Finances - Rapport Lambert-Malvy : des contrats Etat-collectivités pour limiter les dépenses locales
L’Etat et les collectivités territoriales ne devront pas dépenser un euro supplémentaire d’une année sur l’autre, tandis que la Sécurité sociale devra se contenter d’une progression de ses dépenses de 2%, inflation comprise. Ce sont les objectifs de dépenses que les anciens ministres du Budget Alain Lambert et Martin Malvy proposent d’assigner aux administrations publiques, dans le rapport qu’ils ont remis le 16 avril au président de la République. Quelques heures plus tôt, le Premier ministre avait chiffré à 11 milliards d’euros le montant des économies que le secteur public local devra réaliser entre 2015 et 2017 (lire notre article ci-contre).
Pour réduire à 3% du PIB son déficit public en 2015 tout en finançant les baisses d’impôts et de charges, la France n’a pas d’autre choix que de fixer des contraintes plus fortes en matière de dépenses publiques. La loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour 2013-2017 fixait à 0,7% en volume l’évolution des dépenses publiques totales sur cette période (0,5% en intégrant le financement du CICE). Dans le détail, elle prévoyait la parfaite stabilité des dépenses de l’Etat (hors charge de la dette et pensions) et la progression de 0,7% en volume de celles des collectivités territoriales. Une progression des dépenses de la Sécurité sociale de 1,1% en volume était par ailleurs programmée.
Les recommandations de la mission Malvy-Lambert consistent donc essentiellement à durcir les contraintes auxquelles sont soumises les collectivités territoriales. Le défi est exigeant pour le secteur local, dont les dépenses au cours des dernières années ont augmenté plus rapidement que le PIB, rappelle le rapport. En 2014, celles-ci devraient atteindre 230 milliards d’euros.
Des objectifs financiers négociés
Contrairement à certaines informations apparues dans la presse au mois de mars, le rapport n’entend pas imposer de norme de dépenses : cela serait contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. La mission privilégie plutôt une "approche partenariale" fondée sur le "dialogue", la "confiance" et la concertation en amont des décisions concernant les politiques et les finances publiques. Cet état d’esprit se traduit par le souhait de la création par décret d’une instance de dialogue national, copie du Haut Conseil des territoires rejeté en décembre dernier par les sénateurs. L’instance qui se réunirait deux fois par an au minimum permettrait au gouvernement de consulter les représentants des associations d’élus locaux sur les décisions concernant les collectivités.
Dans le domaine financier, il est fait le pari d’une contractualisation sous la forme d’un "pacte triennal" entre l’Etat et chacune des 150 plus grandes entités du secteur public local (soit les régions, les départements et les agglomérations de plus de 200.000 habitants). A elles seules, ces collectivités sont responsables de 60% de la dépense publique locale. Ce pacte fixerait, d’une part, les engagements des collectivités en matière d’évolution des dépenses, d’endettement et de maîtrise des prélèvements. Il pourrait contenir aussi des "objectifs de mutualisation voire de regroupement de collectivités". D’autre part, il fixerait le niveau des dotations de l’Etat. Les collectivités concernées seraient libres de signer le pacte, en sachant qu’un système de bonus-malus les inciterait à le faire. En effet, en signant le pacte et en respectant leurs engagements, les collectivités signataires obtiendraient davantage de dotations. Celles qui refuseraient ce cadre auraient en revanche moins de dotations.
Impôts communaux plus encadrés
Malgré ce dispositif, les communes et leurs groupements pourraient être tentés de ne pas entrer dans la démarche contractuelle et de maintenir une évolution forte de leurs dépenses, pressentent Martin Malvy et Alain Lambert. Contrairement aux départements et aux régions, le bloc local a conservé un pouvoir de taux relativement important. Il pourrait s’en servir pour pallier la baisse des dotations de l’Etat. Les présidents du conseil régional de Midi-Pyrénées et du conseil général de l’Orne préconisent donc d’encadrer plus fortement les marges de manoeuvre fiscales du bloc local. Il s’agirait de "stabiliser la valeur des bases de taxe d’habitation" et de limiter les possibilités d’augmenter les taux de fiscalité communale d’une année sur l’autre.
En matière d’investissement, la mission préconise que les choix faits par les élus locaux prennent mieux en compte la création de valeur engendrée par chaque projet. Elle propose en outre de tenir compte des coûts de fonctionnement induits par une dépense d’équipement et de provisionner une année de fonctionnement lors du vote de cette dépense. Cela revient à renforcer la "règle d’or" selon laquelle les collectivités n’empruntent que pour leurs dépenses d’investissement.
Pas de "big bang" territorial
Pour que la stabilité de leurs dépenses ne conduise pas les collectivités à fermer des services publics prioritaires et à réduire leurs investissements, la mission recommande une profonde réorganisation territoriale. Le but est de dégager des gains de productivité. On ne peut toutefois parler de "big bang" territorial.
La mission prône en premier lieu une clarification des compétences entre les collectivités territoriales et l’Etat déconcentré en allant au bout de la décentralisation. Elle s’en prend ainsi à de nombreux et coûteux doublons. Il est temps d’y mettre fin, par exemple dans le domaine de la culture, en laissant les collectivités être les seules responsables, propose le rapport. Cela implique que les agents de l’Etat concernés soient transférés aux collectivités territoriales. Le rapport va plus loin en préconisant que l’Etat puisse confier certaines de ses compétences non régaliennes à des collectivités.
Une clarification doit aussi avoir lieu entre les collectivités territoriales elles-mêmes, estime le rapport. Qui recommande pour cela la suppression de la clause générale de compétences des départements et des régions. Le Premier ministre a déjà entériné cette mesure, qui devrait figurer dans le prochain projet de loi de décentralisation. Le rapport n’exclut pas l’existence de compétences partagées, mais dans ce cas, deux catégories de collectivités, et pas plus, pourraient agir. En parallèle, les cofinancements seraient plus strictement encadrés.
Une région renforcée, un département modernisé, mais maintenu en milieu rural, et des communes davantage intégrées à une intercommunalité plus puissante : telle est l’organisation territoriale que prône la mission. Alors que le Premier ministre a souhaité que le nombre des régions soit divisé par deux, la mission indique seulement qu’"il faut s’interroger sur le découpage territorial des régions". Ce niveau de collectivité doit disposer d’une taille critique pour exercer sa compétence en matière de développement économique, une compétence qu’il convient de renforcer, explique-t-elle.
Moins de structures satellites
Les scénarios d’évolution du département sont assez ouverts : disparition dans les métropoles, repli sur les territoires ruraux, mais aussi transformation à long terme en institution fédératrice des intercommunalités. En milieu rural en particulier, le département garde tout son sens, estime la mission. Il pourrait exercer des compétences de proximité pour le compte de la région, tandis qu’il pourrait permettre la mutualisation de certaines compétences communales et intercommunales. En aucun cas, la mission ne préconise de supprimer le conseil départemental partout dans l’Hexagone, comme l’a souhaité le Premier ministre à l’échéance de 2021.
Considérant les communes comme trop nombreuses, les deux élus voient d’un bon oeil des fusions (en activant la commune nouvelle créée par la loi de réforme des collectivités territoriales). Les deux élus appellent de leurs voeux une "intégration intercommunale plus forte" et n’hésitent pas, pour cela, à fixer un objectif (60% des dépenses des communes et des intercommunalités réalisées pour le compte de l’intercommunalité à un horizon de six ans). En outre, la dotation globale de fonctionnement serait versée aux seules intercommunalités, à charge pour elles de la répartir entre leurs communes membres.
La mission préconise encore une "baisse sensible" du nombre des satellites des collectivités locales en fusionnant les structures existantes ou en réintégrant leurs missions au sein des collectivités. Elle vise en particulier les agences de développement économique. Elle propose aussi que les départements "absorbent" les centres de gestion qui sont compétents dans le domaine de la fonction publique territoriale. Le duo Lambert-Malvy entend enfin "réduire significativement le nombre de syndicats de communes" (10.198 actuellement).
De manière assez étonnante, le rapport n’évoque pratiquement pas les dépenses de personnel des collectivités territoriales qui sont pourtant l’une des premières dépenses des collectivités. A l’instar de la Cour des comptes dans son dernier rapport public, il appelle les collectivités à appliquer la durée annuelle légale du travail (1.607 heures) lorsque ce n’est pas le cas.