Enfance : "continuité" et quelques nouveautés dans la feuille de route de Sarah El Haïry
Devant la commission des affaires sociales du Sénat, la ministre en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles a exposé sa feuille de route. En matière de petite enfance comme de protection de l’enfance, Sarah El Haïry doit s’atteler aux enjeux de pénurie de places et de professionnels, de formation et d’attractivité des métiers, de qualité d’accueil et d’accompagnement des collectivités.
"Je souhaite assurer la pleine application de la loi Taquet de février 2022 sur la protection de l’enfance." Lors de son audition du 6 mars 2024 par les sénateurs de la commission des affaires sociales, Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles, est revenue sur l’application de l’interdiction de l’hébergement en hôtel des mineurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Accueil dérogatoire de mineurs de l’ASE en hôtel : vers un nouveau décret de clarification
En prévoyant la "labellisation d’un certain nombre d’hôtels sociaux et de campings pour continuer à accueillir des mineurs", le décret du 16 février 2024 relatif à cette obligation (voir notre article) permet "un contournement de ce que le Parlement a voté", l’avait interpelée le sénateur Xavier Iacovelli (Renaissance, Hauts-de-Seine). Tout en respectant "l’esprit de la loi", les "dérogations sont le fruit de deux ans de discussion avec les départements parce que ces derniers sont extrêmement limités", lui a répondu Sarah El Haïry. Mais la ministre reconnaît un manque de clarté dans ce décret sur certaines des garanties à apporter (présence obligatoire d’un adulte "formé" 24 heures sur 24, impossibilité de rester plus de deux mois dans un hôtel) pour sécuriser cet accueil dérogatoire en structure hôtelière. Elle s’engage donc à ce que soit publié un "décret normes" pour lever toutes les ambiguïtés.
Toujours sur l’ASE, la ministre de l’Enfance se déclare "favorable" au fait d’autoriser les assistants familiaux à exercer une autre activité professionnelle, si ces personnes sont suffisamment formées et accompagnées dans leur mission d’accueil d’enfants placés. "Aujourd’hui on manque cruellement de places et de familles", justifie-t-elle. Concernant plus globalement l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance, Sarah El Haïry se dit consciente de l’"urgence" de soutenir davantage les professionnels, pour faire en sorte que les mesures d’accompagnement des enfants soient mises en œuvre.
"On ne touche pas au pécule !", annonce-t-elle par ailleurs, après de vives critiques de la réforme annoncée par l’ancienne Première ministre des aides financières aux jeunes majeurs de l’ASE (voir notre article). Dans le "parcours d’autonomie" que le gouvernement veut promouvoir, l’enjeu sera donc plutôt de s’assurer que les jeunes de 17 ans sont bien au fait de ce droit et qu’ils ont ouvert un compte bancaire pour recevoir le pécule.
L’accompagnement des jeunes majeurs est l’un des sept thèmes de discussion entre l’État et les départements sur la protection de l’enfance – des travaux amorcés en décembre 2023 (voir notre article) et qui, début mars, devaient encore être relancés suite au remaniement ministériel. Sarah El Haïry cite les six autres sujets : attractivité des métiers et fidélisation des professionnels, prévention et alternatives au placement, sécurisation de la qualité des placements et "parcours sans rupture", accès aux droits des enfants de l’ASE, mineurs non accompagnés, renforcement de la gouvernance. Sur ce dernier thème, la ministre entend prochainement réunir les départements expérimentateurs avec l’État des comités départementaux de la protection de l’enfance.
"Le service public de la petite enfance ne se décrétera pas"
Autre secteur vivant "une réelle crise", la petite enfance est également désormais dans le portefeuille de la ministre, elle-même directement concernée puisque mère d’un bébé né fin 2023. Outre le sujet de l’attractivité des métiers, "la mobilisation du bloc communal est absolument nécessaire", indique-t-elle. La convention d’objectifs et de gestion (COG) "est historique avec plus de 6 milliards supplémentaires pour permettre ce développement du service public de la petite enfance, mais il ne se décrétera pas", estime Sarah El Haïry. Elle rappelle que "plus de 40% des assistantes maternelles vont partir à la retraite d’ici 2030", laissant quelque 300.000 places vacantes en plus des 200.000 places manquantes estimées aujourd’hui. Et pointe le risque que le SPDA ne reste qu’un "vœu" en l’absence de réponses ("travaux avec la protection maternelle et infantile, rémunérations et conditions de travail") pour assurer la relève. La ministre mise notamment sur la réduction de l’écart financier entre accueil individuel et accueil collectif, avec la réforme du complément de mode de garde (CMG) annoncée pour 2025 (voir notre article).
Interrogée sur la mission confiée aux inspections Igas-IGF par l’ancienne ministre des Solidarités Aurore Bergé sur les possibilités d’évolution du modèle économique des microcrèches pour une meilleure accessibilité géographique et financière de ce mode de garde, Sarah El Haïry promet de rendre ce rapport public quand elle l’aura reçu.
Éducation nationale, Justice, Solidarités : une triple tutelle pour construire des "passerelles"
Concernant le "congé de naissance" dont les contours ont été esquissés par le chef de l’État en janvier 2024, Sarah El Haïry assure que son format n’est pas encore arrêté. Elle plaide de son côté pour le "libre choix" des familles entre ce futur congé (plus court mais mieux indemnisé) et la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) actuelle. La ministre des Familles entend aussi endosser un rôle complémentaire à celui du ministre de la Santé sur le plan de lutte contre l’infertilité également annoncé en janvier par le président de la République. Elle met en avant un enjeu d’information et d’"accompagnement sociétal", la nécessité de "lever ce tabou" sur cette réalité qui concerne un couple sur quatre.
"Ma feuille de route s’inscrit dans la continuité des actions de mes prédécesseurs", assure pour le reste Sarah El Haïry aux sénateurs. Cela intègre notamment : les Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, avec l’accent mis notamment sur la santé mentale des jeunes et la lutte contre l’obésité, l’exposition aux écrans (dont les conclusions de la commission seront reçues "très prochainement"), le plan 1.000 premiers jours, la mise en œuvre du Pacte des solidarités, la poursuite des travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) - avec une "gouvernance" à relancer après le départ de nombreux membres -, le Pass Colo (voir notre article), le "service civique écologique" ou encore la "responsabilité parentale" (voir notre article). Sur les familles monoparentales, une mission a récemment été confiée par le Premier ministre au sénateur Xavier Iacovelli et à la députée de Paris Fanta Berete.
La ministre déléguée auprès des ministres de l’Éducation nationale, de la Justice et des Solidarités affirme qu’elle a souhaité "cette triple tutelle", qui l’aidera selon elle à construire des "passerelles" et à "mettre la famille et l’enfant au cœur d’un continuum de proximité et de protection".