Logement - Délégation des aides à la pierre : comment passer le gué ?
"Aujourd'hui, la délégation des aides à la pierre est dans l'entre-deux : elle est la rencontre difficile entre un processus lancé par l'Etat et un processus porté par les collectivités." René Balllain, chercheur au Pacte-Cerat (Grenoble), intervenait lors la rencontre du réseau des acteurs de l'habitat du 30 novembre. Catégorique sur l'avenir de la délégation, il déclarait : "Il ne faut pas rêver : c'est un entre-deux durable qui va imposer aux acteurs du logement de s'interroger sur la redéfinition du rôle de l'Etat mais aussi sur le modèle des politique locales de l'habitat." La rencontre animée par l'Union sociale pour l'habitat, l'Acuf, l'ADCF, l'AMGVF et l'ADF, avec le soutien de la Caisse des Dépôts, était consacrée aux retours d'expériences et aux enseignements de la délégation opérationnelle depuis 2005. Le temps d'un premier bilan est venu et délégataires comme observateurs s'accordent à tempérer leurs propos sur le succès de la délégation des aides à la pierre. Le directeur de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction (DGUHC), Alain Lecomte, va plus loin : "En moyenne, les délégations ne font pas moins bien mais pas tellement mieux que l'Etat."
Construction de la cohérence
"Au milieu du gué ?, s'interroge le directeur de la DGUHC. Il y a des délégataires qui n'ont même pas trempé leurs pieds !" Selon une étude de l'USH réalisée auprès de quinze sites, à chaque étape de la procédure, deux catégories de délégataires se dégagent : les territoires qui assument pleinement la délégation et ceux où la prise de délégation est d'abord un acte politique. Si la communauté urbaine (CU) de Dunkerque ou le conseil général (CG) du Bas-Rhin lancent la programmation de leurs opérations en n-1, ou encore la communauté d'agglomération de Grenoble qui a choisi une programmation pluriannuelle, pour d'autres, comme la CU de Strasbourg ou la communauté de communes de l'agglomération Annemassienne, des efforts restent à faire. Alors que le Bas-Rhin signe avec les communes des contrats de territoires dans lesquels les communes s'engagent à prendre leur part dans les objectifs de production, le CG de l'Ain envisage seulement aujourd'hui la mise en place de contrats de développement avec les organismes. "Il faut arrêter l'entre-deux, a déclaré lors de débats du 30 novembre Guy Potin, adjoint au maire de Rennes, pour se mettre entre nous. La décentralisation nous donne l'opportunité d'arrêter de subir les politiques mais de les vouloir." Cet entre-deux se complique par le télescopage perpétuel avec des dispositifs comme celui de l'Anru, une concurrence entre territoires, un empilement de procédures spécifiques à chaque délégataire... Mais là encore, sur le terrain, des solutions voient le jour au fur et à mesure : le CG du Doubs a élaboré un circuit de travail inter-délégataires pour la garantie des emprunts des bailleurs. Le CG du Bas-Rhin a, quant à lui, mis en place un service départemental de l'aménagement et de l'urbanisme qui instruit les permis de construire pour les communes et apporte une assistance à maîtrise d'oeuvre pour les EPCI pour élaborer leur Scot ou leur PLU. Riche d'innovations, la délégation va-t-elle trouver sa vitesse de croisière ?
Perspectives ou menaces pour l'avenir ?
"Le Parlement doit aller jusqu'au bout", a déclaré Pierre Pribetich, député européen et vice-président du Grand Dijon. Passer de la délégation à la décentralisation ? Donner la gestion des sols aux EPCI ? Tous les intervenants à la journée du 30 novembre ont demandé instamment une plus grande cohérence, d'autant plus que se profile, à très court terme, l'épineux dossier du Dalo. En juin dernier et pour l'année 2007, l'Etat a revu à la hausse les objectifs des conventions pour intégrer les données de la loi du 5 mars 2007. "Comment augmenter de 20 à 30% notre production alors que le département a mis une enveloppe supérieure à celle de l'Etat et qu'il a déjà du mal à atteindre ses objectifs ?", s'interroge Serge Garot, conseiller général d'Indre-et-Loire. Bon élève s'il en est, la communauté urbaine de Dunkerque doit signer pour six ans sa nouvelle convention d'ici fin décembre mais pour Henri Loorius, vice-président de Dunkerque Grand Littoral, favorable à la décentralisation, les efforts entrepris par les collectivités risquent d'être mis à mal : "Nous avons mis au point, dès hier, la liste commune des 120 familles concernées par le Dalo et nous prévoyons dans le cadre de la convention de délégation, une clause limitant à deux réunions pas an, nos rencontres avec l'Etat." Comment les délégataires vont-ils pouvoir digérer une hausse des objectifs alors qu'un grand nombre peinent à réaliser ceux du plan de cohésion sociale ? Comment vont s'articuler le dispositif national Dalo avec les outils mis en place localement ? Les négociations entre l'Etat et les délégataires qui renouvellent leur convention en 2008 vont-elles détruire les efforts réalisés lors de ces premières années de délégation ? Autant de questions qui laissent un doute sur la direction que vont suivre les délégataires pour passer le gué : reculer ou avancer...
Clémence Villedieu
A lire : de mai 2006 à mars 2007, Localtis a illustré les problématiques de la délégation des aides à la pierre dans un espace alimenté par plus de 70 articles.