Culture - Rapport Bouët : comment repenser le partenariat culturel de l'Etat avec les collectivités ?
Alors qu'il circulait pourtant largement, il était en passe de devenir l'Arlésienne de la culture, le rapport de Jérôme Bouët, inspecteur général des affaires culturelles, sur les "Vingt et une propositions pour relancer le partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales dans le domaine culturel", remis à Frédéric Mitterrand, le 24 janvier 2011, a enfin été présenté officiellement aux représentants des collectivités territoriales ce 10 mai. Il a fait l'objet d'une première discussion, le 27 janvier, au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC), l'instance de concertation entre ces dernières et le ministère. De son côté, la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) en a livré une analyse critique dans le numéro de fin janvier de sa "Lettre d'Echanges" (voir encadré).
Bilan mitigé pour la décentralisation culturelle
Le rapport commence par dresser un état des lieux en demi-teinte du partenariat entre l'Etat et les collectivités. En dépit des "protocoles de décentralisation" élaborés au début des années 2000 pour préparer l'acte II de la Décentralisation, les transferts de compétence "ont donné des résultats mitigés". Satisfaisant sur l'inventaire et plutôt positif sur les monuments historiques, le bilan l'est nettement moins sur les enseignements artistiques, dont la réforme demeure inachevée à ce jour. De plus, le ministère n'a "pas tiré d'enseignements sur l'éventuelle poursuite du mouvement de transferts de compétence". Accaparé, depuis 2003, par d'autres sujets, il n'a pas davantage "repris d'initiatives particulières pour renouveler la politique de partenariat avec les collectivités territoriales", ni redéfini sa stratégie d'aménagement du territoire. A titre d'illustration, Jérôme Bouët rappelle que le CCTDC n'a tenu aucune réunion entre septembre 2003 et juillet 2008, date de sa réactivation par Christine Albanel (voir notre article ci-contre du 16 juillet 2008). De même, les relations avec la Datar se sont distendues depuis la période de création des salles Zénith et n'ont repris que récemment avec le suivi des contrats de plan Etat-régions (CPER), la mise en place des pôles d'excellence rurale et la demande de Frédéric Mitterrand de travailler au lancement d'un plan d'action en faveur du monde rural. Les CPER 2007-2013 - qui mobilisent près de 360 millions d'euros - sont par ailleurs très centrés sur la construction d'équipements et l'entretien du patrimoine et ne laissent donc que très peu de place au développement culturel. De façon plus large, le rapport estime que le secteur de la culture reste encore "relativement peu contractualisé".
Cette relative carence au niveau national n'empêche pas les directions régionales des affaires culturelles (Drac) d'entretenir des relations étroites avec les collectivités, notamment autour des financements conjoints d'institutions culturelles. Jérôme Bouët estime d'ailleurs que l'action des Drac est "reconnue par les élus" - qui regrettent néanmoins leur manque d'implication dans l'animation - et il voit dans cette reconnaissance l'une des raisons qui leur a permis de survivre, en tant que telles, à la RGPP et à la réorganisation des services extérieurs de l'Etat.
Une boîte à outils pour le partenariat
A partir de ce constat, le rapport conclut à la nécessité d'une relance du partenariat entre l'Etat et les collectivités. Il y voit en effet plusieurs bénéfices potentiels : l'efficacité accrue et les synergies tirées de la convergence des politiques publiques, la meilleure répartition des rôles - à l'Etat le retour "à l'essentiel", aux collectivités la proximité -, ou encore la "préparation de l'avenir", autrement dit une plus grande autonomie des collectivités, voire de nouvelles décentralisations. Le rapport pose néanmoins plusieurs principes pour que ce partenariat renouvelé puisse se déployer efficacement. Tout d'abord, il doit être conçu "d'égal à égal", ce qui suppose notamment de repositionner le CCTDC. Ensuite, ce partenariat ne doit pas être uniforme, mais au contraire "adapté à chaque territoire". De même, il doit laisser la place à l'expérimentation, facteur de changement. Jérôme Bouët cite notamment, à titre d'exemple, le dossier du Louvre-Lens. Enfin, ce partenariat doit être "réaliste sur le plan budgétaire et financier", avec une prise en compte des coûts au cœur du processus d'aide à la décision.
Ces préalables posés, le rapport décline ses 21 propositions. La moitié d'entre elles porte sur les modalités qui permettraient de renforcer le partenariat. Le rapport préconise ainsi que chaque région "invente un mode de concertation stratégique", sur la base de propositions élaborées par les Drac et par les collectivités les plus importantes (régions, départements et grandes villes). Dans le même esprit, le CCTDC pourrait être doté d'une présidence tournante - comme le préconise d'ailleurs l'Association des départements de France - et la "convention territoriale" pourrait être remise en vigueur, sous une forme pluriannuelle et transversale. Le ministère doit également s'affirmer plus fortement dans les prochains CPER 2014-2020, en développant une vision stratégique sur des sujets d'avenir comme le numérique, les industries créatives ou la formation. Le rapport plaide aussi pour le développement du copilotage - aujourd'hui cantonné au suivi des institutions subventionnées et à certains dispositifs comme les fonds régionaux d'acquisition pour les musées (Frac) -, par exemple en proposant à des régions ou à des grandes villes de l'expérimenter en matière d'aides à la création dans les arts plastiques et le spectacle vivant. Dans la même logique, il conviendrait d'imaginer dès maintenant de nouvelles formes de partenariat avec les futures métropoles, par exemple sous la forme d'une nouvelle catégorie de conventions permettant de globaliser les crédits du ministère destinés au territoire correspondant.
En matière de décentralisation, Jérôme Bouët suggère de transférer aux collectivités territoriales la gestion des crédits de restauration des monuments historiques, à l'image de l'expérimentation menée dans le Lot de 2007 à 2010. De façon plus floue, le rapport préconise aussi de "clarifier" l'organisation territoriale en matière d'action culturelle. A défaut d'un hypothétique acte III de la Décentralisation, ce résultat pourrait être approché par la mise en œuvre du "schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services", prévu par l'article 75 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Cette réflexion devrait s'accompagner d'une redéfinition des relations avec les agences (ou associations) régionales du spectacle vivant, qui existent aujourd'hui dans une dizaine de régions. Toujours au titre des modalités de partenariat, le rapport Bouët préconise de développer et de repenser l'appui technique aux collectivités, notamment autour l'intercommunalité. Il recommande également de recourir davantage aux contrats d'objectifs avec les organismes subventionnés, en privilégiant des objectifs précis et vérifiables. Enfin, les établissements publics nationaux doivent être encouragés à développer eux-mêmes une approche territoriale.
Culture pour chacun : "l'unité dans la diversité"
Sur la question sensible de la "culture pour chacun" - qui a donné lieu à un forum national à la grande halle de La Villette à Paris, le 4 février dernier -, le rapport prend quelque peu à contre-pied la lettre de mission du ministre, qui demandait à Jérôme Bouët d'aborder la question des relations avec les collectivités "sous le signe de l'ambition démocratique et du partage de la culture au bénéfice du plus grand nombre". Le rapport estime en effet que "le jugement porté sur le travail accompli en la matière depuis 30 ans paraît inutilement sévère" et que "ce qui manque, c'est la circulation d'information sur les bonnes pratiques". Il formule néanmoins trois recommandations sur ce point. La première consiste à "créer quelques espaces de liberté dans lesquels la coopération entre les Drac et les élus permettrait d'inventer de nouvelles manières de faire". Jérôme Bouët propose notamment de travailler à une convention expérimentale avec un département. La seconde consiste à développer une stratégie globale de partenariat du ministère autour de la dimension numérique de la culture. Enfin, le ministère devrait actualiser sa méthode de travail et de conseil aux élus en matière de participation à la politique de la ville et d'architecture.
Améliorer le pilotage
Le dernier groupe de propositions est à vocation davantage interne, puisqu'il vise les modalités de pilotage, par le ministère, du processus de relance du partenariat. Les recommandations formulées à ce titre concernent notamment la création d'un "CCTDC miroir" (pour préparer la réunion du conseil proprement dit), la création d'indicateurs de la Lolf permettant d'intégrer des objectifs d'aménagement du territoire, ou encore le repérage et le traitement des "atteintes aux règles de la déconcentration". Enfin, le rapport préconise une évolution des profils d'emploi dans les Drac et un meilleur accueil par détachement, dans ces directions, des cadres de la fonction publique territoriale.
Au final, face à "la formidable montée en puissance des collectivités, l'importance des moyens qu'elles consacrent à la culture, leur créativité, leur capacité à relier la culture à d'autres enjeux économiques et sociaux", le rapport Bouët préconise une évolution du positionnement de l'Etat. Sans renoncer à "la politique de l'offre qui est sa raison d'être", le ministère de la Culture doit "considérer que le territoire est un enjeu politique majeur et favoriser le développement des responsabilités culturelles des collectivités territoriales".
Jean-Noël Escudié / PCA
Premières réactions
ARF : des préconisations intéressantes
"Nous avons accueilli avec intérêt ce rapport, clair, raisonnable et élégant dans son écriture", a confié à Localtis Abraham Bengio, directeur général adjoint région Rhône-Alpes en charge de la culture et représentant l'Association des régions de France (ARF), à la sortie de la réunion de présentation du rapport le 10 mai. Les préconisations de partenariat adapté et de "copilotage amélioré" si celui-ci donne plus de capacité de décision aux collectivités territoriales, vont dans le bon sens, estime-t-il. Cela permettrait de "passer de la situation actuelle à l'acte III de la Décentralisation" poursuit Abraham Bengio. Et de retenir l'exemple, mentionné dans le rapport de Jérôme Bouët, de l'expérimentation réalisée de 2007 à 2010 dans le Lot en matière de monuments historiques. Ce type d'opération (transfert de gestion de crédits à la collectivité) doit se poursuivre "à condition de revoir tout la chaîne patrimoniale". Sur un exemple comme celui-ci, "il faut prendre en compte l'impact que peut avoir un projet de restauration sur les usages sociaux du patrimoine et sur le développement local". "Le droit à l'expérimentation est une bonne idée, qu'on laisse des champs spécifiques à chaque territoire et qu'une évaluation ait lieu au bout de deux ou trois ans", conclut Abraham Bengio.
C.F.
FNCC : un rapport pertinent, mais "solitaire"
La Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) a publié fin janvier, une note de synthèse sur le rapport Bouët. Tout en résumant son contenu et en se félicitant du retour de la question du partenariat, la note égratigne les modalités d'élaboration du rapport. Si les collectivités "ont bien évidemment été longuement interrogées", la FNCC s'étonne de ce "rapport solitaire, réalisé par un haut fonctionnaire du ministère pour le compte de son ministère et dont les propositions concernent majoritairement le fonctionnement interne du même ministère". Tout en estimant qu'un "rapport miroir" - rédigé par des élus - serait indispensable, la Fédération est néanmoins lucide : "L'un des enseignements majeurs du rapport est sa démonstration implicite que les élus n'ont que difficilement une parole commune". Sur le fond, la FNCC semble regretter que le rapport s'adresse surtout aux grandes collectivités (régions, départements et futures métropoles). Elle adhère néanmoins à la plupart des préconisations formulées. Au final, la FNCC estime que ces 21 propositions "apparaissent pertinentes, même si on peut regretter, d'une part, que leur auteur n'ait pas constaté de volonté politique forte d'approfondissement de la décentralisation culturelle de la part des collectivités et que, de son côté et comme en symétrie, le ministère continue d'être présenté comme l'instance qui définit, analyse, impulse et écoute mais, de toute façon, décide in fine". Un constat qui conduit la FNCC à ressortir sa "déclaration d'Avignon", adoptée l'été dernier par toutes les fédérations de collectivités, mais qui n'a guère eu de suites jusqu'à présent (voir notre article ci-contre du 20 juillet 2010). J.-N.E.