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Education - Ecole : les inégalités entre les communes se creusent

Faute d'une définition des responsabilités entre Etat et commune, on ne sait qui doit financer quoi, avertit un rapport de la Cour des comptes.

"Il y a désormais autant d'écoles différentes que de communes", a constaté en préambule Philippe Séguin lors de la présentation du rapport de la Cour des comptes "Les communes et l'école de la République", le 16 décembre. L'enquête de la Cour et de quatorze chambres régionales des comptes a porté sur 14 académies et 150 collectivités avec pour objectif l'examen de la gestion de l'école par les communes et l'articulation de leurs initiatives avec celles de l'Etat. L'école, premier des services publics (avec 6,6 millions d'élèves et 350.000 enseignants) est "une compétence de base de la commune, mais elle a la particularité d'être une politique publique partagée avec l'Etat, dont le contenu et les modalités d'exercice ont beaucoup évolué", indique le rapport. L'Etat finance 60% des dépenses liées à l'école, les collectivités 40%, "mais les frontières entre ces deux acteurs se sont obscurcies avec la décentralisation et la montée en puissance de nouveaux enjeux éducatifs".

 

Qui fait quoi ?

Le partage des compétences entre la commune (prenant en charge la construction des écoles et le fonctionnement du matériel) et l'Etat (responsable de la fixation des programmes et du recrutement des enseignants) a été fortement modifié. Faute d'une définition précise des responsabilités de chacun, "la question du 'qui fait quoi' ne peut plus recevoir de réponse définitive", s'est inquiété le premier président de la Cour des comptes. "En conséquence, les inégalités se creusent sans que l'on puisse précisément les mesurer, ni, a fortiori, les corriger."
A titre d'exemple, l'Etat n'a pas tranché sur le caractère obligatoire ou non de l'acquisition par les communes, du matériel informatique à usage pédagogique. "Dans quelle catégorie classer l'ordinateur, ses logiciels, sa connexion au réseau ?", s'interroge le rapport. Conséquence tout aussi grave, a noté Philippe Séguin, les résultats de "ce flou juridique sont de grandes disparités d'équipement entre communes". Ainsi l'enquête a montré que les dotations pour les fournitures varient du simple au double : de 31 euros à 64 euros par élève. "C'est dire que l'école est 'plus ou moins' gratuite selon le lieu où l'on habite." Le même constat, "préoccupant" selon le président, s'applique aux dispositifs péri et extra scolaires et à l'accompagnement éducatif, relevant du libre choix des commune et non pas d'une obligation légale. Les prestations offertes varient en fonction des moyens dont disposent les communes et des décisions des élus. "Dans ces conditions, peut-on encore parler d'égalité des chances !", s'est exclamé Philippe Séguin résumant par deux termes le triptyque école / Etat / commune : inégalité et fragilité.

 

Carte scolaire : inégalité par confusion

Les responsabilités "s'entremêlent" dans la gestion de la carte scolaire, également source d'inégalité. Le président a pointé une "certaine confusion" dans les objectifs poursuivis (aménagement du territoire ? aide aux élèves en difficulté ?) et dans les responsabilités respectives communes / Etat. Le rapport insiste sur les difficultés pour les communes à établir la liste des élèves à scolariser ou les sous-dotations d'enseignants pour certaines zones en difficulté. Autre problème, la question de l'affectation des élèves dans les écoles qui relève de la responsabilité propre des communes. L'enquête montre "qu'un quart des communes n'ont pas mis en place de sectorisation et deux cinquièmes ne l'ont pas formalisée comme le veut la réglementation. Une large place est laissée au pragmatisme et aux dérogations, ce qui constitue autant d'atteintes au principe d'égalité."

 

Fragilité institutionnelle

Bien que les communes engagent des dépenses importantes en faveur de l'école, le rapport note que la plupart "n'ont pas su définir de politique éducative claire et lisible [...]. Cette politique légitimement présentée comme prioritaire est en fait très souvent sous-administrée". "Nous sommes convaincus que ces difficultés viennent avant tout d'une grande fragilité institutionnelle", a reconnu Philippe Séguin. La situation n'est guère satisfaisante du côté de l'Etat puisqu'aujourd'hui 4.200 postes de directeurs d'école sont vacants et près de 70% des écoles de deux à quatre classes n'ont pas de directeurs.
Résoudre le problème global de la direction des écoles, pousser à son terme la logique de la décentralisation, c'est-à-dire que "les communes se dotent d'une organisation administratives et comptable adéquate" sont quelques-unes des préconisations du rapport. La Cour des comptes recommande en résumé que les collectivités fournissent les informations nécessaires à l'analyse des différentes politiques éducatives ; la mise en place d'outils méthodologique et comptables permettant d'évaluer plus rigoureusement les différentes composantes de la dépense scolaire, pour pallier le "flou budgétaire et comptable qui entoure les politique éducatives des communes". Elle souhaite également que soit clarifiée la répartition des compétences en matière d'accompagnement de la scolarité et appelle à une répartition plus équitable des ressources au niveau intercommunal et national.
"Les récentes réformes (comme le service minimum d'accueil) auraient mérité une plus grande concertation avec les communes pour une meilleure prise en compte des spécificités et de l'organisation locales", a estimé le président pour qui le rôle de l'Etat "est moins d'imposer des politiques que d'intervenir, lorsque nécessaire, dans un rôle de péréquation et d'harmonisation". C'est là "le coeur du sujet", a conclu Philippe Séguin, ajoutant non sans malice : "Bien que le travail de la Cour s'inscrive dans le temps long, ce rapport est au coeur de l'actualité et des préoccupations du temps présent."

 

Catherine Ficat