Crèches : des députées appellent à mettre fin à la déréglementation du secteur
Dans un rapport de la délégation aux droits des enfants, les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago plaident pour une approche résolument qualitative de l’accueil du jeune enfant et pour une politique globale de la petite enfance. Elles appellent en particulier à "remédier en urgence à la déréglementation à l'œuvre" dans le secteur des crèches, en agissant sur les formations et les normes d’encadrement.
Le 14 novembre 2023, quelques heures avant l'adoption définitive par l'Assemblée nationale du projet de loi Plein Emploi et de son volet petite enfance, des députées de la délégation aux droits des enfants présentaient à la presse un rapport appelant à "restructurer intégralement le système de la petite enfance, tant au niveau de la formation des professionnels que de l’accueil des enfants".
Issu d'une mission flash sur "les perspectives d'évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches", ce rapport est d’abord un appel à remettre les enfants et leurs "besoins fondamentaux" au centre de tout accueil en crèche. Les rapporteures Michèle Peyron (Renaissance, Seine-et-Marne) et Isabelle Santiago (Socialiste, Val-de-Marne) ne cachent donc pas qu'elles auraient souhaité un projet de loi dédié, en faveur d'une "politique globale et transversale" de la petite enfance. Il faut "décorréler la productivité des parents dans leur emploi au service public de la petite enfance", écrivent-elles dans le rapport.
Isabelle Santiago reconnaît que la "structuration de la petite enfance" était réclamée par les acteurs et que le projet de loi Plein emploi offrait à ces mesures "une niche", mais elle déplore que "quelques articles dérèglementent encore un peu le secteur". "C'est un secteur qui ne peut pas être déréglementé et qui ne peut pas être marchand, l'enfant n'est pas un client", défend la députée.
Recentrer les PMI sur le contrôle qualitatif des crèches
Pour "remédier en urgence à la déréglementation à l'œuvre", les députées préconisent de repenser les modes de financement et les modalités de contrôle des crèches. Il est par exemple proposé de "sortir du financement à l'heure" qui "nie la partie de travail des équipes en dehors des enfants" et d'expérimenter le forfait à la demi-journée préconisée par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge.
Autre recommandation : recentrer les services de protection maternelle et infantile (PMI) sur "la partie qualitative" du contrôle (développement de l'enfant notamment) et les "délester de la partie bâtimentaire et technique". Expérimenté en Haute-Savoie, le "contrôle conjoint" des PMI et des caisses d'allocations familiales (CAF) permet "un gain à la fois de temps et de qualité", est-il mentionné. Dans un rapport remis au gouvernement en 2019 (voir notre article), Michèle Peyron avait déjà appelé à "renforcer la PMI parce qu'elle était moribonde". Quatre ans après, "on a commencé à la renforcer" mais les infirmières-puéricultrices manquent toujours "de temps" et "de collègues" pour exercer ce contrôle qualitatif dans les crèches, explique la députée. Selon elle, "la PMI, c'est le même combat que pour les lieux d'accueil du jeune enfant : du personnel, du personnel et encore du personnel et, bien évidemment, formé".
Plan de relance du recrutement : "Il n'est plus temps d'attendre"
Le rapport est d'ailleurs largement centré sur la nécessité de "répondre à la pénurie de professionnels", avec la demande d'un plan d'urgence sur les formations et de la mobilisation de l'État et des collectivités pour bâtir "un plan de relance de recrutement et une planification des métiers du 'care'". Évoqué en avril dernier par Jean-Christophe Combe, alors ministre des Solidarités (voir notre article du 5 avril 2023), un tel "plan métiers du lien, du soin et de l'accompagnement" a depuis disparu de l'agenda gouvernemental. "Il n'est plus temps d'attendre, maintenant il faut y aller", appuie Michèle Peyron.
"S'occuper d'une personne âgée dépendante, s’occuper d’un jeune qui a subi des psychotraumas ou être en crèche, ce ne sont pas les mêmes métiers et c'est donc la formation initiale de base qui ne convient pas et qu'il faut absolument renforcer sur le secteur dans lequel on se dirige", poursuit Isabelle Santiago. Pour cette dernière, une spécialisation accrue permettrait de "revaloriser et redonner du sens à ces métiers".
Les deux députées demandent des objectifs nationaux de formation, fixés par l’État après concertation avec les régions, et une réglementation plus stricte : interdiction des formations CAP petite enfance en ligne, instauration d'un stage obligatoire de six mois au sein d'une crèche publique dans le cadre du CAP, inversion du ratio de recours à du personnel ne disposant pas d'un diplôme d'État pour que le personnel diplômé représente 60% de l'effectif moyen annuel, formation obligatoire des directeurs et gestionnaires de crèches…
Sur le taux d'encadrement, il est notamment demandé de garantir que l'effectif du personnel présent auprès des enfants "ne soit jamais inférieur à deux" et de "revenir sur la possibilité d'accueil en surnombre au sein des crèches".
Davantage de transparence au moment de l’ouverture d’une crèche
Les députées jugent nécessaire de "doter à long terme la petite enfance d'un pilotage global de l'État". Les communes et intercommunalités devenant "autorités organisatrices" de l'accueil du jeune enfant, "c'est intéressant pour avoir une vision du besoin sur le territoire et ce n'est pas antinomique avec le fait d'avoir une politique nationale qui cadre", estime Perrine Goulet (Démocrate, Nièvre), présidente de la Délégation aux droits des enfants. Sept mois après la parution du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) rendant compte de faits de maltraitance dans des crèches (voir notre article du 11 avril 2023) et deux mois après la publication de deux enquêtes journalistiques sur le sujet, le rapport réclame notamment davantage de "transparence", au moment de l'ouverture d'un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) et "sur les questions de sa rentabilité". Un effort de transparence est également demandé sur les commissions d'attribution des places en crèche.
Enfin, la politique globale de la petite enfance que les députées appellent de leurs vœux doit inclure "une réforme des congés parentaux", pour passer de 10 à 12 semaines en postnatal concernant le congé maternité et instaurer un congé parental d'un an rémunéré à 67% du salaire. Le 8 novembre dernier, la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, annonçait travailler avec les organisations syndicales et patronales à la création d'un nouveau "congé familial" indemnisé à hauteur de 429 euros par mois.