Commande publique - Contrats de partenariat : une "bombe à retardement budgétaire"?
Le plus célèbre des partenariats public-privé (PPP) (*) fête ses dix ans. L'occasion de dresser un bilan des avantages et inconvénients de ce dispositif permettant à la collectivité de déléguer à un opérateur privé toute la chaîne d'un projet, de la conception d'un équipement à son exploitation. Alors que le gouvernement a annoncé sa volonté de réformer les règles afférentes aux PPP en prévision de la transposition de deux directives européennes réformant les règles des marchés publics, les sénateurs Hugues Portelli (UMP, Val-d’Oise) et Jean-Pierre Sueur (socialiste, Loiret) ont tiré le 16 juillet le signal d'alarme sur les risques financiers des contrats de partenariat (CP).
Retirer à la Mappp sa "mission de prosélytisme"
S'appuyant sur plusieurs rapports récents sur le sujet - et notamment sur celui de l'Inspection générale des finances (IGF) qui n'a pas encore été publié - et sur 40 auditions, leur rapport revient sur la vocation initiale d'"outil dérogatoire de la commande publique" du CP. Malgré la réaffirmation à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel de ce caractère exceptionnel, le rapport note "une volonté de généraliser les contrats de partenariat". Notamment par l'établissement en 2005 d'une mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp) cumulant des fonctions de conseil, d'évaluation et de promotion des PPP. Soulignant que cette "structure est placée dans une situation potentielle de conflit d’intérêts", les sénateurs proposent de supprimer cette "mission de prosélytisme" et de recentrer la Mappp sur sa fonction d'expertise.
Une dette durable qui n'en a pas l'air
Selon les sénateurs, les PPP représentent aujourd'hui 10% de l'investissement public. Parmi eux, 80% sont conclus par des collectivités locales. Le succès rencontré s'explique par "une formule a priori séduisante" et qui, selon Jean-Pierre Sueur, "simplifie la vie de la puissance publique". En effet, cette dernière "choisit une fois un paquet, un agrégat de prestations : financement, conception, construction, exploitation, maintenance". C'est toutefois faire le choix d'un "outil à haut risque", un risque bien souvent sous-estimé, pour le rapport. Alors même que les ressources se raréfient, "c'est un pari que font l'Etat et les collectivités locales, essentiellement pour des raisons financières", estiment les sénateurs. Le paiement différé de l'investissement leur apparaissant comme "un instrument de facilité", l'Etat et les collectivités peuvent être tentés de s'engager sur des dépenses dont ils n'ont pas les moyens. En outre, "il est difficile d’apprécier le coût final d’un contrat de partenariat". Des estimations sur certains projets laisseraient apparaître un "quasi-doublement des charges à payer sur le long terme" par rapport à un investissement comparable réalisé en maîtrise d'ouvrage publique.
Reprenant à leur compte les constats de l'IGF, les sénateurs pointent également la "rigidification" des budgets sur plusieurs décennies induite par le paiement de la redevance à l'entreprise partenaire. "Pour les collectivités territoriales, la rigidification de la dépense issue des contrats de partenariat est accrue par la règle d’or qui les empêche de recourir à l’emprunt pour équilibrer leur dépense de fonctionnement", précise le rapport.
Ainsi, du fait des dépenses qu'il peut "évicter" et de sa durée, le CP n'engage pas que celui qui le décide. Hugues Portelli alerte notamment sur le fait que les intercommunalités, appelées à monter en puissance, pourraient bien refuser le transfert de certaines compétences, telles que l'éclairage public, pour éviter d'hériter au passage des dettes des communes afférentes aux CP.
Supprimer le critère "subjectif et arbitraire" d'efficience
La mission préconise donc davantage de prudence et de prise en compte du moyen-long terme dans la stratégie d'investissement. Les sénateurs proposent ainsi de préférer à l'évaluation préalable actuelle, jugée inutile en l'état, une "étude approfondie des capacités financières prévisibles" de la personne publique envisageant de s'engager dans un PPP. Et de confier cette mission à "des organismes publics, indépendants et habilités". En amont, les sénateurs appellent à limiter l'utilisation des contrats de partenariat en refondant les critères permettant à la puissance publique d'y recourir. Il s'agit de préciser davantage les critères de complexité et d'urgence et de supprimer le troisième critère d'efficience économique qui avait été ajouté en 2008. "Le rapport coûts-avantages est une approche subjective et arbitraire", justifie Hugues Portelli. En outre, alors que le coût moyen des PPP est aujourd'hui de 70 millions d'euros pour les collectivités (et de 900 millions pour l'Etat), les sénateurs proposent de fixer un seuil minimal de coût pour ne réserver ce contrat qu'aux opérations d'une certaine envergure.
Professionnaliser la commande publique
D'autres propositions ont trait à l'accès des PME et TPE à la commande publique. Les contrats de partenariat étant "captés par un oligopole" de trois grands groupes, en particulier lorsque la demande émane de l'Etat, la loi pourrait réserver une part minimale de l'exécution du contrat aux PME et artisans, envisagent les sénateurs en s'interrogeant toutefois sur les conditions de mise en œuvre de cette disposition. Arguant du droit de la concurrence, les parlementaires avaient finalement écarté une telle idée lors de la récente adoption de la loi portant création des Sem à opération unique. Concernant les PPP, le rapport propose en outre d'exclure le choix de l'architecte du champ du contrat.
"Il faut garder ce contrat dans la panoplie des outils de la commande publique, mais en encadrant davantage l'accès", conclut Jean-Pierre Sueur. Si les treize propositions du rapport apparaissent plus nuancées que le diagnostic, les sénateurs portent surtout un message : il faut "sortir de l'idéologie du tout PPP". La condition à cela, c'est de (re)professionnaliser la commande publique. En mettant en place, notamment, des "équipes projet recouvrant des compétences de haut niveau à tous les stades de la vie d’un contrat de partenariat". Pour les sénateurs, "la puissance publique doit conserver une capacité d'ingénierie suffisante".
Caroline Megglé
(*) Les contrats de partenariat sont un type de partenariats public-privé, catégorie qui regroupe également, selon le rapport, "les autorisations d’occupation temporaire (AOT) couplées à des locations avec option d’achat, les baux emphytéotiques administratifs (BEA), les baux emphytéotiques hospitaliers (BEH) ainsi que les dispositifs sectoriels destinés à répondre aux besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie nationale".
Contrats de partenariat : qui, combien, pour quoi ?
Selon des
données de juillet 2014 publiées par la Mappp, 538 projets de contrats de partenariat (CP) sont en cours depuis 2004 et 70 autres projets ont été abandonnés. Parmi ces 538 CP, une majorité concerne le bâtiment (35%) et l'équipement urbain (24%). Viennent ensuite les secteurs de la culture et du sport (15%), de l'énergie (13%), des TIC (5%) et, de façon marginale, de la formation. Concernant l'envergure de ces projets, 64% des CP ont des montants inférieurs à 30 millions d'euros et seuls 8% dépassent les 150 millions.
On compte 148 contrats effectivement signés pour les collectivités locales et 51 pour l'Etat. Concernant les CP des collectivités, une majorité a trait à l'équipement urbain (42%). Viennent ensuite les secteurs du bâtiment (21%), le sport et la culture (15%), les TIC (9%), l'énergie et le traitement des déchets (7%) et les transports (6%). Pour les collectivités, l'éclairage public est l'objet le plus récurrent des CP. Quant à l'Etat, 58% des CP attribués concernent des bâtiments, dont beaucoup d'universités.