Finances locales - Dotations, fiscalité, investissement... 2014, année de la "rupture" ?
L'année 2014 n'aura pas été une année comme les autres pour les finances des collectivités locales. Celles-ci ont en effet été marquées par plusieurs "événements structurants" : une baisse des dotations de l'Etat à un niveau "unique dans l'histoire des collectivités" (-1,5 milliard d'euros), la création de nouvelles ressources pour les départements et la montée en charge de la péréquation… sans oublier les élections municipales, "qui ont toujours un impact". C'est ce que relève Thomas Rougier, directeur des études à la Banque postale Collectivités locales, qui présentait le 16 avril à la presse la dernière Note de conjoncture des finances locales (le 16 avril au matin… donc quelques heures avant que Manuel Valls ne détaille son plan d'économies impliquant les collectivités et avant, aussi, que ne soit présenté le rapport Malvy-Lambert sur le redressement des finances publiques).
Une année assez spéciale, surtout, par les "tendances" qui se dessinent (des tendances qui devront certes encore être confirmées lorsque toutes les collectivités auront adopté leur budget) et que la Banque postale avait déjà vu venir dans sa précédente Note en octobre dernier. La première d'entre elles est notable : "La pause fiscale se poursuit."
Pour l'ensemble des collectivités, les taux n'augmenteraient que de 0,1%. C'est "historiquement bas", commente Thomas Rougier. Le graphique représentant l'évolution des taux des impôts directs locaux (taxe d'habitation, foncier bâti, foncier non bâti, CFE) au fil des dernières années (p. 12 de la Note) est éloquent : si depuis 2009, les régions ont de facto disparu des écrans radars et si le bloc communal n'a eu de cesse de ralentir ses hausses annuelles de taux, cette année, même les départements qui avaient jusqu'ici affiché des hausses annuelles frôlant les 2% optent pour la stabilité fiscale. "Seul un département sur neuf va augmenter ses taux de foncier bâti", illustre Thomas Rougier, qui lie notamment cela à la nouvelle possibilité qu'ont aujourd'hui les départements d'augmenter leurs taux de DMTO. Même chose pour le bloc local, ce qui représente "un événement important", considère-t-on à la Banque postale, sachant que le contexte électoral y est sans doute pour beaucoup mais n'explique pas tout.
Avec ce taux qui n'augmente que de 0,1%, le produit fiscal de ces mêmes impositions directes (64,3 milliards d'euros) augmente de 2,4%. Le produit de CVAE (que la Banque postale classe à part car sans pouvoir de taux), qui représente 15,6 milliards, devrait quant à lui connaître une baisse entre 2013 et 2014 : -4,5%. "C'est une mauvaise nouvelle qui touche tous les niveaux de collectivités", souligne Thomas Rougier, indiquant que plusieurs causes se cumulent probablement : contexte économique, contrecoup après une forte hausse en 2013, entreprises ayant affiné leurs méthodes d'optimisation… A périmètre constant, le produit fiscal des collectivités augmente ainsi au total de 1,2%. Commentaire : "Cela doit être la plus faible hausse de l'histoire des collectivités !" Il augmente toutefois davantage (+3,3%) si l'on inclut les 2,6 milliards de nouvelles ressources fiscales (DMTO, TICPE, frais de gestion).
Quelle baisse de l'investissement local à partir de 2015 ?
Des dotations en baisse et une fiscalité circonspecte… et, en face, des dépenses de fonctionnement (frais de personnel, dépenses de gestion, dépenses d'action sociale…) restées relativement dynamiques (la croissance des charges de fonctionnement est estimée à 2,8%). Les autres grandes tendances pointées par la Banque postale ne seront alors guère surprenantes : baisse de l'épargne et baisse des investissements…
L'épargne brute des collectivités (excédent des recettes par rapport aux dépenses de fonctionnement : 35,7 milliards d'euros) diminue en effet de 6%. Et diminue pour la troisième année consécutive, ce qui n'était jamais arrivé. Cela vaut pour tous les niveaux de collectivités.
Conséquence directe de ce repli des marges d'autofinancement, les dépenses d'investissement des collectivités devraient être en nette baisse cette année : une baisse de 5,6%, pour s'établir à 52,4 milliards d'euros. La baisse logique pour le bloc local en année électorale ne devrait en effet pas être compensée par les autres niveaux, notamment pas par les départements qui semblent limiter leurs programmes d'investissement.
Dans ce contexte, le recours à l'endettement devrait finalement rester assez élevé, bien que légèrement plus faible qu'en 2013. "L’encours de dette atteindrait 172,7 milliards d’euros, en progression de 2,6%, contre +4,0% par an en moyenne sur les cinq années précédentes", résume la Banque postale.
Au-delà de 2014 et de sa Note, la direction des études de l'établissement prêteur s'est prêtée à un exercice d'anticipation sur les trois années suivantes… et sur la baisse des dotations telle qu'énoncée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. On voit ainsi qu'une baisse de 10 milliards d'euros des concours financiers de l'Etat aux collectivités d'ici 2017 représenterait par an une baisse de 7,4% des dotations de fonctionnement. En retenant par ailleurs une série d'hypothèses médianes d'évolution (recettes courantes évoluant de 3% par an, dépenses de fonctionnement augmentant de 2% par an, recettes d'investissement représentant 20% de la dépense, encours de dette en hausse de 1,9% par an), Thomas Rougier constate que l'on passerait alors de 52,4 à 41,2 milliards d'euros d'investissement local entre 2014 et 2017, soit une baisse de l'investissement local de 11 milliards. Lorsque le chef du gouvernement parle aujourd'hui de 10 ou 11 milliards d'économies à réaliser du côté des collectivités locales, il est peu probable qu'il songe à de larges coups de rabot sur le fonctionnement, et non à des milliards d'euros d'investissement en moins.
Certes, ce chiffre de 11 milliards d'euros d'investissements en moins pourrait être corrigé. Par exemple en limitant la hausse des dépenses de fonctionnement à 1% au lieu de 2%, même si cela "serait très difficile, notamment pour les petites collectivités et pour les départements" et que cela dépendra beaucoup de "l'effet prix" (inflation). Ce serait même "du jamais-vu". Dans ce cas, la baisse de l'investissement ne serait plus que de 4,3 milliards.
De tels scénarios ont de quoi inquiéter, notamment, le secteur du BTP, note-t-on à la Banque postale. Mais aussi les satellites ou partenaires des collectivités locales : acteurs du logement social, hôpitaux, secteur associatif (que ce soit sur le volet commande publique ou subventions), secteur de l'économie sociale et solidaire, petite enfance, services en milieu rural… "Ce serait une vraie rupture", a commenté Serge Bayard, président de la Banque postale Collectivités locales, jugeant que "la partie recettes devient vraiment difficile" et que pour "mesurer l'impact de tout cela", il faut en effet s'intéresser "à tous les services publics de proximité" et pas seulement aux comptes des collectivités.
Jean-Pierre Balligand quant à lui, en tant que président du comité d'orientation de la Banque postale, prévoit que les réponses des collectivités seront différentes selon les niveaux concernés. Pour le bloc local, dans la mesure où de nombreux candidats aux municipales s'étaient engagés à ne pas faire marcher le levier fiscal et où "les nouveaux élus vont forcément vouloir faire de l'investissement en début de mandat", la seule marge de manoeuvre sera bien celle des dépenses de fonctionnement et donc notamment des dépenses de personnel. Pour les départements, en revanche, les charges de fonctionnement, y compris les dépenses de personnel, sont beaucoup plus difficilement compressibles. Résultat : les conseils généraux "risquent de se diriger vers une baisse de l'investissement, par exemple en différant un certain nombre de travaux sur les routes ou les collèges…".