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Économie sociale et solidaire : une meilleure application de la loi est demandée

Cinq ans après une loi structurante, et alors que la loi Pacte a créé entre-temps le statut d'"entreprise à mission", le cadre législatif de l'économie sociale et solidaire doit-il évoluer ? À cette question posée par des députés de la commission des affaires économiques, des acteurs de l'ESS ont répondu non. Ils appellent plutôt à mieux appliquer les règles déjà existantes, en termes de commande publique, de soutien à des "écosystèmes territoriaux" ou encore d'innovation sociale. Ces acteurs mesurent également le chemin qu'il reste à parcourir pour une meilleure prise en compte de l'ESS dans l'ensemble des politiques publiques.

À l'initiative des députés Barbara Bessot Ballot (LREM, Haute-Saône) et Dominique Potier (Socialistes, Meurthe-et-Moselle), une table ronde sur l'économie sociale et solidaire (ESS) s'est tenue le 18 décembre 2019 en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Son objectif : recueillir l'éclairage d'acteurs de l'ESS, cinq ans après l'adoption de la loi Hamon, sur la pertinence de la définition retenue et du cadre législatif actuel. Et, par la même occasion, sensibiliser et transmettre des connaissances aux députés qui seraient encore peu familiers de ce domaine.

Commande publique : des règles qui ne sont pas respectées

De l'avis des acteurs auditionnés, la loi du 31 juillet 2014 a eu un effet fédérateur et structurant, en permettant des avancées telles qu'une définition claire du périmètre de l'ESS. Le cadre actuel ne mériterait pas d'ajustement particulier ; en revanche, l'application de la loi ne serait actuellement pas pleinement satisfaisante. Ainsi, selon Jérôme Saddier, président de ESS France, "le vecteur de la commande publique n'est pas suffisamment utilisé. La loi de 2014 a fixé des règles en la matière qui objectivement ne sont respectées ni par l'État, ni par les collectivités territoriales".

Autre exemple de faible application de la loi : l'attribution par les services déconcentrés de l'État de l'agrément Esus (entreprise solidaire d'utilité sociale), encore peu fréquente malgré les ajustements récents de la loi Pacte (voir notre article du 3 juin 2019). Jérôme Saddier a encore soulevé, entre les lignes, l'abandon de l'appui aux pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) - dispositif qui figurait également dans la loi. Si le programme "French impact" a un volet "Territoires" (voir notre article du 26 février 2019), le président d'ESS France a pointé la nécessité d'"amplifier le mouvement" en faveur de ces "écosystèmes territoriaux" qui permettent le développement des entreprises en même temps que la mise en œuvre de réponses pour les territoires.

Le financement de l'innovation sociale constitue un autre chantier inachevé. La loi de 2014 ne serait "sans doute pas assez opérationnelle" en la matière, de l'avis de celui qui est aussi vice-président délégué au Crédit coopératif et président de l'Avise. L'accès des entreprises sociales à un crédit d'impôt recherche (l'actuel ou un crédit qui serait spécifique à l'innovation sociale) reste un serpent de mer dans les instances de l'ESS.

Mieux prendre en compte l'ESS dans les politiques sectorielles

Plus largement, la prise en compte de l'ESS dans l'ensemble des politiques publiques, nationales et locales, ferait encore largement défaut. Selon Claude Alphandéry, président d'honneur du Labo de l'ESS, cela passe par la formation des agents et la réorganisation des administrations.

Il y a encore un enjeu de "décloisonnement", pour Jérôme Saddier, qui déplore que l'on considère rarement l'ESS "comme un modèle entrepreneurial". On s'y réfère comme à un "secteur", malgré la grande diversité des secteurs présents dans l'ESS. "Ce n'est pas une loi ESS qu'il nous faut mais de l'ESS dans à peu près toutes les lois", a-t-il poursuivi. De l'avis de Laure Delair, présidente du Centre des jeunes, des dirigeants, des acteurs de l'économie sociale et solidaire (CJDES), pour favoriser cette prise en compte transversale de l'ESS, il y aurait une "bataille culturelle à mener", dans l'éducation et les programmes scolaires - pour que les représentations de l'économie ne soient plus seulement "le patron et les ouvriers" ou "le jeu de Monopoly" - comme dans l'évaluation des politiques et les indicateurs de richesse.

Pas de nouveau label mais une "distinction" à préserver

Au vu des interventions de certains députés présents dans une salle plutôt clairsemée, les spécificités de l'ESS ne sont pas toujours bien connues. Ou bien, pour certains, ces spécificités ne justifieraient pas forcément de distinction par rapport à des entreprises "classiques" qui auraient un engagement social ou environnemental. D'autres, à l'inverse, ont interrogé les acteurs sur l'opportunité d'améliorer encore le label Esus ou de créer un nouveau "label clair" destiné à valoriser l'ESS – dans la lignée d'une proposition de loi  de Dominique Potier, récemment rejetée, sur la création d'une certification publique des performances sociales et environnementales des entreprises et l'expérimentation d'une comptabilité du XXIe siècle.

Aux premiers, les intervenants ont réaffirmé, d'une part, le "rôle stratégique" de l'ESS pour résoudre nombre de problèmes sociaux et environnementaux et, d'autre part, les "contraintes" volontairement subies par des entreprises sociales. Ces dernières "acceptent de prendre en charge des gens qui sont moins productifs, des chômeurs de longue durée, ou de s'intéresser à des services qui ne sont pas immédiatement rentables", a rappelé Claude Alphandéry. Ce "caractère particulier", de non-lucrativité ou de lucrativité limitée, justifie selon lui cette "distinction" par rapport à d'autres entreprises classiques ayant une forme d'engagement, même si les deux types d'entreprises peuvent être amenées à travailler ensemble ou de façon complémentaire. Cela explique notamment que la plupart des structures de l'ESS ne se soient pas "précipitées" sur le statut d'entreprise à mission créé par la loi Pacte.

Sur le deuxième volet, un nouveau label n'est pas souhaitable, pour le président d'ESS France. Il a plaidé une nouvelle fois pour une bonne application du cadre existant, notamment en ce qui concerne l'agrément Esus. La balle serait également, de son point de vue, dans le camp des acteurs de l'ESS, appelés à poursuivre leurs efforts de pédagogie. Rappeler qu'ils ne souhaitent pas "une économie administrée", soutiennent la "liberté d'entreprendre" et ne perçoivent bien souvent aucun argent public. Et se présenter comme un mode d'entrepreneuriat possible - "collectif", conduisant à "un autre type de performance" -, susceptible d'entraîner les autres et parfois de faire évoluer la norme.