E-éducation - Le numérique à l'école n'est pas qu'un problème de financement
Comment passer "de la craie à la souris" ? Trois tables rondes ont tenté de répondre à cette question, le 18 novembre au palais Bourbon, à l'occasion du quatrième Forum des décideurs sur le thème du numérique dans la politique des savoirs. Organisé par La Tribune, en partenariat avec l'Association des maires ruraux de France (AMRF), la Caisse des Dépôts et des géants industriels de l'informatique, ce rendez-vous a réuni "toutes les grandes vedettes de l'éducation numérique", comme l'a souligné en propos liminaires Jean-Michel Fourgous, auteur d'un rapport de référence sur le sujet. "Les outils pédagogiques se modernisent mais pas assez vite", a interpellé le député-maire d'Elancourt (Yvelines). Il faut donc lancer "la mobilisation générale" des collectivités territoriales, des enseignants, des inspecteurs de l'Education nationale...
"Mon département n'est pas qu'une terre de cathédrales, c'est aussi une terre numérique", a réagi Yves Rome, le président du conseil général de l'Oise. En trois ans, le département a investi 28 millions d'euros pour équiper 57.000 collégiens et enseignants d'ordinateurs portables contenant quelque 65 logiciels éducatifs. Le plan Ordi 60 s'est ainsi inspiré des initiatives pionnières des Landes ou des Bouches-du-Rhône. Il a cependant ajouté une plateforme interactive de soutien scolaire (Paraschool), un portail éducatif (Peo60) et un espace numérique de travail (ENT).
Dès 2003, l'ENT avait été identifié comme "le chaînon manquant entre les infrastructures réseaux, les usages, les contenus et les services", a rappelé Joël Boissière, responsable e-éducation au département du développement numérique des territoires de la Caisse des Dépôts. Dans ce domaine, les collectivités ont massivement investi puisque "5 à 6 millions d'usagers sur 12 [millions] seront bientôt connectés à une telle plateforme de services éducatifs, comme récemment en Ile-de-France ou dans les Pays-de-la-Loire", a poursuivi Joël Boissière. "S'il n'y a pas d'usage, il n'y a pas de valeur. Aucune collectivité n'acceptera désormais de financer s'il n'y a pas d'utilisation. Et ce n'est pas qu'une question d'argent puisqu'un ENT revient environ à 10 euros par élève et par an, un investissement immédiatement rentabilisé par les économies de timbres-poste faites par les directions de l'éducation des collectivités", a cependant prévenu le responsable e-éducation. Evidemment, "tout cela n'a de sens que s'il y a des réseaux. Tous les collèges publics et privés de l'Oise sont ainsi reliés à la fibre optique", a insisté Yves Rome, également président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca).
Equiper avec ou sans subvention
"Nous pouvons dire merci à la crise. Sans elle, il n'y aurait pas eu de plan de relance et sans relance pas d'écoles numériques rurales [ENR]", a lancé de façon volontairement provoquante Fabrice Dallongeville, maire d'Auger-Saint-Vincent (Oise) et membre de la commission TIC de l'AMRF. Le maire a rappelé que l'Etat avait apporté 50 millions d'euros puis une rallonge de 17 millions pour équiper de classes mobiles et de tableaux numériques interactif (TNI ou TBI) près de 8.000 écoles rurales en quelques mois. Désormais, l'AMRF demande un second plan ENR tandis que quelques problèmes de maintenance se posent. L'élu a notamment conté sa mésaventure : la société locale qui assurait la vente et le suivi de l'offre ENR a déposé le bilan…
A Elancourt, Anne Capiaux, maire-adjointe chargée des nouvelles technologies, a rappelé que sa commune avait supprimé certains budgets de communication (les voeux du maire, le 14 juillet, etc.) pour équiper toutes les classes de TNI et de chariots mobiles d'une trentaine de PC.
Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), la ville de l'ancien ministre de la Réforme de l'Etat Henri Plagnol, démarre un projet de recherche-action avec l'université Paris-Descartes : "Il y a beaucoup d'expériences magiques mais nous sommes encore très loin de la dissémination", a souligné Pascale Luciani-Boyer, maire-adjointe déléguée à l'accueil de l'enfant. Pour cette élue, également présidente de la commission éducation/TIC de l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif), le problème massif de déploiement ne dépend pas seulement de "la taille des tuyaux" (les réseaux), des financements des machines, des contenus pédagogiques, des services de l'ENT et de leurs usages, mais surtout du fait "d'avoir les compétences locales pour mener les projets en partenariat avec l'Education nationale et les parents".
Plan national pour les TICE
"A ceux qui demandent où sont les pépettes [sic], je réponds que le budget de l'Education nationale a progressé de 30% en dix ans. Nous ne pouvons plus mettre davantage de moyens publics. Ou alors dites-moi où les trouver ? Ceux qui attendent du ministre Luc Chatel un chèque de 10 ou 12 milliards pour les équipements seront déçus. Le plan numérique à l'école annoncera plutôt un certain nombre de micromesures intelligentes et des partenariats avec les collectivités qui, elles, ont encore des moyens", s'est avancé Jean-Michel Fourgous dont le rapport "Réussir l'école numérique" a servi à préparer le plan national.
Depuis son entrée en fonction à la tête du ministère, Luc Chatel, confirmé à son poste dans le nouveau gouvernement Fillon, ne cesse de répéter que le numérique est l'une de ses priorités. Il annonce l'approche de son plan pratiquement chaque mois depuis plus d'un an. Il devrait avoir au moins deux occasions de lever le voile sur ses propositions innovantes dans les jours qui viennent : le salon Educatice et le congrès des maires se déroulent en parallèle, comme chaque année, à la porte de Versailles, du 23 au 25 novembre. Beaucoup espèrent que la montagne accouchera de plus d'une souris !