Finances locales - Investissement : les collectivités devront être plus sélectives
Dans un contexte financier dégradé, les dépenses d'investissement direct des communes et de leurs groupements à fiscalité propre sont demeurées dynamiques en 2013. Selon des données provisoires de la direction générale des finances publiques (DGFIP), ces dépenses d'investissement consenties par les communes ont progressé, sur un an, de plus de 10%, quand celles des intercommunalités ont connu une augmentation de près de 9%.
Mais la priorité donnée à l'investissement par les élus des communes et des groupements a eu son revers : la dégradation de la capacité d'autofinancement brute des communes et de leurs groupements à fiscalité propre. Toujours selon les premières données de la DGFIP, celle-ci aurait baissé de 8% entre 2012 et 2013, après une première réduction de 1,5% entre 2011 et 2012.
La réduction des concours financiers de l'Etat et la décélération, voire la baisse ici ou là, du produit de la fiscalité sur les entreprises, risquent d'accroître les difficultés de financement de l'investissement, alors que, on le sait, les charges des collectivités s'alourdissent, notamment sous l'effet des nouvelles normes. Au-delà du simple trou d'air qui sera certainement observé, en 2014 et 2015, du fait du nouveau mandat, l'investissement du "bloc local" pourrait donc chuter durablement. Le risque est à prendre très au sérieux : atteints plus tôt par les difficultés financières, les départements et les régions ont déjà réduit de trois milliards d'euros le volume annuel de leurs investissements par rapport à la situation qui prévalait avant le début de la crise.
"On nous dit qu'il y a de la graisse à perdre"
Or, les dépenses d'investissement des communes et de leurs groupements, de l'ordre de 29,5 milliards d'euros en 2012, sont vitales pour certains secteurs, comme les travaux publics. Toute décélération de leur part, pourrait frapper de plein fouet bon nombre d'entreprises. Au-delà, c'est l'attractivité des territoires qui, elle-même, est en jeu, comme l'a fait remarquer Jacques Chabot, président de la communauté de communes des 4 B Sud Charente, lors de la journée "finances" organisée le 31 janvier à Paris par l'Assemblée des communautés de France (ADCF). Comme d'autres, cet élu est bien décidé à tout faire pour préserver la capacité de l'investissement public local.
Et des solutions, il en existe, comme l'a par exemple montré Nicolas Portier, délégué général de l'ADCF. Serrer les dépenses, optimiser les coûts de gestion des services publics locaux, mutualiser les dépenses, grouper les commandes, mobiliser les excédents "dormants", sont autant de pistes possibles permettant de dégager localement des marges de manœuvre au profit de l'investissement. Les élus des communes et de l'intercommunalité peuvent aussi passer des accords sur le partage de la fiscalité entre leurs échelons, ou sur l'affectation des versements du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic). C'est ainsi que la communauté d'agglomération Porte de l'Isère a retrouvé de l'air, notamment pour continuer à investir. "Revoir l'organisation du territoire, il faudra un jour s'y pencher", ajoute Jacques Chabot, qui n'en dit pas plus.
Mais certains ont le sentiment d'avoir déjà abattu leurs cartes. "Nous avons déjà fait les mutualisations. Alors, nous vivons très mal, quand on nous dit qu'il y a de la graisse à perdre et des gains à faire", témoigne le président de la communauté de communes du Pays Glazik (Finistère).
Connaître les coûts de fonctionnement induits par les investissements
Quelle que soit l'importance des marges retrouvées, il est certain que les élus locaux seront conduits à hiérarchiser de plus en plus leurs choix en matière d'investissements. Dans un cénacle composé essentiellement d'édiles, l'idée que ce rôle leur échoit ne fait pas polémique. "Dans un monde décentralisé, cette question relève des collectivités locales elles-mêmes", observe Guy Gilbert, professeur à l'Ecole normale supérieure de Cachan. Mais "il faut leur donner les moyens d'un choix raisonné", ajoute l'expert. Or, c'est là que le bât blesse. "Les collectivités ne sont pas toutes bien outillées pour apprécier les conséquences de leurs choix en matière d'investissement", explique-t-il. Notamment, la connaissance des coûts moyens de fonctionnement induits par les équipements, en fonction de leur nature, serait précieuse, fait remarquer Charles-Eric Lemaignen, président de l'agglomération d'Orléans Val de Loire et vice-président délégué de l'ADCF. A condition, précise-t-il, que ces indications n'aient pas vocation à s'imposer comme des normes. La question est primordiale, quand on sait que les coûts de fonctionnement engendrés par les investissements s'élèvent, en moyenne, à 18 centimes par an pour chaque euro investi. Consciente des enjeux, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes travaillent à mettre à jour les "facteurs déterminants" de l'investissement local. "Les investissements ne sont pas toujours indispensables et ne présentent pas toujours la même capacité de levier", commente Christian Martin, conseiller-maître à la Cour. Au final, les magistrats devraient établir une typologie des investissements, qui figurera dans un rapport sur les finances locales à paraître en 2015.
A l'échelle nationale aussi, de nombreuses décisions pourraient contribuer à favoriser l'investissement des collectivités. Ce 31 janvier, Nathalie Biquard, chef du service des collectivités locales de la DGFIP, a même pris un engagement. En 2014, les services de l'Etat en région informeront les collectivités et les intercommunalités un mois plus tôt, soit début novembre, de l'évolution de leurs bases de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une taxe qui a fait la preuve, en 2013, de son caractère très fluctuant. En plus, les services de la DGFIP auront davantage d'outils permettant d'expliquer aux collectivités les évolutions de leurs assiettes fiscales. Cela devrait aider les intéressées à construire leurs budgets annuels, même s'il est vrai que l'élaboration de plans pluriannuels d'investissement devrait rester une opération compliquée.
Observatoire de l'investissement public local
Sur le plan national encore, le cadre d'emploi des multiples fonds de soutien aux projets locaux (dotation d'équipement des territoires ruraux, fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, etc.) pourrait faire l'objet d'une remise à plat, préconise l'ADCF. Objectif : éviter le saupoudrage. Fixer un véritable moratoire sur les charges de gestion imposées aux exécutifs locaux serait source d'économies substantielles, ajoute l'association. Selon elle, il serait par ailleurs opportun d'optimiser les choix des investissements au sein des territoires par des programmes pluriannuels contractualisés entre l'Etat et les collectivités. Pour mettre en œuvre l'ensemble de ces solutions, l'ADCF préconise la mise en place d'une conférence nationale de l'investissement public. Une demande qui intervient après le rejet par le Parlement du Haut Conseil des territoires, un temps prévu dans le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale.
Enfin, l'ADCF propose de créer un observatoire de l'investissement public local, avec des partenaires, tels que La Banque postale ou la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), afin d'avoir une connaissance fine de l'investissement. "Les commandes les plus importantes en nombre correspondent à de petites opérations, pour des montants unitaires de 100.000 euros en moyenne", précise Nicolas Portier. Les investissements des communes et de leurs groupements sont en priorité consacrés à l'aménagement urbain (2 milliards d'euros), aux services urbains (800 millions d'euros), aux interventions économiques (600 millions d'euros) et au logement (500 millions d'euros). Il s'agirait d'aller au-delà de la connaissance de ces grandes masses.