que le Reves et les réseaux de villes Urbact. Ce programme, financé par le Feder, a mobilisé quelque 2.500 villes autour de différentes thématiques liées au développement urbain durable.
Dans certains cas, l'échange de pratiques peut même aller jusqu'à la constitution de groupes européens de l'ESS. C'est ce que cherchent à faire plusieurs coopératives d'activité et d'emploi, dont Oxalis, Coopaname ou encore Smart. Avec l'objectif réenchantant exposé par Jean-Luc Chautagnat d'Oxalis : celui d'"inventer une autre forme d'internationalisation", de créer des emplois, d'alimenter un "cycle qui redistribue la richesse plutôt que de la concentrer".

 Caroline Megglé

(1) A noter que le think tank Pour la solidarité porte un Observatoire européen de l'économie sociale.
(2) Arrêt du 17 novembre 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne - "La passation de marchés publics peut être subordonnée par la loi à un salaire minimal".

Quels financements européens pour l'ESS ?

"Il y a beaucoup de champs thématiques sur lesquels les acteurs de l'ESS peuvent se positionner", a estimé Cédric Daumas de Ile-de-France Europe, lors d'un atelier consacré le 20 novembre aux financements (voir support de présentation de l'atelier ci-contre). Ces "opportunités" sont toutefois "un peu cachées", a complété Françoise Chotard, qui dirige Ile-de-France Europe.
Les financements européens sont liés soit à des programmes communautaires – gérés directement par la Commission ou ses agences exécutives – soit aux fonds structurels – gérés par les Etats, dont certains délèguent tout ou partie du travail aux autorités régionales.

Au niveau communautair e, le programme de l'UE pour l'emploi et l'innovation sociale (EaSI) comporte un volet "microfinance et entrepreneuriat social". Par le biais d'intermédiaires locaux tels que l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) en France, la Commission européenne, via le Fonds européen d’investissement (FEI), souhaite apporter 96 millions d'euros de garantie sur la période 2014-2020, pour "mobiliser plus de 500 millions d’euros sous forme de prêts — 30.800 microcrédits et 1.000 prêts en faveur d'entreprises sociales" (voir ce communiqué).
Afin de promouvoir l'innovation sociale, la Commission européenne attribue également des prix de 50.000 euros à des personnes ou à des organisations dans le cadre de la " Social innovation competition". Par ailleurs, certaines opportunités se cachent dans d'autres programmes non spécifiquement dédiés à l'ESS. Ainsi le programme Horizon 2020 dédié à la recherche et à l'innovation comprend un appel à propositions, ouvert jusqu'en avril 2016, qui cible les structures d'appui (les incubateurs notamment) à l'innovation sociale et aux entrepreneurs sociaux.
Concernant les fonds structurels, les entreprises de l'ESS et leurs partenaires publics et privés peuvent notamment s'intéresser à l'ITI (pour "investissement territorial intégré"), un "instrument financier" reposant sur une utilisation intégrée du Fonds social européen (FSE) et du Fonds européen de développement régional (Feder). L'ITI est destiné à soutenir des "territoires qui ont présenté un projet d'ensemble, en partenariat", explique Anne Brisset, chargée de mission FSE au conseil régional d'Ile-de-France. Les projets financés sont ceux qui portent une "stratégie cohérente", intégrant des priorités différentes telles que le développement des infrastructures et l'accompagnement vers l'emploi.
Le pendant rural de l'ITI, c'est le Développement local mené par les acteurs locaux (DLAL), financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
Selon Anne Brisset, des appels à projets concernant les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et l'insertion par l'activité économique (IAE) sont "en passe de sortir et seront ouverts jusqu'au 30 juin". C'est le programme opérationnel national du FSE qui porte les dossiers liés à l'insertion des publics en difficulté, mais certains volets des programmes opérationnels régionaux FSE-Feder – notamment l'appui à la création d'entreprises sociales - peuvent aussi concerner les acteurs de l'ESS. "Quand vous avez un doute, déposez le projet auprès des deux opérateurs", recommande l'équipe de la région. En Ile-de-France, l'Etat et la région auront bientôt un site internet commun, ce qui n'est pas prévu pour toutes les régions.

 

 C. Megglé

 

 

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