Décentralisation - Culture : les élus veulent jouer collectif
Venus du nord de l'Europe, les festivals, ces noces de la culture et du soleil, ont trouvé une terre d'élection sous le ciel de Provence. C'est dans l'un des plus célèbres d'entre eux, Avignon, que François Hollande s'est rendu, dimanche 15 juillet, pour rassurer un monde de la culture qui craint d'être sacrifié sur l'autel de la rigueur. Lui-même l'a reconnu : "Ce sera difficile de promettre à tous les secteurs des financements appropriés. Nous ferons l'impossible mais il y a forcément des limites. Il faudra aller à l'essentiel, faire jaillir la créativité dans notre pays." Pas facile dans ces conditions de faire croire à un avenir radieux. Le président, le premier a s'être rendu au Festival d'Avignon depuis la visite de François Mitterrand en 1981, a promis qu'un travail de concertation allait être engagé "dans les semaines qui viennent pour, le moment venu, faire une loi sur le développement et la démocratisation de la culture". Pour les collectivités, qui financent 70% du budget de la culture en France, toute réforme doit passer par la case décentralisation. C'est ce qu'elles sont venues clamer, lundi, sous les platanes du cloître Saint-Louis. Le fort mistral n'a pas empêché d'entendre la déclaration, la deuxième en deux ans, que onze associations d'élus* ont rédigée, "Pour une république culturelle décentralisée". "Dans l'esprit de la Déclaration d'Avignon 2010 et avec la profonde volonté de participer à un nouvel acte de la décentralisation culturelle, nous nous engageons par cette déclaration à œuvrer ensemble à l'invention des politiques publiques culturelles", soulignent-elles. De l'inventivité, il va falloir en trouver en cette période de vaches maigres. "On a construit beaucoup d'équipements, aujourd'hui, il faut les réparer, les entretenir, les mettre aux normes, notamment d'accessibilité : un des dangers qui nous guettent c'est la déliquescence de ce réseau", a alerté Philippe Laurent, président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), en conférence de presse. Le maire de Sceaux a proposé que soit réalisée une "radiographie" de ces équipements, comme cela existe déjà pour les équipements sportifs.
Retombées économiques
Ces dernières décennies ont été fastes pour la fiscalité locale et les collectivités n'ont pas trop lésiné sur les moyens : bibliothèques, médiathèques, théâtres, etc. Mais ce temps est révolu. "Pendant quinze ans nous avons connu avec la taxe professionnelle des recettes fiscales qui nous ont permis de nous développer, mais depuis 2008, on a connu un frein énorme", a expliqué Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF). La tentation est grande pour les départements et les régions, qui contribuent respectivement à hauteur de 1,3 milliard et d'environ 700 millions d'euros au budget de la culture (contre cinq milliards pour le bloc communal), de fermer le robinet… Du moins de se montrer plus regardants dans leurs choix et peut-être moins généreux pour les compagnies d'artistes. "Quand on voit toutes les petites opérations qui réussissaient grâce au financement public des régions et départements, comment allons-nous faire demain ? Est-ce qu'on va pouvoir continuer ?, s'est demandé Claudy Lebreton. Il va falloir qu'on s'interroge sur ce qu'est l'intérêt départemental."
Pour autant, les collectivités n'entendent pas renoncer à la culture. Au contraire. Dans la foulée de François Hollande qui a déclaré que "la culture est aussi un investissement qui permet à des territoires d'être plus attractifs", Claudy Lebreton a proposé qu'une étude soit menée sur les retombées économiques de la culture. Et comme l'a fait remarquer Vanik Berberian, le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), "quand il y a eu la grève des intermittents au festival d'Avignon [en 2003], le premier à monter au créneau était le syndicat de l'hôtellerie et de la restauration".
Pour les élus, la future loi de décentralisation (que Claudy Lebreton préfère appeler "loi de démocratie locale"), offre l'occasion de repenser l'offre culturelle. Les différents niveaux de collectivité vont devoir davantage travailler entre elles et avec l'Etat pour "co-élaborer leurs politiques culturelles". "L'Etat a un rôle esssentiel à jouer, les collectivités entre elles et avec l'Etat doivent travailler dans une culture nouvelle du contrat, une culture de la négociation", a précisé Philippe Laurent dans la lignée du rapport Bouët de janvier 2011.
Chef d'orchestre
Alors que, comme l'a fait remarquer Vanik Berberian, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti n'était pas présente contrairement à ce qu'elle avait annoncé, son conseiller André Van Der Malière a indiqué qu'il fallait "requalifier l'Etat". Non sans un certain lyrisme, il s'est dit surpris d'avoir trouvé au ministère de "grands fonctionnaires sans objectifs, sans boussole", après une ère de "destruction, de perte de confiance, de comportements erratiques"...
"Le danger que je vois poindre dans les difficultés financières est la tendance au repli de chacun sur son propre périmètre, avec un recentrage sur les politiques plus ciblées, plus urbaines. L'équité territoriale en matière culturelle n'est pas garantie", a averti Annie Genevard, députée-maire de Morteau (Doubs). Afin d'éviter ce piège, les associations demandent de rétablir la clause générale de compétence pour chaque niveau de collectivité et les financements croisés qui vont avec. "C'est ensemble que nous pourrons franchir les futures et nécessaires étapes [de la décentralisation], en organisant au niveau territorial la concertation sur le rôle de chacun en défendant les co-financements…", souligne la déclaration.
Si chacune des collectivités entend jouer sa partition, la question du chef d'orchestre reste posée. La région se verrait bien dans ce rôle. "Les régions pourraient avoir un rôle tout à fait important dans cette nouvelle étape de la décentralisation", a en effet insisté Karine Gloanec-Maurin, présidente de la commission Culture de l'Association des régions de France (ARF), qui faisait aussi partie du pôle culture de l'équipe de François Hollande pendant la campagne, au côté d'Aurélie Filippetti. Mais à l'idée d'un "schéma régional prescriptif", les départements mettent le holà. "Il faut être attentif à laisser beaucoup de liberté", prévient Claudy Lebreton qui met en garde contre la tentation de "l'Etat régional jacobin". Et quand les intercommunalités font valoir leur expérience de la mutualisation, les communes ont peur d'être englouties… Enfin, les territoires ruraux ont le sentiment d'être la cinquième roue du carrosse. "La dotation générale de fonctionnement pour un habitant des villes est le double de celle d'un rural, c'est un scandale permanent", a persiflé Vanik Berberian. Selon lui, la présence des élus ruraux et de ceux de banlieue au sein du même collectif doit ouvrir la voie à une expérimentation...
Les élus ont pris date pour l'année prochaine. Alors que le président des maires ruraux a constaté que depuis la déclaration de 2010, "il n'y a pas eu grand-chose de fait", on verra alors si ce débat était une interprétation libre de "Beaucoup de bruit pour rien".
Michel Tendil, à Avignon
*Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), Assemblée des départements de France (ADF), Association des maires de France (AMF), Association des régions de France (ARF), Maires de grandes villes (AMGVF), Assemblée des communautés de France (ADCF), Fédération des villes moyennes (FVM), Association des petites villes de France APVF), Association des maires ruraux de France (AMRF), Communautés urbaines de France (Acuf), Ville et Banlieue.