Petite enfance : les revalorisations salariales annoncées suffiront-elles ?
Le gouvernement a annoncé des revalorisations salariales de 100 à 150 euros par mois avec une prise en charge à 66% par la Cnaf pour les professionnels de la petite enfance. Ces augmentations devront être traduites dans les conventions collectives des branches concernées ou approuvées par les collectivités gestionnaires d’établissements d’accueil du jeune enfant. Attendues par le secteur, celles-ci doivent contribuer à endiguer la crise d’attractivité des métiers de la petite enfance, mais ne suffiront pas. L’Association des maires de France insiste sur la nécessité de "sécuriser l’existant" et de remettre à plat les filières de formation. Le comité de filière Petite Enfance plaide pour la signature d’un plan de formation à l’échelle locale par l’État, la région et le département. Sur les normes de qualité, des travaux portés par l’inspection générale des affaires sociales devraient prochainement reprendre.
Les ministres Catherine Vautrin (Travail, Santé et Solidarités) et Sarah El Haïry (Enfance, Jeunesse et Familles) ont annoncé le 5 mars 2024 "un accompagnement financier des branches professionnelles qui accorderaient des augmentations salariales de 150 euros net par mois en moyenne pour les professionnels des métiers de la petite enfance". Prévue dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 signée par l’État et la Caisse nationale des allocations familiales, cette mesure permettra la prise en charge par la Cnaf de 66% des augmentations. Dans le privé, une revalorisation de l’ordre de 150 euros par mois a déjà été mise en place par la branche Alisfa regroupant un peu plus de 1.800 établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) non-lucratifs ; les autres branches devraient suivre.
Des choix politiques qui varient d’un territoire à l’autre
Concernant les crèches publiques, la revalorisation passera par une augmentation du Rifseep (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel) de 100 euros, après une première augmentation de 50 euros. Ces augmentations doivent toutefois être votées par les collectivités.
Présidente du comité de filière Petite Enfance et ancienne élue locale, Élisabeth Laithier espère que les collectivités s’empareront très largement de ce soutien leur permettant de récompenser l’engagement des professionnels qui, rappelle-t-elle, "n’ont pas eu la prime Ségur". "Cela permet d’éviter que des professionnels en poste aujourd’hui ne s’en aillent et également d’attirer de nouveaux professionnels", souligne l’ancienne élue de Nancy, interrogée par Localtis.
Le 28 février 2024, devant les députés de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants, Clotilde Robin, coprésidente du groupe de travail de l’Association des maires de France (AMF) sur la petite enfance, a confirmé que "des amplitudes importantes" étaient constatées d’un territoire à l’autre dans les politiques menées, notamment sur le plan salarial et dans l’application des évolutions du Rifseep.
La priorité pour les élus n’est pas de créer des places mais de "sécuriser l’existant"
"Nous demandons à être accompagnés pour sécuriser l’existant", a martelé l’adjointe au maire de Roanne pendant cette audition, insistant sur la difficulté à fidéliser les professionnels dans les structures et sur la "baisse inquiétante" du nombre d’assistantes maternelles. "L’augmentation du coût par place nous inquiète beaucoup", a-t-elle aussi alerté, laissant entendre qu’une politique de développement n’était actuellement pas à la portée des collectivités. Pour rappel, un objectif de création de 35.000 places en EAJE est inscrit dans la COG, le gouvernement Borne ayant fixé l’ambition plus large de 100.000 nouvelles solutions de garde d’ici 2027.
Interrogée par un député sur "l’explosion du privé lucratif" dans le secteur ces dernières années, la représentante de l’AMF met en avant le fait qu’une délégation de service public peut apparaître comme une solution d’"équilibre" pour des collectivités confrontées aux limites de leur budget et désireuses "malgré tout de pouvoir offrir une possibilité d’accueil collectif aux familles".
Des travaux à reprendre sur les formations et la qualité de l’accueil
Clotilde Robin rappelle par ailleurs que "l’AMF demande depuis longtemps la remise à plat des filières de formation". Les revalorisations salariales ne suffiront pas à "endiguer la pénurie de professionnels", confirme Élisabeth Laithier. Le comité de filière a bien en ligne de mire l’amélioration des formations et "la création d’une vraie filière des métiers de la petite enfance permettant, dans toute cette grande sphère du social, de passer d’une carrière à une autre", indique-t-elle. Pour rassembler les acteurs sur ce sujet, "nous avons proposé qu’un vrai plan de formation soit signé par l’État, la région et le département, en fonction des besoins identifiés par département", poursuit-elle.
D’autres travaux avaient été engagés par le comité de filière sur la qualité de vie au travail dans le secteur, avec la création d’un observatoire avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Sur la qualité de l’accueil, l’éphémère ministre des Solidarités Aurore Bergé avait confié une mission à Jean-Baptiste Frossard, Inspecteur général des affaires sociales et co-auteur du rapport d’avril dernier sur les maltraitances dans les crèches (voir notre article du 11 avril 2023). Avant d’être nommé, en janvier 2024, directeur de cabinet de la nouvelle ministre à l’Égalité femmes-hommes Aurore Bergé, Jean-Baptiste Frossard avait installé des groupes de travail sur les normes de qualité, en vue de définir "un référentiel des bonnes pratiques", "un socle commun de compétences" et "de nouvelles modalités d’évaluation et de contrôle des établissements", avait-il expliqué en octobre 2023 sur les ondes de Fréquence protestante. Selon Élisabeth Laithier, un nouvel inspecteur Igas devrait être prochainement nommé pour poursuivre cette mission. Dans son communiqué, le gouvernement "s’engage à améliorer la qualité de l'accueil en petite enfance, en élaborant un référentiel qualité et en renforçant les inspections et contrôles des crèches".