Cour des comptes – Jeunes majeurs de l'aide sociale à l'enfance : "garantir un socle de base dans la prise en charge"
La Cour des comptes consacre un chapitre de son rapport sur la jeunesse publié ce 19 mars à la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Elle met l'accent sur l'intérêt de l'accompagnement pour l'insertion de ces jeunes, mais également sur les disparités constatées entre départements et sur les difficultés à favoriser l'accès de ces jeunes aux dispositifs de droit commun. L'association Départements de France rappelle que la compensation financière par l'État de ce "droit à accompagnement" est bien mince. Dans d'autres chapitres, la Cour des comptes insiste sur l'importance de soutenir des dispositifs ciblés de prévention, tels que les maisons des adolescents, pour repérer, accompagner et orienter les jeunes souffrant de troubles psychiques et/ou d'addictions.

© Marta NASCIMENTO/REA
Dans son rapport annuel consacré cette année aux politiques publiques en faveur des jeunes, publié ce mercredi 19 mars 2025, la Cour des comptes s'intéresse à "la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l’enfance" (ASE) au sein d'une partie consacrée plus largement à "l'aide à l'entrée dans la vie active et à l'autonomie" (voir nos autres articles de ce jour sur l'emploi, l'orientation, le sport). 31.900 jeunes majeurs bénéficiaient d'une mesure de protection dans le cadre de l'ASE en 2023, contre 18.500 en 2010.
La loi du 7 février 2022 a rendu obligatoire l'accompagnement des jeunes de moins de 21 ans issus de l'ASE qui "ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants". Cette loi "ne s'est pas traduite par une hausse notable et uniforme de la proportion de jeunes majeurs sortants de l'ASE pris en charge par les départements", estiment les juges de la rue Cambon.
Les départements ont consacré de l'ordre de 1,2 milliard d'euros à cette prise en charge pour l'année 2022, en hausse de 0,5 milliards d'euros par rapport à 2018 – soit une augmentation des moyens qui avait démarré avant la loi. L'effort financier des départements est jugé "croissant" : "Parmi les départements de l'échantillon contrôlés par les chambres régionales des comptes, la dépense consacrée aux jeunes majeurs a augmenté́ de 60% entre 2019 (73 millions d'euros) et 2023 (117 millions d'euros)."
Compensation financière : une question "largement éludée", pour Départements de France
Les disparités entre départements sont toutefois importantes, "le taux de couverture par un contrat jeune majeur [s'inscrivant] ainsi dans une échelle de 38% à 83% selon les départements contrôlés", indique la Cour des comptes. Il est ajouté que "la durée de ces contrats varie selon les territoires et reste souvent inférieure au plafond légal", la durée étant souvent plus courte encore pour les anciens mineurs non accompagnés (MNA). Il est rappelé que les MNA entrent généralement dans le dispositif ASE à un âge avancé (au moins 16 ans pour les trois quarts), d'où le poids croissant de ce public parmi les jeunes majeurs accompagnés (voir notre article du 30 juillet 2024).
"Il est certes légitime d’observer des différences pour une compétence décentralisée, mais il faudrait veiller à garantir un socle de base dans la prise en charge, pour ne pas entacher l'égalité devant le service public de ces usagers fragiles", a mis en avant Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, ce 19 mars 2025 lors de la conférence de presse de présentation du rapport. L'une des recommandations de la Cour est donc de "définir des objectifs de prise en charge minimale" et de "lier le versement des fonds accompagnant la mise en œuvre de la loi du 7 février 2022 à sa mise en place".
"Une telle proposition semble remettre en cause le principe même de compensation financière des compétences transférées", fait valoir le président de Départements de France dans sa réponse à la Cour. Il indique que "la compensation financière de l'État, d'un montant de 50 millions d'euros, est très largement décorrélée de la croissance des charges assumées par les départements" puisqu'elle ne représenterait que moins de 5% des dépenses engagées. Le représentant des départements déplore en outre que "la question plus générale du financement des ambitions du législateur ait été largement éludée", invoquant la perte d'autonomie fiscale des départements, la pénurie de professionnels dans les métiers du lien et la saturation des dispositifs de protection de l'enfance.
L'association d'élus rappelle son attachement à la "logique contractuelle" associée à cet accompagnement, rappelant "qu’il s'agit de jeunes majeurs et que le recueil de leur accord est indispensable avant toute action". Et se prononce pour un abandon de la terminologie "contrat jeune majeur", qui recouvre en réalité deux modalités bien distinctes : d'une part l'accueil provisoire jeune majeur (APJM) au sein d'une structure autorisée ou agréée par l'ASE, d'autre part le soutien financier et l'accompagnement par l'ASE via une aide éducative à domicile jeune majeur (AED JM).
Insertion vers l'emploi : un accompagnement par l'ASE bénéfique, mais un accès insuffisant au droit commun
Concernant l'insertion professionnelle des jeunes issus de l'ASE, la Cour des comptes met en évidence l'impact favorable du contrat jeune majeur. Alors que "un quart des jeunes sortant de l'ASE obtient un emploi à 18-19 ans et la moitié à 21-22 ans, la majeure partie dans la restauration, le commerce ou le bâtiment", les jeunes ayant été accompagnés après 18 ans ont globalement accès à des secteurs plus diversifiés. Ces jeunes sont également moins souvent en situation "Neet" (ni en études, ni en emploi ou en formation) : 26% d’entre eux vers 21-22 ans, contre plus d'un jeune sur deux sortis de l'ASE (et 15% de la population générale des 18-19 ans).
La Cour des comptes pointe un accès "insuffisant" des jeunes majeurs aux dispositifs de droit commun. Sont soulignés en la matière des progrès "tangibles mais limités", notamment sur l'accès au logement de ces jeunes. Ces progrès vers "une prise en charge globale des jeunes majeurs" sont imputés aux partenariats État-départements dans le cadre des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté et de protection de l'enfance, mais la Cour met l'accent sur les limites de la "logique de projet" de ces stratégies - un manque de visibilité pour l'État et les départements.
Des lacunes sont pointées en termes d'accompagnement vers l'emploi (l'accès au contrat d'engagement jeune serait notamment peu facilité). La Cour appelle à "renforcer les coopérations avec les missions locales", le président de Départements de France estimant toutefois que le contrat d'engagement jeune est "accordé par les missions locales avec parcimonie, à la suite de la diminution de l'enveloppe dédiée au financement de ce dispositif".
Restitution du pécule : un décret en cours d'étude
La Cour appelle également à un travail partenarial plus poussé entre le champ de la protection de l'enfance, celui du handicap (maisons départementales des personnes handicapées) et la psychiatrie avec les agences régionales de santé (ARS). Départements de France approuve, "[revendiquant], notamment pour ces enfants qui sont aujourd'hui 1 sur 4 au sein des dispositifs de l'ASE, une stratégie interministérielle (solidarité, santé, handicap et éducation)".
"Améliorer le taux de recours au pécule, notamment par un meilleur échange d'informations entre l'ensemble des acteurs concernés" : c'est la dernière recommandation de la Cour des comptes, qui intéresse notamment la Caisse des Dépôts qui gère la consignation de l'allocation de rentrée scolaire pour le compte des enfants concernés. Selon la réponse du directeur général de la Caisse des Dépôts, "un projet de décret est en cours d'étude pour autoriser la Caisse des Dépôts à communiquer aux départements la liste des personnes majeures qui n'ont pas fait de demande de restitution de leur pécule, permettant aux départements de relier ces informations aux différents acteurs". Départements de France "partage cette nécessité, voire s'interroge sur l'opportunité d'une refonte de ce mécanisme qui ne peut être restitué qu'à un jeune sur deux".
› Santé mentale, addictions : mettre l'accent sur la préventionUne partie du rapport annuel de la Cour des comptes est consacrée aux politiques de prévention à destination de la jeunesse. Une enquête a porté spécifiquement sur les 123 maisons des adolescents, qui sont financées majoritairement par l'Assurance maladie (60%) mais aussi par les départements (13%) et d'autres acteurs. Ces maisons "jouent un rôle important en matière de prévention, contribuant notamment à limiter l'engorgement des structures de prise en charge sanitaires". Pour les auteurs, il importe de préserver la "réactivité" de ce dispositif, qui doit toutefois rester à sa place et non pas se substituer à des secteurs en souffrance tels que la médecine scolaire et la pédopsychiatrie. La Cour des comptes recommande d'"améliorer la lisibilité de l'offre" en fusionnant maisons des adolescents et points accueil-écoute jeunes – dont les missions sont proches - et "en définissant l'accueil, l'accompagnement et les actions de prévention sanitaire et sociale comme leur socle de missions obligatoires". La Cour préconise également la conduite d'une évaluation scientifique de l'impact de ce dispositif, ainsi que la définition de critères d'attribution de financements prenant davantage en compte les besoins des territoires. Dans une autre enquête, des juridictions financières se sont penchées sur les addictions des jeunes aux drogues illicites et à l'alcool, soulignant que "la France est particulièrement touchée par ce phénomène" avec des taux de consommation largement au-dessus des moyennes européennes. L'estimation du nombre de jeunes en proie à une addiction "varie de 130.000 à plus d'un million selon la méthodologie retenue". "Le repérage, l'accompagnement et la prise en charge des jeunes souffrant d'addictions font intervenir la médecine de ville, l'hôpital et le secteur médicosocial", mais les jeunes sont peu ciblés. "Il importe d'agir le plus tôt possible", or "les efforts en matière de prévention ne sont pas à la hauteur des enjeux", déplore la Cour des comptes, qui appelle notamment à une mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés et au lancement d'une campagne de prévention d'ampleur à destination des jeunes. |