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Finances - Emprunts toxiques: près de 1.200 collectivités étaient touchées en 2014

Selon un rapport du gouvernement, 1.191 collectivités territoriales et groupements détenaient, en 2014, des emprunts toxiques pour 8,6 milliards d'euros. Le fonds de soutien de 3 milliards d'euros permet à une grande majorité de ces structures de sortir la tête de l'eau, comme l'affirme à Localtis Maurice Vincent, sénateur et spécialiste de la question.
 

En 2014, 1.191 collectivités territoriales et groupements détenaient au moins un emprunt à risque dans leur encours de dette, l'ensemble des prêts toxiques détenus par la sphère publique locale représentant 8,62 milliards d'euros. Ces chiffres sont extraits d'un rapport annuel que le gouvernement a remis très discrètement en fin d'année dernière au Parlement, comme le prévoit la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
Selon ce rapport que Localtis a consulté, 874 communes, 158 groupements à fiscalité propre, 103 syndicats, 44 départements et 12 régions détenaient en 2014 au moins un emprunt toxique.
Cette année-là, l'ensemble des emprunts structurés à risque représentait 4,7% du total de l'encours de dette des collectivités territoriales (176 milliards d'euros). Mais ce taux atteignait 12% en moyenne pour les collectivités détenant ces emprunts.

Une vraie "bombe" dans certaines petites communes


Les communes ont globalement souscrit davantage de contrats risqués que les autres catégories de collectivités. Alors qu'elles détenaient 39% de l'encours de dette total, leur part dans la dette toxique atteignait 54%, indique ce rapport, qui a été établi essentiellement à partir des comptes administratifs 2014 des collectivités territoriales. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre venaient loin derrière, avec un encours de dette toxique représentant 16% du total (inférieur à leur part dans l'endettement total qui s'élevait à 20%). Suivaient les départements (14% de la dette à risque pour 19% de l'endettement des collectivités). Les prêts à risque souscrits par les régions ne représentaient que 6% de la dette toxique locale (alors que l'endettement des régions atteignait 12% de celui des collectivités locales).
En proportion de leur encours de dette, les communes les plus touchées par les emprunts risqués étaient celles dont la taille s'établit entre 10.000 et 100.000 habitants. Ces communes avaient une part d'encours à risque supérieure à 11%. Mais ce taux était bien supérieur dans certaines communes ou groupements. "La concentration d'emprunts à risque est particulièrement marquée pour 135 collectivités territoriales et groupements recensés, dont 74 communes de moins de 10.000 habitants, pour lesquels l'encours structuré à risque et/ou volatil représente plus de 50% de leur encours", précise le rapport.
43,2% des emprunts risqués détenus en 2014 par les collectivités territoriales pouvaient être considérés comme très risqués. Ces emprunts, tels que ceux évoluant en fonction de la parité entre deux monnaies, sont classés en dehors de la charte de bonne conduite élaborée fin 2009. Ils représentaient 3,73 milliards d'euros et concernaient 602 collectivités et groupements.

676 collectivités ont demandé l'aide du fonds de soutien


L'encours des emprunts à risque a diminué dès les années 2012-2013. Une enquête de l'Etat réalisée à partir des comptes administratifs 2010 ou des budgets 2011 d'une très grande majorité des collectivités territoriales et groupements à fiscalité propre avait conclu, en 2012, que 1.478 collectivités ou groupements étaient embourbés dans les emprunts structurés à risque. Elle évaluait le montant de ces derniers à près de 14 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros d'emprunts très risqués (voir ci-dessous notre article du 2 août 2012). Or, le dernier bilan effectué par l'Etat révèle que sur le périmètre des collectivités recensées à la fois en 2013 et 2014, l'encours de dette à risque des collectivités représentait 10,1 milliards d'euros en 2013 et 8,3 milliards d'euros l'année suivante. Cette décrue s'explique par "la désensibilisation de l'encours structuré" et "l'extinction naturelle de la dette à risque liée aux échéances de remboursement".
Le succès du fonds de soutien voulu par le gouvernement a accéléré le processus de réduction de la dette toxique. Rappelons qu'à la date butoir du 30 avril 2015, 676 collectivités territoriales et établissements publics locaux avaient déposé un dossier de candidature auprès du fonds, afin de trouver une solution à la détention de 1.163 prêts à risque, représentant 6,3 milliards d'euros hors intérêts. La mise en place du dispositif doit faire l'objet d'un bilan distinct du rapport annuel sur les emprunts structurés des collectivités territoriales, précise le gouvernement.

Maurice Vincent: "Sauf dans quelques cas, le problème est résolu"
Le fonds de soutien mis en place en 2014 a permis aux collectivités ayant souscrit des emprunts toxiques de sortir de l'ornière, estime Maurice Vincent, sénateur socialiste et ancien président de l'association "Acteurs publics contre les emprunts toxiques".

Localtis: En a-t-on fini avec les emprunts toxiques du secteur public local ?
Maurice Vincent: A partir de 2012, le gouvernement a pris en considération le problème des emprunts structurés à risque des collectivités, ce qui a conduit à la création dans la loi de finances pour 2014 du fonds de soutien d'1,5 milliard d'euros sur 15 ans, dont le montant a été porté à 3 milliards d'euros à la suite de l'abandon, début 2015, du taux plancher de conversion du franc suisse. Depuis, les pouvoirs publics ont mené un bon travail, même si les demandes des collectivités n'ont pas été satisfaites à 100%. Le risque que les emprunts structurés les plus dangereux faisaient peser sur les collectivités a été maîtrisé. Toutefois, parmi les 100 à 150 collectivités qui n'ont pas déposé de dossier devant le fonds de soutien, certaines pourraient connaître dans le futur des situations très difficiles. Il est probable que dix à vingt devront solliciter l'Etat, à plus ou moins brève échéance. Si l'on excepte ces cas difficiles, on est globalement sorti du problème.

Quelle a été l'attitude des banques dans le cadre des discussions sur la désensibilisation des prêts ?
En l'absence d'état des lieux général sur cette question, je peux seulement témoigner de la situation de la ville de Saint-Etienne, dont j'ai été le maire jusqu'en 2014. Certaines banques ont été très dures dans la négociation, exigeant que la commune paie l'intégralité des intérêts prévus au contrat. Nous avons donc été obligés de batailler contre ces établissements pour obtenir des résultats. En revanche, d'autres ont accepté de passer des compromis.

A combien s'élève la facture des emprunts toxiques ?

Le fonds de soutien de 3 milliards d'euros est financé à parité par l'Etat et les banques, via une taxe. Il laisse à la charge des collectivités locales le coût d'une partie des indemnités de remboursement anticipé, que l'on peut chiffrer entre 3 et 4 milliards d'euros. Au total, pour l'économie française, la facture atteint 8 à 10 milliards d'euros. Je regrette que l'intervention des pouvoirs publics ait été trop tardive. Si le fonds de soutien avait été créé plus tôt, le coût aurait été deux fois moindre.

Les collectivités devront finalement supporter près de la moitié de ce coût…
Le jugement que l'on formule sur la charge à payer par les acteurs dépend bien sûr du degré de responsabilité que l'on attribue à chacun d'eux. L'Etat porte une part de la responsabilité en raison de sa mission de contrôle. Que les collectivités locales aient également une part de responsabilité, c'est indéniable: même si les prêts présentaient une complexité redoutable, les élus locaux les ont validés. Toutefois, dans la très grande majorité des cas, leur responsabilité apparaît pour moi secondaire. En effet, il existait une asymétrie d'information entre les banques et les petites et moyennes communes et même au détriment de certaines grandes collectivités. La responsabilité des emprunts structurés à risque était donc imputable en premier lieu aux professionnels qui les ont commercialisés. Par conséquent, le fonds de soutien a établi un partage du coût de ces emprunts qui n'est pas totalement satisfaisant. La charge pèse trop sur les collectivités et pas assez sur le système bancaire. Propos recueillis par Thomas Beurey