Salon de l'agriculture - Crise agricole : que peuvent les régions ?
A la veille du Salon de l'agriculture, les régions sont au chevet de leurs fermes qui traversent une crise profonde. Une crise qui "pose le problème de l'efficacité des politiques menées depuis des décennies au niveau français", juge l'Association des régions de France (ARF), dans un communiqué du 25 février. L'occasion de réclamer ce que l'ARF n'a que partiellement obtenu dans le cadre de la nouvelle programmation de la PAC : l'entière gestion des crédits Feader (développement rural) par les conseils régionaux. Les nouvelles régions demandent ainsi au gouvernement de clarifier les compétences "en matière de politique publique agricole" et la mise en place d'une "décentralisation réelle". Regrettant "la dispersion des moyens et des missions entre les régions et l'Etat", l'ARF propose que "soit rapidement expérimenté le transfert total des compétences et des moyens de l'Etat (crédits et moyens de mise en œuvre) aux régions sans attendre la prochaine programmation européenne en matière d'accompagnement à l'innovation, l'adaptation et la modernisation des exploitations agricoles".
11,4 milliards d'euros sont en jeu
Dans le cadre de l'actuelle programmation européenne 2014-2020, les régions sont devenues autorités de gestion du Feader (aussi appelé deuxième pilier de la PAC, par opposition au premier pilier composé des aides directes restées entre les mains de l'Etat). Ce n'est pas rien. 11,4 milliards d'euros sont en jeu (sur les 64 milliards de la PAC pour la France). Ces crédits servent notamment à financer les aides à l'installation, les mesures agro-environnementales, l'agriculture biologique, les indemnités versées aux agriculteurs en zones de handicap naturel (ICHN), les aides à la modernisation des exploitations (notamment le plan de modernisation lancé avec l'Etat en 2014)… Seulement, dans la réalité, l'ombre de l'Etat continue de planer sur l'épaule des régions. Les mesures dites "de surface" (pour handicap naturel, agro-environnementales…) doivent s'inscrire dans un cadre national. Ainsi, d'une région à l'autre "c'est 50 à 80% de la maquette financière qui est déjà préemptée", constate-t-on à l'ARF. Quant aux aides aux investissements, l'Etat intervient comme cofinanceur et a donc là encore son mot à dire. Les régions n'ont donc pas les coudées franches. Alors qu'avec la loi Notr, leur rôle de chef de file économique est confirmé, pourquoi en exclure l'agriculture ? , se demandent-elles.
Le président de l'ARF, Philippe Richert, qui, le 24 février, a présenté les mesures déployées dans sa propre région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, appelle dans le communiqué à un "repositionnement clair des régions comme unique chef de file sur l'accompagnement structurel des entreprises et des filières". Ce qui passe notamment par un renforcement de "la relation région-PME au niveau de l'exploitation agricole".
En clair, les régions souhaitent les moyens de cet accompagnement, de manière à pouvoir jouer sur différents leviers : politique d'installation, modernisation des exploitations, adaptation aux enjeux climatiques et commerciaux, aux marchés, aux risques…
Les régions proposent aussi que soient territorialisées les politiques de filières en confrontant marchés et capacités de production locales. Elles demandent à l'Etat de "consulter systématiquement les régions en amont du dialogue de niveau national avec la profession agricole et les filières" afin de coller au plus près des territoires et de leurs spécificités.
Plans d'urgence régionaux
D'ici là, les régions doivent répondre à l'urgence alors que nombre de fermes sont en plein marasme. "C'est une crise qu'on a jamais connue. Porc, lait, bovins… toutes les filières sont en grande difficulté", s'alarme-t-on à l'ARF.
Ces dernières semaines, la plupart des régions ont présenté des plans d'urgence qui jouent sur les deux tableaux : aides conjoncturelles et aides structurelles, s'ajoutant aux mesures annoncées par le Premier ministre le 17 février (nouvel allègement de cotisations, année blanche sociale). Dès le mois de janvier, la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie a décidé d'abonder son fonds d'allègements de charges pour ses 14.000 éleveurs. Dans le Sud-Ouest, les éleveurs de volailles subissent une double peine avec la grippe aviaire réapparue en Dordogne fin novembre : depuis le 18 janvier, tous les élevages de 18 départements ont dû être évacués pour procéder à un "vide sanitaire". Quelques jours plus tard, une réunion de crise s'est tenue au ministère de l'Agriculture avec les deux présidents des régions Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, Carole Delga et Alain Rousset, pour décider d'aides régionales complémentaires aux aides de l'Etat et de l'Europe… Le 24 février, lors d'un déplacement à Châlons-en-Champagne, Philippe Richert a annoncé le préfinancement des aides européennes pour venir en aide aux 17.000 éleveurs de sa grande région. Au mois d'avril, sera annoncé un plan d'aide à l'investissement dans les exploitations. On pourrait encore citer le "plan porcin breton" présenté par le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, et le président de la région, Jean-Yves Le Drian, en début de semaine. Au menu : le triplement des aides de la région pour la modernisation des exploitations, soit 30 millions d'euros pour les 3.000 exploitations porcines, sous forme de subventions, prêts, garanties… ou encore la création d'un fonds de prêts d'honneur doté par la région d'1,5 million d'euros pour aider les jeunes à s'installer. La région s'est également engagée à promouvoir la consommation de viande française dans la restauration collective avec l'ensemble des collectivités de la région.
Restauration collective
La restauration collective est une arme non négligeable compte tenu du nombre de repas en jeu. Elle devrait être prochainement renforcée par la proposition de loi de Brigitte Allain, députée écologiste de la Dordogne, "visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation". Adoptée en première lecture par l'Assemblée, elle sera examinée au Sénat le 9 mars. Elle fixe un objectif de 40% de produits locaux dans la restauration collective d'ici à 2020, dont 20% de bio. Le texte donne en outre plus de possibilités aux régions pour mettre en œuvre leurs politiques à travers les "plans régionaux de l'agriculture et de l'alimentation durables".
Une responsabilité accrue pour les régions qui vont devoir se montrer prévoyantes. Car si la filière bio semble plutôt épargnée par la crise, comme en attestent les derniers chiffres de l'Agence Bio - la surface agricole en bio a progressé de 17% en 2015 - elle pourrait bien être victime de son succès. "Les aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique sont gravement menacées", s'inquiètent l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca), la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab) et le syndicat des transformateurs et distributeurs bio (Synabio), dans un communiqué commun du 25 février. Or ces aides sont justement du ressort des régions au titre du Feader. Et dans plusieurs d'entre elles, "les aides programmées pour la période 2015-2020 sont d'ores et déjà épuisées, comme dans le Centre et en LRMP (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, ndlr)". Le mouvement de conversion a ainsi été "largement sous-estimé". Les trois signataires demandent au ministre et aux présidents de conseils régionaux "de prendre les mesures nécessaires pour que tous les agriculteurs qui souhaitent passer au bio bénéficient des aides à la conversion et que les aides au maintien qui rémunèrent les services environnementaux rendus par la bio soient accessibles partout et pour tous sans limitation de durée".
Manque de transparence du TTIP
L'arrivée des grandes régions ne va pas aider à la réactivité. Les enveloppes Feader, élaborées sur la base des anciens périmètres régionaux, sont figées. Mais "politiquement, il est souhaitable pour les régions de faire converger les programmes", estime-t-on à l'ARF. Seulement, quelles que soient leur taille et leur bonne volonté et leur "boîte à outils", les régions n'auront pas de prise directe sur les enjeux mondiaux, la fixation des prix, la question de l'embargo russe ou encore les traités de libre-échange… Autant de sujets sur lesquels Paris et Bruxelles ont un peu tendance à se renvoyer la balle. Dans l'exposé des motifs de son texte, Brigitte Allain prend soin de souligner que "face à des accords marchands internationaux générateurs de casse et de dumping social, prendre en main nos politiques alimentaires nous rend acteurs de l'aménagement de nos territoires, de nos emplois, de notre santé, de notre environnement". Une intention bien louable au moment où l'avenir se joue en partie dans le traité transatlantique (TTIP ou Tafta), dont les négociations viennent de reprendre le 22 février à Bruxelles, toujours dans l'opacité. A l'issue de sa rencontre avec le ministre Stéphane Le Foll, jeudi 25 février, le commissaire européen à l'agriculture, Phil Hogan, n'a pas fait montre d'une grande fermeté. "Nous avons convenu que tout résultat final concernant le TTIP devra tenir compte de nos intérêts offensifs clés, tels qu'une meilleure protection des indications géographiques et une réduction des barrières non tarifaires", assure-t-il dans un communiqué. Le Sénat vient justement d'adopter une résolution européenne "sur les conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire". La Haute Assemblée y dénonce le manque de transparence de cette négociation et met le gouvernement français devant ses responsabilités alors qu'il ne lui a toujours pas transmis l'étude d'impact par secteur d'activité, demandée en 2013… Les sénateurs exhortent le gouvernement de faire en sorte que "l'octroi de contingents tarifaires à droits nuls ou réduits n'aboutisse pas à une aggravation de la situation d'un secteur de l'élevage déjà extrêmement fragilisé en France" et d'"obtenir le maintien de normes de haute qualité aussi bien au niveau de la production que de la transformation"… Enfin, ils lui demandent de solliciter la Commission européenne afin qu'elle présente, "à bref délai", une étude d'impact complète, secteur par secteur. Alors que le collectif national "Stop Tafta" avait été rejoint par une dizaine d'anciens conseils régionaux (parmi de nombreuses autres collectivités), la carte du site n'a toujours pas été actualisée et l'on ne connaît pas la position des nouvelles régions sur le sujet. Quant au bureau de l'ARF - qui vient d'être renouvelé -, il n'a pour le moment pas arrêté de position commune.