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Logement - Dalo : "L'Etat ne peut pas rester hors la loi"

Le comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable (Dalo) a remis son quatrième rapport annuel. Avec un constat en forme de paradoxe : le rythme des relogements s'améliore nettement, mais beaucoup trop lentement pour absorber la montée des demandes. Sans oublier une question qui se pose avec les premiers prononcés d'astreintes par les tribunaux administratifs : l'Etat peut-il se mettre volontairement hors la loi en ne respectant pas une règle qu'il a lui-même posée ?

Présidé par Xavier Emmanuelli, le comité de suivi de la mise en œuvre du Dalo se livre, dans son quatrième rapport annuel, à un délicat exercice d'équilibre. D'un côté, le document reconnaît qu'"il est incontestable que le Dalo permet à des ménages en difficulté d'être relogés" et qu'"il est réel que l'administration et ses partenaires font plus et mieux qu'avant". Ces résultats sont d'autant plus méritoires que "le comité de suivi n'ignore rien du contexte de manque de logements abordables sur certains territoires". Mais, de l'autre côté, le comité estime que l'"on ne peut se satisfaire d'un droit respecté dans trois départements sur quatre", d'autant plus que ces départements en règle sont ceux où le problème se pose avec le moins d'acuité. Mais surtout, "il n'y a ni fatalité à ce que la loi Dalo ne soit pas partout respectée, ni automaticité à ce qu'elle le soit". Conséquence : le comité de suivi lance un "message d'alerte" et "appelle l'Etat à une implication sans faille : il ne peut pas rester hors la loi".

Un quasi doublement des recours


Le nombre de recours amiables déposés connaît une progression exponentielle. De 97.197 au 30 juin 2009, il est en effet passé à 182.082 au 30 juin 2010. Le rythme de ces dépôts est désormais d'environ 6.000 par mois, sur la France entière. Le rapport montre également un accroissement de la part des recours "hébergement", autrement dit en vue d'obtenir un accueil dans "une structure d'hébergement, un établissement ou un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale". Ceux-ci représentaient en effet 12% des recours déposés au premier semestre 2010, contre seulement 8,6% un an plus tôt. Avec toutefois des écarts qui peuvent difficilement s'expliquer par les seules différences dans la situation du logement : le part des recours hébergement va ainsi de 1% dans les départements de la région Paca à 29% dans les Yvelines et dans le Rhône.
Les disparités géographiques sont d'ailleurs l'une des caractéristiques majeures du Dalo. Sur ce point, le rapport 2010 ne fait que confirmer la tendance. L'Ile-de-France représente ainsi, à elle seule, 67% des dossiers déposés, dont 17% pour Paris, qui n'abrite pourtant que 3% de la population française. En province, les Bouches-du-Rhône tiennent la corde avec 5.346 dossiers déposés entre juin 2009 et juin 2010. Viennent ensuite six départements comptant plus de 1.500 dossiers (Loire-Atlantique, Rhône, Nord, Var, Haute-Garonne et Alpes-Maritimes) et cinq départements autour de 900 dossiers : Hérault, Isère, Gironde, Guyane et Oise. A l'autre extrémité, 59 départements reçoivent moins de dix dossiers par mois. Deux d'entre eux - les Deux-Sèvres et la Meuse - n'ont même reçu aucun recours depuis l'entrée en vigueur du Dalo, le 1er janvier 2008, et trois autres n'ont reçu aucun dossier entre juillet 2009 et juin 2010 (Cantal, Creuse et Aveyron).

Mieux, mais pas assez


Si l'on exclut les demandes classées "sans objet" (8,4% de demandeurs sont relogés avant le passage en commission), les commissions de médiation ont rendu 42% de décisions favorables sur les douze derniers mois. Ce taux est nettement inférieur à celui de 51% qui était observé à la fin juin 2009. Ce recul "qui interroge" - selon l'expression du rapport - s'explique en fait essentiellement par l'évolution de l'Ile-de-France. Si Paris affiche un taux de décisions positives de 55% - et de 50% en Seine-et-Marne et 40% dans les Hauts-de-Seine -, ce pourcentage tombe à 20% en Seine-Saint-Denis, 23% dans le Val d'Oise et 27% dans les Yvelines. Mais la principale inquiétude du comité de suivi porte sur la mise en œuvre des décisions favorables. Certes, le rapport montre que "les relogements ont connu une nette montée en charge au cours des derniers mois". Leur total est ainsi passé de 11.411 en juin 2009 à 27.533 en juin 2010 (+140%). On peut y ajouter 2.950 ménages hébergés à la suite d'un recours au titre du Dalo.
Mais la montée en charge très rapide des demandes fait que l'écart entre les personnes reconnues comme prioritaires par les commissions de médiation et celles effectivement relogées s'est encore amplifié. Au total, 26 départements enregistrent un retard (par rapport au délai d'attribution d'un logement aux ménages reconnus prioritaires) supérieur à dix dossiers. Ces retards restent toutefois très concentrés : au 30 juin 2010, on comptait ainsi 14.000 retards dans la mise en œuvre des décisions des commissions, dont 12.500 en Ile-de-France, dont 10.000 à Paris... Hors Ile-de-France, c'est la Guyane qui compte le plus de retards (337), loin devant les Bouches-du-Rhône (128) et le Var (122). La situation est très similaire pour les décisions d'hébergement, avec 37 départements enregistrant un retard supérieur à cinq dossiers. L'Ile-de-France représente toujours les trois quarts de ces retards, mais ce sont les Hauts-de-Seine qui, avec 663 retards, en concentrent l'essentiel (30% du total de la région).

Près de sept millions d'euros d'astreintes pour l'Etat


Enfin, près de trois ans après la mise en place du Dalo, le volet judiciaire du dispositif - autrement dit les recours devant les tribunaux administratifs de personnes déclarées prioritaires par les commissions et n'ayant pas obtenu de solution de relogement dans les délais légaux - est en pleine montée en charge. Entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010, 5.226 recours ont été déposés devant les tribunaux administratifs, dont 86,6% sur l'Ile-de-France et 57,6% sur le seul tribunal administratif de Paris. Sur les 4.844 jugements rendus au cours de cette période, 77,6% ont été favorables aux demandeurs, tandis que 16,7% concluaient à un rejet. A la fin du mois de septembre 2010, les 1.562 ordonnances de liquidation d'astreinte prononcées par les tribunaux administratifs atteignaient un total de 6,79 millions d'euros, soit une moyenne de 4.350 euros par ordonnance. Ainsi que le fait remarquer le comité de suivi, "ces chiffres seraient bien supérieurs si la loi du 25 mars 2009 n'était venue encadrer le montant des astreintes prononcées par les juges".

Des dérives à enrayer


Au-delà des aspects statistiques, le rapport du comité de suivi s'intéresse aussi à la dimension qualitative. Sur ce point, il observe notamment que "dans un contexte où préfectures et bailleurs sont en difficulté pour reloger, la tentation d'ajouter des critères de sélection à ceux prévus par le législateur se fait sentir". Le comité évoque notamment des refus fondés sur des motifs non prévus par les textes : demande de HLM jugée trop récente, refus de prendre en compte une menace d'expulsion au motif que le concours de la force publique n'a pas encore été requis... Autre faiblesse du dispositif Dalo : la très faible mobilisation du parc privé. Seuls 2,5% des relogements se font dans le parc privé et ce taux tombe même à 0,6% en Ile-de-France. Cette situation ne fait qu'accroître la pression sur le parc social, qui peine déjà à satisfaire la demande hors Dalo. Dans le même esprit, le comité de suivi rappelle que la mise en œuvre du Dalo ne peut pas s'abstraire des obligations de mixité sociale et "s'oppose à la présentation des 'ménages Dalo' comme une catégorie homogène, composée uniquement de personnes pauvres et en difficulté sociale". Sur ce point, il estime notamment que "le déficit de gouvernance territoriale s'oppose aussi bien à la mixité qu'au droit au logement".

Des pistes de solutions


Face à ces chiffres et à ces difficultés, le comité de suivi formule 26 propositions. Certaines sont des préconisations récurrentes ou dépassent le seul cadre du Dalo, comme celles relatives aux expulsions locatives, à l'accroissement du parc de logements ou au lancement d'un deuxième plan de cohésion sociale comportant des objectifs de production et des moyens territorialisés. D'autres sont plus originales et invitent au débat. C'est le cas, par exemple, de celle consistant à créer un opérateur dédié à la production de logements sociaux par "captation" de logements privés diffus. Selon le comité de suivi, trois opérateurs de ce type, regroupant les HLM et le secteur associatif, pourraient être créés respectivement en Ile-de-France, en Rhône-Alpes et en région Paca. Le comité de suivi entend également aider l'Ile-de-France à "sortir de l'impasse". Outre l'"interdépartementalisation des relogements dans le respect des demandeurs", il propose en particulier la création d'un syndicat du logement, une proposition qui figurait déjà dans le premier rapport du comité et vient d'être reprise par le récent avis du Conseil économique, social et environnemental. Ce syndicat jouerait notamment le rôle d'autorité organisatrice du logement dans la région (sur le modèle des transports). Enfin, le rapport ne manque pas de rappeler qu'une nouvelle échéance attend le dispositif à compter du 1er janvier 2012. A cette date, en effet, les demandeurs d'un logement locatif social confrontés à un "délai anormalement long" pourront, à leur tour, introduire un recours devant le tribunal administratif. Il reste donc un an pour "objectiver et unifier" le mode de fixation des délais anormalement longs, dans un contexte où ces délais varient aujourd'hui, selon les départements, de six mois à dix ans (Paris).
 

 

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