Après la loi Taquet, le COJ et l’ONPE demandent de l’ambition pour les jeunes majeurs
Dans un rapport publié le 27 juin 2023, le COJ et l’ONPE recommandent la création d’une allocation prise en charge par l’État pour assurer un revenu de subsistance à tous les jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. Les départements, eux, se voient demander d’assurer un accompagnement effectif du jeune jusqu’à sa "pleine autonomie".
"Avoir mobilisé autant d’énergies et de moyens pendant des années pour répondre à leurs besoins, favoriser leur réussite et ensuite les abandonner sans solution à l’âge de 18, 19 ou 20 ans est un gâchis humain, financier et politique." Dans un rapport rendu public le 27 juin 2023, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) et le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) alertent sur le fait que l’accès aux droits des jeunes sortants de la protection de l’enfance "reste un parcours du combattant".
L’application de la loi Taquet est "encore loin d’être satisfaisante"
Les derniers chiffres disponibles montrent certes une augmentation du nombre de jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance, qui étaient plus de 35.000 au 31 décembre 2021. Cette hausse s’explique en partie par les mesures d’urgence prises pendant la crise sanitaire (+30% de jeunes majeurs accompagnés entre 2019 et 2020) et par "l’arrivée croissante en France de mineurs non accompagnés à l’âge de 16 et 17 ans". "Chaque année, 20.000 à 25.000 jeunes sortent de l’ASE à 18 ans, soit une cohorte d’au moins 60.000 jeunes de 18-20 ans", explique à Localtis Antoine Dulin, vice-président du COJ.
La loi Taquet a créé l’obligation, pour les départements, de prendre en charge les majeurs de moins de 21 ans ne bénéficiant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) avant leur majorité. Si les chiffres ne sont pas encore disponibles pour mesurer l’impact de cette loi sur le nombre de jeunes majeurs accompagnés par les services d’ASE, le collectif "Cause majeure !" a sondé son réseau de plus de 30 associations et recueilli les retours de 84 professionnels issus de 32 départements. Il en rend compte dans un communiqué publié également le 27 juin. La moitié de ces professionnels ne voient pas d’amélioration depuis la promulgation de la loi : pas d’augmentation du nombre d’accompagnements, pas d’allongement de la durée des accompagnements. "Les entretiens six mois après la sortie des jeunes ne sont pas encore régulièrement mis en place sur l’ensemble du territoire", ajoute le collectif qui s'était constitué en 2019 à l’initiative de l’association SOS Villages d’Enfants. Ainsi, pour ce dernier, l’application de la loi Taquet est "encore loin d’être satisfaisante".
Une allocation "Jeunes majeurs" pour réduire les inégalités de traitement
Dans leur rapport, le COJ et le CNPE rappellent que les inégalités territoriales sont antérieures à la loi Taquet. Mais la loi suffira-t-elle à les résorber ? Les deux conseils estiment que la rédaction du décret du 5 août 2022 (voir notre article) laisse une grande marge d’interprétation aux départements qui "apprécient seuls la nécessité ou non d’octroyer un accompagnement jeunes majeurs". D’où la persistance de différences de traitement sur le "niveau de financement, de conditions d’octroi, de maintien ou de renouvellement de l’aide apportée, ou du contenu de l’accompagnement (suivi éducatif, social, psychologique, aides financières, hébergement, etc.)".
"De nombreux acteurs et jeunes sortant de l’ASE font part des difficultés d’accès à des dispositifs nationaux (par exemple, le contrat d’engagement jeune, CEJ) ou régionaux (par exemple, une formation professionnelle)", relèvent par ailleurs le COJ et le CNPE. "Après quelques mois d’accompagnement par l’ASE, des jeunes de 18 ans sont orientés vers le CEJ mais le risque c’est qu’il n’y ait plus rien pour eux après le CEJ", détaille Antoine Dulin. Quant aux jeunes en apprentissage, étudiants à l’université et boursiers ou encore ceux travaillent, ils ne sont pas éligibles au CEJ et n’ont souvent aucun filet de sécurité familial.
Pour remédier à ces inégalités, les deux conseils préconisent la création d’une allocation mensuelle spécifique, qui serait versée de façon "systématique et sans condition par l’État", à un niveau au moins équivalent à celui de l’allocation CEJ (de l’ordre de 500 euros par mois), à tous les jeunes majeurs sans soutien familial accompagnés par les départements. Ces derniers seraient ainsi déchargés de ce poids financier ; Antoine Dulin estime à 50 millions d’euros le coût de cette mesure pour l’État. Le versement de cette allocation pourrait aller si besoin jusqu’aux 25 ans du jeune, âge à partir duquel l’accès au revenu de solidarité active (RSA) est possible.
"Développer une culture de l’ambition scolaire" pour les jeunes issus de l’ASE
Autre recommandation, qui s’adresse cette fois aux départements : "assurer une continuité́ de l'accompagnement des jeunes jusqu'à leur pleine autonomie", pour éviter une nouvelle "sortie sèche" à l’âge de 21 ans ou avant. L’accent est mis notamment sur les jeunes souhaitant mener des études longues, avec un appel à "développer une culture de l’ambition scolaire tout en luttant contre les injonctions aux études courtes". Le rapport est d’ailleurs intitulé "Laissez-nous réaliser nos rêves !"
D’autres recommandations portent sur la nécessité de promouvoir la coopération entre les professionnels de l’ASE et ceux de l’insertion, notamment dans le cadre de l’accord-cadre de partenariat pour l’insertion des jeunes relevant de l’ASE. Des préconisations abordent l’accompagnement des jeunes dans leurs démarches administratives, l’accès au logement, l’accès aux soins, l’accompagnement à l’orientation et à la vie étudiante ou encore l’accès à un soutien via le mentorat ou le parrainage.
Le rapport est ponctué de nombreux témoignages de jeunes sortants de l’ASE et les recommandations s’appuient sur leurs propositions. Ces jeunes ont en effet été réunis dans des groupes de travail puis dans le cadre d’un séminaire à Paris au printemps dernier en présence de la secrétaire d’État chargée de l’enfance Charlotte Caubel. Cette dernière doit s'exprimer ce vendredi 30 juin 2023 à Nantes, au deuxième jour des Assises nationales de la protection de l’enfance.