Économie responsable : les bonnes résolutions de rentrée
Universités d’été de l’économie de demain, forum mondial Convergences, forum de Giverny… l’économie responsable a été à l’honneur en cette semaine de rentrée. Alors que le gouvernement invite les entreprises à se saisir de la loi Pacte et à s’inscrire dans une démarche de responsabilité sociétale, le collectif d’entreprises #NousSommesDemain propose des mesures pour aller plus loin. Tout en contribuant pour certaines à cette dynamique, associations et entreprises de l'économie sociale et solidaire rappellent leurs spécificités.
Le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, le ministre des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, ainsi que trois secrétaires d’État – Gabriel Attal, Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher – se sont rendus vendredi 6 septembre à Giverny, dans l’Eure, pour un forum dédié à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). D’initiative gouvernementale, cette démarche est en lien avec l’initiative "10% pour tout changer", lancée en mai dernier par le ministère de la Transition écologique et solidaire, réunissant une centaine d’entreprises affirmant leur volonté d’"accélérer la mise en œuvre de programmes de lutte contre le changement climatique et de progrès social au sein de leurs organisations".
Un "point de bascule" à 10% ou 25% des entreprises
Pour Christophe Itier, haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale et solidaire, qui s’exprimait aux Universités d’été de l’économie de demain (UEED) le 4 septembre et au forum mondial Convergences le lendemain, il s’agit désormais de "dépasser le cercle des convaincus", de créer avec ces 10% d’entreprises pionnières ce "point de bascule" permettant de "changer le modèle".
À l’origine des UEED, les entreprises du collectif #NousSommesDemain proposent quant à elles d’"accompagner en 5 ans 25% de l’ensemble des entreprises françaises à se transformer concrètement". Initié par le Mouvement des entreprises sociales (Mouves) et réunissant des réseaux et entreprises de l’ESS, du commerce équitable, de la RSE ou encore des acteurs de la philanthropie, ce collectif appelle l’ensemble des entreprises françaises, dans une tribune diffusée le 3 septembre sur le site de La Tribune, à ne pas s’en tenir à des actions "à la marge" et à "s'engager et mesurer l'impact de leurs actions, loin du green et social washing". Il propose douze actions pour davantage de partage de pouvoir et de richesse dans les entreprises – et notamment d’"intégrer l’entreprise dans son écosystème territorial" -, d’impact social ou environnemental.
60 aspirantes "entreprises à mission"
Le volet de la loi Pacte dédié à l’entreprise responsable sera-t-il suffisant pour impulser un tel mouvement de fond ? Plusieurs voix ont exprimé leurs doutes aux UEED comme au forum Convergences, même si la vice-présidente du Medef, Dominique Carlac'h, a rappelé à quel point "ce sujet a été, est clivant dans le monde des entreprises", notamment au sein de PME soucieuses de ne pas subir de nouvelles "contraintes juridiques". "Même si c'est clivant, on n'a pas le choix", a-t-elle poursuivi, appelant à faire de la pédagogie auprès des entreprises sur la nécessité de telles réflexions sur le plan de l’attractivité - de l'offre vis-à-vis des consommateurs, mais aussi de l'entreprise pour recruter de nouvelles générations en quête de sens au travail.
Une approche que partage Pascal Demurger, directeur général de la Maif, qui estime que l’engagement d’une entreprise est la "condition de sa performance, de sa pérennité". Alors que la "raison d’être" de la Maif sera adoptée d’ici la fin de l’année, son DG souhaite faire de l’entreprise mutualiste l’une des toutes premières "entreprises à mission", ce statut fondé par la loi Pacte pour les sociétés souhaitant formaliser "un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux" dans le cadre de leur activité.
Alors qu’elles ne sont pas encore formellement créées, quelque soixante aspirantes entreprises à mission ont déjà leur "communauté" qui, selon Laurence Méhaignerie qui la coordonne, participerait à la rédaction des décrets d’application de la loi Pacte.
"Voix commune" et recherche de cohérence pour mieux peser
Le collectif #NousSommesDemain a ainsi pour but de faire émerger une "voix commune" des entreprises engagées, quels que soient leurs statuts et leur niveau d’engagement. "Le risque, c’est une forme de dilution de la parole", a pointé Hugues Vidor, président de l’Union des employeurs de l’économie solidaire (Udes), le 4 septembre aux UEED. Tout en se disant prêt à travailler à des partenariats concrets, le directeur général de l’Adessadomicile a rappelé que les entreprises de l’ESS étaient face à des enjeux d’accès aux marchés publics, de financement et de reconnaissance.
"Les entreprises sociales revendiquent une préférence de la part de la puissance publique", a également affirmé Jonathan Jérémiasz, président du Mouves, du fait de leur approche non lucrative ou à lucrativité limitée et de leur gouvernance partagée. Il a insisté sur la nécessité d’un "environnement stable" pour ces entreprises, à l’heure où le mécénat est "attaqué" (voir notre encadré ci-dessous). C'est d'ailleurs la conscience de cet enjeu de concurrence entre eux qui a poussé les membres du collectif #NousSommesDemain à s'adresser à l'ensemble des entreprises, mais pas aux pouvoirs publics. Au-delà de ces risques, fédérer largement les "entreprises engagées" impose à chacun de "renoncer un peu à [ses] utopies particulières" pour peser davantage face à un capitalisme peu soucieux de son impact social et environnemental, a poursuivi le président du Mouves.
Cela implique de rechercher l’"objectivité" et la "transparence", une forme de "lisibilité" et de "cohérence" dans les démarches d’évaluation et de labellisation notamment, a insisté Christophe Itier. Pourquoi pas un "Yuka des entreprises" - du nom de cette application permettant de scanner les produits alimentaires pour avoir une information sur son impact sur la santé -, qui analyserait la contribution de chacune aux objectifs de développement durable ? a-t-il suggéré. L'enjeu : la mesure de l'écart entre le discours et les actes. Mais le regard des "consommateurs citoyens" suffira-t-il ? "Ce n’est pas une question seulement de bonne volonté des entreprises", a insisté Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, appelant à agir aussi sur les leviers de la réglementation, la commande publique et la fiscalité.
Mécénat et financement des associations : Gabriel Attal se dit "confiant"
Le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse l’a récemment annoncé et cela devrait passer en loi de finances pour 2020 : la défiscalisation des dons de plus de 2 millions d’euros passerait de 60 à 40%, sans que cela ne concerne les associations relevant de la "loi Coluche" – "organismes d’aide aux personnes en difficulté", dont l’aide alimentaire et l’hébergement d’urgence.
78 entreprises seraient concernées par la réduction de cet avantage fiscal, a précisé Gabriel Attal le 5 septembre au forum Convergences, affirmant sa "confiance" sur le fait que cette disposition n’aurait pas d’impact sur des politiques de mécénat déjà bien établies. Le secrétaire d’État a par ailleurs annoncé l’ouverture prochaine de deux chantiers : l’un sur les "alliances" entre associations, fondations et entreprises sur les territoires et l’autre, en lien avec le Mouvement associatif, sur l’accompagnement des associations, notamment sur l’évolution des modèles socio-économiques…
Il avait auparavant affirmé la "différence profonde" entre le champ de l’"intérêt général" - associations, fondations – et celui de l’"utilité sociale" - une entreprise pouvant être d’utilité sociale. Cette reconnaissance de la "particularité de l'économie de l'engagement" a été particulièrement appréciée par Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif. Même si les frontières tendent à se brouiller aujourd'hui. "La tendance aujourd’hui à la rétraction d'un certain nombre de ressources fait que les revenus essentiels des associations deviennent de plus en plus des revenus d'activité", a ajouté le président du Mouvement associatif (voir notre article du 12 juin 2019). Si la "question de l’innovation financière" lui semble "essentielle", il appelle à veiller au risque de "[bascule de] l'ensemble du monde associatif dans le secteur commercial".