Tice - Ecole numérique : vers des partenariats plus équilibrés
"Une dynamique nouvelle est en train de naître entre les villes et l'Education nationale", estime Pascale Luciani-Boyer, maire-adjointe déléguée à l'accueil de l'enfant, à la famille et aux nouvelles technologies de Saint-Maur-des-Fossés (80.000 habitants, Val-de-Marne). "Jusqu'à présent, les collectivités communiquaient autour des sommes investies dans l'équipement informatique et réseau – nous le constatons encore actuellement à l'occasion des élections cantonales – sans trop s'interroger sur la pertinence de ces budgets, sur l'utilisation réelle ou supposée des matériels ni surtout sur l'impact de ces nouveaux ordinateurs ou tableaux blancs interactifs (TBI) pour la réussite éducative des élèves", poursuit l'élue locale, s'exprimant à l'occasion de la présentation du programme des Rencontres de l'Orme, qui réuniront spécialistes de l'éducation et du numérique les 23 et 24 mars prochains à Marseille - rencontres auxquelles elle participera. Et celle qui préside également la commission TIC (technologie de l'information et la communication) reconnaît, non sans une certaine hardiesse, que, dans sa ville où elle mène pourtant une politique volontaire d'appropriation des usages, il reste encore au moins un TBI "bien emballé" dans l'une des 40 écoles élémentaires... A l'Association des maires de France (AMF), le constat est désormais quantifié : "Le taux d'utilisation se situe en moyenne entre 10 et 30%, sauf dans les villes pilotes" (Limoges, Besançon, Elancourt, Issy-les-Moulineaux, pour ne citer que les plus connues). Conséquence, une deuxième démarche est désormais en train de se développer un peu partout sur le territoire. Les élus s'interrogent plus souvent sur : "A quoi ça sert ? Comment ça sert ? Ai-je bien fait d'investir dans tel ou tel matériel ?"
Observatoire des usages
Preuve des rapprochements de plus en plus effectifs sur le terrain entre les responsables des villes et les équipes académiques, la commune de Saint-Maur vient de signer un partenariat de recherche-action avec l'université René Descartes–La Sorbonne et le ministère de l'Education, placé sous "le haut-patronage de l'AMF". Son objet : mettre en place un Observatoire des pratiques pédagogiques innovantes et des usages du multimédia (Oppidum). Cette étude scientifique vise notamment à permettre au décideur public local de "fonder ses choix d'équipement et de suivi des dispositifs d'école numérique". Pour cela, les chercheurs et doctorants de l'équipe du professeur Georges-Louis Baron vont analyser les points de vue de tous les acteurs locaux intéressés : les enseignants, les élèves, les parents et toute structure associée étroitement à l'école (services d'animation péri ou parascolaires, associations de soutien, direction de l'éducation des villes, etc.). L'intervention s'effectuera en deux phases : une étude exploratoire de faisabilité (prévue jusqu'à juin ou septembre prochain) puis une recherche de conception d'un dispositif collaboratif de suivi et de prospective. Douze écoles de la ville ont été retenues : "il s'agit d'un échantillon contrasté et non représentatif", souligne Pascale Luciani-Boyer. La ville y consacre un budget de 40.000 euros par an sur deux ans. L'ensemble des parents des autres écoles de Saint-Maur est aussi invité à participer à l'opération via la mise en place d'un réseau social. "Aussi simple que Twitter et à accès restreint comme Facebook", selon la maire-adjointe, leminiréseau.fr va servir d'outils "de proximité des parents d'élèves scolarisés de la maternelle au lycée". En outre, d'autres villes pourraient être invitées à partager le processus du laboratoire de recherche "afin de conforter les résultats à venir et mutualiser les moyens". La ville de Bordeaux, qui se lance dans la généralisation des TBI dans ses écoles, serait intéressée. Elle organise d'ailleurs, avec l'inspection académique de la Gironde, une journée consacrée à l'e-éducation, le 23 mars, dans le cadre de sa "Semaine digitale".
Espace numérique de travail (ENT) en primaire
Autre sujet au coeur de l'approfondissement des partenariats entre collectivités locales et Education nationale, la mise en place des ENT. Un accord de coopération pour le déploiement d'un ENT premier degré en Ile-de-France est en projet. Il réunit l'AMF, l'Association des maires d'Ile-deFrance (Amif), le ministère et le rectorat de Créteil, en collaboration avec l'Association des maires ruraux (AMRF) et l'agence régionale de la société de l'information en Ile-de-France (Artesi). "L'ENT à l'école primaire est encore plus impactant sur le territoire d'une commune qu'à l'échelle d'un département ou d'une région car, dans une ville, le parent d'élève peut s'adresser directement au maire alors qu'il va rarement voir le président du conseil général ou régional", justifie Pascale Luciani-Boyer. L'idée est donc d'établir "une charte commune" non pas pour retenir un outil à déployer dans toutes les villes des départements couverts par la rectorat (77, 93 et 94) mais plutôt d'en redéfinir les grandes fonctions spécifiques au primaire. "Des enjeux n'ont pas été traités au niveau des ENT secondaires, tels que le suivi des activités périscolaires ou de l'accompagnement aux devoirs, par exemple", avance l'élue, également porte-parole de l'AMF sur les sujets éducation et TIC. La réflexion pourrait aussi aboutir à un projet de mutualisation "car toutes les villes n'ont pas forcément les moyens de se payer un ENT". Cet accord de coopération serait encore en recherche de financement. La Caisse des Dépôts aurait notamment été sollicitée. Ne pourrait-il pas s'inscrire dans le cadre de l'appel à projet national e-éducation puisqu'il semble trop local pour décrocher des financements européens ?
Dernier projet, "puisque nous apprenons tous actuellement à adapter des ressources pédagogiques francophones, pourquoi ne pas favoriser les collaborations entre enseignants des deux côtés de la Méditerranée ?", s'interroge Pascale Luciani-Boyer. Avec l'association pour la promotion des ressources éducatives libres africaines (Apreli@), un projet de e-jumelage devrait aboutir à Dakar (Sénégal), sous l'égide de l'AMF.
Efforts croissants des collectivités
"Nous notons effectivement une intervention croissante des collectivités locales, et le basculement remonte seulement à un ou deux ans", commente Jean-Yves Capul. Mais le responsable de la sous-direction du développement numérique du ministère reste toujours prudent sur le plan matériel. Il rappelle les décisions de généralisation des ENT de la région Picardie, la semaine dernière, et les études en cours en Aquitaine. "Et puis les collectivités n'équipent pas seulement les classes de TBI - ces dispositifs collectifs qui permettent de maintenir un enseignement frontal -, mais équipent aussi les élèves individuellement", souligne le sous-directeur, glissant sur les questions pédagogiques. Malgré les difficultés financières, des départements, comme la Corrèze, équipent massivement leurs collégiens en tablettes tactiles, ou annoncent des "investissements impressionnants" comme dans le Val-de-Marne ou la Seine-Saint-Denis. Les villes "sautent le pas également", entraînées notamment par la volonté de suivre le plan Ecole numérique rurale (ENR). Enfin, l'expérimentation de manuels numériques scolaires devrait s'étendre aux élèves de 4e, suite à évaluation, dès la rentrée prochaine, alors qu'elle touche déjà 21 départements, 69 collèges, plus de 15.000 élèves et 1.000 enseignants.
Sous les efforts conjugués et, semble-t-il, mieux partagés de l'Education nationale et des collectivités, la "nouvelle révolution numérique" semble bel et bien engagée à l'école. Il faut dire que les dernières innovations, à l'exemple des iPad, brouillent de plus en plus les frontières entre matériels et services, entre ressources en ligne et contenus partagés, entre usages pédagogiques et culture de la vie courante.