Habitat - Dalo : une obligation de résultat qui laisse encore à désirer
Le troisième rapport annuel du comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable, qui bénéficie désormais d'un certain recul, dresse un bilan mitigé du dispositif. En une phrase : le dispositif fonctionne plutôt correctement malgré des écarts importants, mais ne donne pas encore les résultats escomptés. Aussi, le comité de suivi propose-t-il, en cet "an II du Dalo", de donner "priorité à la bataille de l'offre".
Prévu par la loi du 5 mars 2007 instaurant le droit au logement opposable (Dalo) et mis en place par un décret du même jour, le comité de suivi est présidé par Xavier Emmanuelli, en sa qualité de président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
Le rythme des dépôts ne faiblit pas
A défaut d'être pleinement efficace, le Dalo a au moins le mérite de fonctionner, comme en attestent les chiffres fournis par le rapport. Ainsi, près de 100.000 recours amiables - très précisément 97.197 au 30 juin 2009 - ont-ils été déposés depuis le 1er janvier 2008 : 89.635 au titre du logement et 7.562 à celui de l'hébergement. Le rythme des dépôts de recours amiables ne faiblit pas et a même eu tendance à s'accélérer légèrement au premier semestre 2009. Parmi les motifs avancés à l'appui des recours, près de la moitié des demandeurs (46%) mettent en avant un délai anormalement long d'attribution de logement social. Parmi les autres motifs invoqués, les plus cités concernent la suroccupation avec un mineur ou une personne handicapée (19%), l'absence de logement et l'accueil chez des tiers (18%) ou encore la menace d'expulsion sans relogement (17%).
Le rapport du comité de suivi confirme également la très grande inégalité dans la répartition géographique des demandeurs. L'Ile-de-France représente en effet près des deux tiers (63%) des recours, dont 20% pour la seule ville de Paris. En province, les demandeurs se concentrent dans une dizaine de grands départements fortement urbanisés : Bouches-du-Rhône, Nord, Loire-Atlantique, Rhône, Var, Haute-Garonne, Hérault, Alpes-Maritimes, Isère et Gironde.
Autre enseignement statistique intéressant : parmi les 57.099 décisions déjà prises, les commissions de recours ont rejeté autant de demandes (45%) qu'elles en ont acceptées (47%), le solde correspondant à des recours devenus sans objet du fait d'un relogement intervenu entre-temps ou pour d'autres motifs. Ce résultat d'ensemble recouvre toutefois des écarts considérables selon les départements, qui révèlent à leur tour des approches très différentes en fonction des commissions. En province, les taux de rejet des recours vont ainsi de 12% dans l'Eure à 69% dans l'Hérault, en passant par 24% dans le Haut-Rhin et 39% dans les Bouches-du-Rhône. Les écarts sont tout aussi conséquents en Ile-de-France, entre les 25% de la Seine-et-Marne et les 74% du Val-d'Oise (40% à Paris).
Un verre à moitié vide ou à moitié plein ?
L'objectif final du Dalo reste évidemment le relogement des demandeurs. Sur ce point, les résultats souffrent de la montée en charge du dispositif. Au 30 juin 2009, les commissions avaient ainsi rendu 25.438 décisions favorables, dont 13.855 correspondant à la désignation du bénéficiaire à un bailleur par le préfet et 9.344 correspondant à des offres de logement faites par des bailleurs. A cette même date, 11.411 ménages avaient été effectivement relogés au titre du Dalo : 6.770 à la suite de la procédure et 4.641 hors procédure (avant ou après la commission). Le comité de suivi impute en effet ces derniers au crédit du Dalo, en considérant - non sans raison - que le dépôt et l'instruction du recours ont sans doute contribué à débloquer ou accélérer la prise en compte du dossier.
Au final, un taux d'accès au logement de 12% - 11.411 solutions trouvées, y compris hors procédure, pour 97.197 recours déposés - qui peut sembler assez faible au regard de l'obligation posée par l'article 1er de la loi Dalo du 5 mars 2007 (article L.300-1 du Code de la construction et de l'habitation) : "Le droit à un logement décent et indépendant [...] est garanti par l'Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'Etat, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir." Néanmoins, l'approche statistique retenue par le comité de suivi pénalise fortement ces résultats et ne permet pas vraiment d'avoir une idée précise de l'efficacité du Dalo. Raisonnant en flux et en stocks plutôt qu'en cohortes (par exemple : que sont devenues, un an après, les personnes ayant introduit un recours durant le premier semestre 2008 ?), l'approche choisie est particulièrement pénalisante en période de montée en charge du dispositif, avec des entrées qui croissent régulièrement et dont le rythme a même tendance à s'accélérer.
Des carences graves
Ce biais méthodologique ne doit toutefois pas obérer les critiques parfois sévères portées par le rapport. Outre les remarques déjà évoquées sur les écarts difficiles à expliquer entre départements, le rapport pointe ainsi une "instruction des demandes très inégale", qui pourrait expliquer les écarts relevés dans les délais de traitement des dossiers (fixés à trois ou six mois selon la taille des départements).
Mais le comité de suivi relève surtout "des carences graves" dans la mise en oeuvre des décisions. Selon le rapport, 17 départements soumis au délai de six mois (entre la décision et sa mise en oeuvre effective) "peinent à le respecter". Le cas le plus flagrant est celui de Paris, où 90% des décisions ne sont toujours pas mises en oeuvre à l'issue du délai de six mois, alors que ce taux de dépassement n'est que de 1% dans les Alpes-Maritimes, de 3% dans le Val d'Oise ou de 9% dans le Var. Des départements comme le Rhône, l'Isère ou la Gironde affichent même une absence totale de dépassements. Certains départements nettement moins emblématiques de la crise du logement - soumis pour leur part à un délai de trois mois - affichent également des retards importants : 48% en Corse-du-Sud, 40% dans l'Eure et les Pyrénées-Orientales... Ces retards se traduisent par une montée en charge de contentieux devant les juridictions administratives, sur lesquels le rapport ne fournit d'ailleurs pas d'informations statistiques, faute sans doute d'un recul suffisant.
Le rapport soulève également d'autres points comme le manque d'information et d'accompagnement des demandeurs ou la mauvaise prise en compte du droit au logement des gens du voyage, déjà pointée par la Halde et l'Agence européenne des droits fondamentaux (voir nos articles ci-contre des 21 et 23 octobre 2009).
Jean-Noël Escudié / PCA
Ces ménages qui refusent un logement
Le rapport 2009 du comité de suivi apporte un éclairage intéressant sur les refus par certains ménages des offres de logement ou d'hébergement qui leur sont faites. Le phénomène est loin d'être négligeable : au 30 juin 2009, 17% des ménages ayant reçu une offre de logement à la suite d'un recours dans le cadre du Dalo l'avaient ainsi refusée (1.639 refus pour 9.334 offres). Ce taux atteint même 36% pour les ménages ayant reçu une offre alternative au logement (solution d'hébergement). S'il peut paraître étonnant, ce taux de 17% de refus est pourtant nettement inférieur à celui constaté parmi l'ensemble des demandeurs de logements sociaux, qui est d'environ un tiers. Le comité de suivi estime que "ces refus sont cependant nombreux au regard du contexte du recours Dalo". S'appuyant sur les conclusions d'un groupe de travail mis en place sur la question, le rapport estime que ces refus témoignent à la fois des incompréhensions des demandeurs et des carences de l'offre. Plusieurs explications sont ainsi avancées : nature des logements proposés (taille, localisation...), "déni de la situation actuelle et [...] incapacité de mesurer l'écart positif que représente la situation proposée", incompréhension de la procédure, absence de réponse aux sollicitations... Pour sortir de cette impasse, le comité de suivi préconise notamment un renforcement de l'accompagnement des demandeurs, une bonne articulation entre le recours au droit et le dialogue, mais aussi le développement des parcours résidentiels et - bien sûr - la mise à disposition d'une offre mieux adaptée aux besoins.