Dernier tour de chauffe pour le rétrofit ?

En dépit de vents favorables – nécessaire décarbonation des mobilités, promotion de l’économie circulaire… –, le rétrofit peine à déployer ses ailes. Notamment en cause, de coûteux développements que les crises du Covid et de la guerre en Ukraine n’ont guère favorisés. Ses promoteurs veulent néanmoins croire que 2023 sera l’année de l’envol. Restera à trouver rapidement le rythme de croisière, alors que le marché est théoriquement éphémère.

Le rétrofit – processus consistant à substituer à la motorisation thermique d’un véhicule une motorisation électrique – a des allures de monstre du loch Ness. Tout le monde en a entendu parler, mais personne n’a encore pu vraiment l’apercevoir. 

Demande réelle…

La demande n’est pas en cause. Les collectivités – parmi d’autres – montrent beaucoup d’appétence pour cette solution. Singulièrement pour les véhicules utilitaires légers (VUL). Une étude de l’Ademe publiée en mars 2021 souligne que "c’est un segment du parc particulièrement ciblé par les autorités locales dans la mise en place des ZFE-m" (zones à faibles émissions-mobilité). L’Ademe relève que la "customisation" de ces véhicules augmente leur valeur résiduelle. Or en conservant le planeur (la "carcasse"), le rétrofit permet de retarder l’échéance de la mise à la casse tout en permettant d’atteindre les objectifs de décarbonation. Une solution d’autant plus attractive "que l’offre de véhicules électriques d’occasion est quasiment inexistante", pointe l’étude.
L’autobus est également visé, pour des raisons proches : "La valeur résiduelle d’un bus se trouve davantage dans sa carrosserie et ses aménagements intérieurs spécifiques que dans sa chaîne cinématique", estime l’Ademe. L’organisme pointe en outre le fait que "les collectivités et leurs groupements doivent acquérir ou utiliser lors du renouvellement de leur parc 50% de véhicules à faibles émissions depuis le 1er janvier 2021 et la totalité de leur parc d’autobus et d’autocars à partir du 1er janvier 2025".

"Les collectivités sont extrêmement demandeuses de bus et de véhicules utilitaires légers", confirme Damien Pichereau, l’un des principaux promoteurs du rétrofit lorsqu’il était député, et désormais directeur commercial et des relations institutionnelles chez REV Mobilities, l’un des "rétrofiteurs" reconnus sur le marché. "Elles sont d’autant plus intéressées que leurs véhicules font généralement peu de kilomètres et sont correctement entretenus", précise David Rauscent, coach qui conseille REV Mobilities

… mais une offre encore absente

La difficulté tient pour l’heure à l’absence d’offre. Si le rétrofit est permis depuis un arrêté du 13 mars 2020, les véhicules peinent toujours à sortir des ateliers. "Pour l’heure, seuls un modèle de 2CV, de 4L et d’un Trafic ont été homologués", concède Damien Pichereau (la société TOLV vient par exemple de livrer le 26 janvier le premier Renault Trafic rétrofité à la ville de Montreuil, afin que les agents de cette dernière puissent l’expérimenter et valider la capacité du garage municipal à prendre en charge le dispositif). "Contrairement à l’Allemagne par exemple, où c’est une réception à titre isolé qui prévaut (véhicule par véhicule), la France a fait le choix d’une homologation série [entendre par exemple non pas la Twingo, mais la Twingo II RS produite entre 2008 et 2013], explique l’expert. C’est pénalisant à court terme, mais plus viable à long terme, en permettant une réelle industrialisation. Une fois l’homologation obtenue pour une série, vous pouvez rétrofiter autant de véhicules que vous le souhaitez sans avoir à repasser devant l’Utac (Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle)". Damien Pichereau voit également dans cette réglementation contraignante un atout : "La France est la mieux disante au niveau mondial. J’ai bon espoir qu’on bénéficie ainsi d’une forme de label. En Angleterre ou aux USA, le rétrofit est peu encadré, ce qui ne permettra guère les exportations".

Victime du Covid

Pour l’ancien élu, le retard pris par la filière ne tient toutefois pas tant à la réglementation – dont il est en partie à l’origine – qu’au Covid et à la guerre en Ukraine : "Rappelons que la réglementation est sortie en plein confinement. Surtout, ces deux crises ont considérablement freiné les investisseurs. Beaucoup de start-up ont coulé à cause du Covid", explique-t-il. "Les coûts de développement sont extrêmement importants pour les rétrofiteurs, qui doivent notamment conserver le même poids et la même répartition de la masse au sein du véhicule. Ce qui n’est pas sans poser de difficulté pour l’autonomie des batteries", précise David Rauscent. REV Mobilities a fait le choix de développer et de faire homologuer ses propres batteries : "Là encore, cela demande davantage de temps, mais cela permettra une véritable industrialisation", justifie Damien Pichereau. 

20 millions d’euros pour soutenir la filière

Le gouvernement semble avoir pris la mesure des difficultés en annonçant le 18 octobre dernier la création d’un fonds de 20 millions d’euros pour soutenir la filière. "2023 marquera l’envol du rétrofit", veut croire Damien Pichereau. À dire vrai, il y a urgence. D’abord parce que c’est une solution transitoire – "un marché éphémère", indique l’Ademe. Avec l’interdiction de la vente de véhicules thermiques (en 2035 pour les véhicules particuliers), le stock de véhicules à convertir ira forcément décroissant avec le temps. Plus le coup d’envoi sera tardif, moins les espoirs de gains pour les rétrofiteurs seront élevés. Mais aussi pour la décarbonation des mobilités. Damien Pichereau relève qu’"on ignore encore comment les citoyens vont réagir en 2035. Les projections font état d’un équilibre thermique/électrique seulement en 2050, voire après, ce qui est trop tard pour l’atteinte de nos objectifs climatiques".  

Quand les contraintes donnent des ailes

Le déploiement des ZFE-m – "avec leur mise en place, 40% du parc ne pourra plus circuler d’ici le 1er janvier 2025", indique David Rauscent (un taux contesté - voir notre article du 10 janvier) – ou les contraintes de verdissement des flottes – la Commission européenne vient de proposer que les bus atteignent le 0 émission dès 2030 (voir notre article du 15 février) – devraient favoriser les conversions, alors que les véhicules neufs ne sont pas toujours au rendez-vous. "Les constructeurs font la course à l’autonomie, alors que cela ne répond pas aux besoins. Pour les VUL, le besoin d’autonomie est d’environ 60 km. Et pour les bus, une autonomie de 180 km répond à 80% des besoins", observe Damien Pichereau. "Beaucoup de lignes font moins de 120 km et pourraient être concernées", ajoute David Rauscent.  

Un écosystème à revoir

Damien Pichereau souligne toutefois qu’une "révision de l’écosystème est nécessaire". Et de préciser : "Il faut créer des offres de financement. Aujourd’hui, la banque ne peut pas récupérer le véhicule. Idem en matière d’assurance : le rétrofit implique de revoir la valeur du véhicule". Il convient encore de compter avec le déploiement d’un réseau de garagistes. "Un double agrément du rétrofiteur et de l’Utac est nécessaire", indique Damien Pichereau, qui mentionne également les "investissements nécessaires pour le stockage des batteries". En bout de course, se posent en outre les questions de décontamination et de recyclage. David Rauscent y ajoute "la frilosité des chauffeurs à conserver le même véhicule" - l’attrait du neuf reste important ! Autant d’éléments qui laissent entendre que si l’envol aura lieu en 2023, il faudra encore du temps pour que le rétrofit atteigne sa vitesse de croisière.

 
  • L’hydrogène, pour les véhicules lourds seulement

En matière de rétrofit, la batterie semble de loin l’emporter sur la pile à combustible. "Elle répond à 90% des usages, l’hydrogène étant valable seulement pour les longues distances, pour les véhicules lourds", estime Damien Pichereau. "Le car à l’hydrogène est approprié pour les services longs", confirme Amandine Allard, directrice clients chez Transdev Normandie. L’entreprise conduit actuellement avec une douzaine de partenaires normands une expérimentation d’un car rétrofité, âgé de 11 ans, à l’hydrogène – "le premier au monde". Après plus de 1.800 km de tests sur un banc d’essai, bardé de capteurs, et plus de 5.000 km de tests sur route, le car devrait entrer ces tout prochains jours en service sur la liaison Rouen-Évreux.
"Notre objectif était de conduire une véritable étude à 360°, en prenant en compte l’ensemble de l’écosystème. Technique, en incluant notamment les questions de sécurité avec les sapeurs-pompiers, avec la nécessaire adaptation des dépôts et des ateliers, qui doivent être aux normes Atex (atmosphère explosive), etc. Mais aussi sociologique, en prenant en compte le ressenti des habitants, des passagers, des conducteurs… L’objectif avec ce démonstrateur, c’est de s’assurer que l’on a bien soulevé toutes les questions", explique l’experte.
Ces dernières restent importantes. En matière de sécurité notamment (voir notre article du 7 février). "Il faut également modifier certaines dispositions du code de la commande publique. Mais l’interrogation la plus grande reste celle du coût de l’hydrogène vert", observe Amandine Allard. Non sans rappeler qu’un car à l’hydrogène, "c’est un car dont on transforme trois fois l’électricité, ce qui implique un rendement moindre. Notre car, c’est 10 bonbonnes en toiture". 

Outre "le prix de la pile et celui de l’hydrogène, se pose la question du réseau d’avitaillement. Il faut le réseau avant les véhicules", ajoute Damien Pichereau. Amandine Allard précise que c’est précisément "la volonté de la région Normandie de créer un terrain favorable à l’hydrogène, avec son plan Normandie Hydrogène lancé dès 2018", qui a motivé l’entreprise. "Près d’un tiers de la consommation nationale d’hydrogène se fait dans cette région", souligne-t-elle. Elle pointe en particulier le fait que "la région a installé, ou est en train de le faire, une dizaine de stations d’avitaillement, dont une de 50kg/jour à Évreux, déjà en service". Rappelons que plusieurs bus – neufs – roulent déjà à l’hydrogène. C’est le cas en Île-de-France, dans le Pas-de-Calais (voir notre article du 13 septembre 2019), à Auxerre ou encore à Pau, où le "surcoût" du dispositif a récemment fait l’objet de débats.

 

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