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Finances publiques - Cour des comptes : les leçons 2015 de Didier Migaud

Présentant ce 11 février le rapport public annuel de la Cour des comptes, Didier Migaud a notamment insisté sur la nécessité de ne pas confondre "qualité du service public et quantité de dépense publique", y compris en termes de "maillage territorial". Doutant des prévisions du gouvernement sur la baisse du déficit public, le premier président de la Cour semble aussi douter de la volonté des collectivités à diminuer leurs dépenses. Des collectivités par ailleurs concernées par un chapitre spécifique du rapport : les contrats de partenariat. Attention danger.

Trois messages principaux : il y a un trop grand décalage entre les annonces et les résultats, "certains services publics doivent être gérés avec un niveau d'exigence plus élevé", des marges d'économies existent. Ces trois messages sont ceux que Didier Migaud a souhaité mettre en avant ce 11 février en président le rapport public annuel de la Cour des comptes, cette somme de 1.500 pages organisées en deux tomes et trente entrées. Avec, cette année, une place de choix donnée aux "insertions" issues des chambres régionales des comptes. Qu'il s'agisse de thématiques nationales ou locales, le rapport entend être proche de ce qui fait "le quotidien de nos concitoyens" et évaluer "la qualité des services effectivement rendus, les performances réelles, mesurées à l'aune des objectifs des politiques publiques et de la dépense effectuée", a souligné le premier président de la Cour lors de sa présentation à la presse, ajoutant : les citoyens "ne confondent pas qualité du service public et quantité de dépense publique". Nationale ou locale, comme chaque année, cette évaluation est souvent sévère. Comme chaque année, elle risque de crisper pas mal de monde.
S'agissant du chapitre consacré aux finances publiques prises globalement, Didier Migaud observe notamment que les prévisions successives de déficit public pour 2013 et 2014 ont dérapé, que "le mouvement de réduction des déficits s'est interrompu en 2014" et que "la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine en 2015"… Voilà pour les très grandes lignes. Avec un sérieux doute sur la réalisation des 21 milliards d'euros d'économies annoncées en avril 2014, en sachant que ces économies "sont conçues, non comme une diminution de la dépense publique, mais comme un effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle". Attention, prévient le premier président, à "ne pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux d'intérêt auxquels l'Etat se finance actuellement" : "la dette supplémentaire que nous continuons d'accumuler va devoir être financée et refinancée pendant de nombreuses années", et sans doute pas aux taux actuels.

Baisse des dotations : des effets très "hypothétiques"

La Cour estime que la baisse du déficit public, de 4,4% du PIB en 2014 à 4,1% en 2015, est "un objectif dont la réalisation est incertaine", évoquant aussi bien des prévisions de recettes trop ambitieuses que des économies de dépenses insuffisamment détaillées. Au premier rang de ses préoccupations, la faible inflation qui a dominé 2014 et risque selon elle de se poursuivre en 2015. "Les pouvoirs publics doivent se pencher sans tarder sur les enjeux que soulève la période actuelle de très faible inflation", a ainsi déclaré Didier Migaud, jugeant que celle-ci "remet en cause les perspectives d'équilibre des finances publiques et le cadre budgétaire triennal".
Alors que le gouvernement assume désormais le ralentissement du rythme de réduction du déficit, Didier Migaud l'a enjoint à "s'engager résolument en faveur du redressement des comptes publics". La réplique n'a pas tardé. Mercredi à l'issue du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a assuré qu'"il n'y a rien à changer sur les objectifs qui ont été fixés". "La Cour des comptes fait son travail mais le gouvernement continuera d'agir avec le sérieux qui a été le sien depuis le départ", a-t-il insisté. La rue Cambon "évoque le fait qu'avec une très faible inflation, des recettes - de TVA en particulier - peuvent être moindres que prévu. Mais sur ce sujet, comme à chaque fois, la France tiendra l'ensemble des objectifs, à la fois de réduction de dépense publique - 21 milliards pour 2015 - et sur les objectifs qui ont été fixés en termes de déficit budgétaire", a aussi assuré Stéphane Le Foll.
Cette partie générale du rapport insiste cette année assez peu sur les finances locales. Didier Migaud en a principalement retenu une chose : "en pratique, les conséquences attendues de la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités locales demeurent hypothétiques", car "rien ne garantit qu'elles se traduiront par des réductions de même ampleur des dépenses locales". Le rapport rappelle que si l'on en croit les documents annexés au projet de loi de finances pour 2015, cette année devrait permettre d'assister à une moindre croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités (1,8% au lieu de 2,7% l'an dernier) et à une vraie diminution des dépenses de fonctionnement (-6%, soit -2,5 milliards, après -5% en 2013). Mais la Cour semble surtout attribuer cette baisse de l'investissement public local au cycle électoral… et ne semble pas s'en alarmer, au contraire. Si la baisse des dotations ne sera pas nécessairement synonyme de baisse des dépenses, c'est, prévoit la Cour, parce que les collectivités pourraient avoir tendance à augmenter leurs recettes fiscales et à accroître leur endettement.

Contrats de partenariat : attention au manque d'expertise

Or l'"exigence de rigueur concerne aussi les collectivités", a insisté Didier Migaud, citant à ce titre la problématique des contrats de partenariat signés par les collectivités, auxquels le rapport annuel consacre un focus réalisé à partir d'enquête locales. S'il est encore prématuré, faute du recul nécessaire, de "trancher la question de la performance réelle de ce mode dérogatoire de gestion des services publics", les risques liés à ce type de contrats "ne doivent pas être sous-estimés", résume le premier président. Les constats du rapport sont multiples. On y lit notamment que les contrats de partenariat peuvent certes "répondre aux difficultés budgétaires à court terme de certaines collectivités", ce ne sont évidemment pas eux qui vont résoudre ces difficultés sur le long terme, au contraire : "Sur le long terme, l'équilibre économique du contrat est souvent défavorable aux collectivités territoriales, qui ont rarement la capacité d'en assurer le suivi." La Cour considère aussi que "des évaluations préalables biaisées et des lacunes dans la mise en concurrence ont souvent facilité leur signature"…
Elle formule ainsi une série de recommandations sur ce recours aux PPP. Dont, le fait d'"éviter de recourir au même partenaire contractuel comme assistant à maîtrise d'ouvrage aux différentes phases du projet" ou d'éviter d'opter pour un contrat de partenariat "en l'absence d'expertise et de moyens suffisants pour assurer son suivi dans de bonnes conditions". Elle suggère aussi d'étendre aux collectivités les dispositions du décret du 27 septembre 2012 qui impose une étude de soutenabilité budgétaire au stade de l'évaluation préalable, ou encore de "retirer à la Mappp sa mission de promotion des contrats de partenariat".

"Un investissement n'est pas vertueux par principe"

"Un service public de qualité" passe parfois par "une meilleure répartition des missions et à des moyens entre collectivités et entre niveaux de collectivité" et par "un meilleur maillage territorial". Cela passe aussi parfois par "une refonte des cartes administratives". En partant de ce postulat, le rapport s'est notamment penché sur la refonte de la carte judiciaire (lire notre article dans notre édition du jour), ainsi qu'au réseau des sous-préfectures, que la Cour avait déjà examiné en 2012. Même sur ce sujet-là, Didier Migaud n'est guère indulgent : "La refonte en profondeur de la carte des sous-préfectures, que la Cour appelait de ses voeux, se fait toujours attendre." Il recommande au ministère de l'Intérieur de "dessiner une nouvelle carte ne conservant que les sous-préfectures pour lesquelles la présence d'un sous-préfet et d'un échelon déconcentré d'administration est nécessaire, sans confondre proximité géographique et efficacité du service public", et de "mettre en oeuvre cette nouvelle carte selon un calendrier fixé d'avance". Les leçons de la Cour entendent d'ailleurs être valables pour à peu près tous les services publics territorialisés, dont les implantations sont parfois "trop nombreuses" et en tout cas mal adaptées : "L'égalité devant le service public, ce sont des services implantés là où le besoin existe", tranche-t-elle.
"Un investissement n'est pas vertueux par principe", assène toujours Didier Migaud, sachant que ce rapport public 2015 pointe au fil de ses pages un certain nombre d'équipements ou de politiques locales jugés non pertinents "du point de vue de la gestion publique". Il y est question, pêle-mêle, des aéroports de Dole et de Dijon qui se sont créés sans coordination et dont le bilan financier est carrément jugé "choquant", du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée de Marseille (le MuCEM) qui coûte beaucoup plus cher que prévu, des stations de ski des Pyrénées qui doivent se doter d'une vraie stratégie si elles veulent éviter une "faillite brutale"…