Congrès des maires – Transition écologique : les maires veulent avoir les coudées franches
C'est au niveau du bloc local que la planification écologique pourra se concrétiser. Mais pour cela, les élus veulent avoir les moyens d'agir et demandent à l'Etat davantage de souplesse et de cohérence, ont-ils fait valoir lors du premier débat du Congrès des maires de France ce 21 novembre, en présence du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.
"Arrêtez d'infantiliser les élus locaux dans leur capacité à conduire des politiques publiques complexes. On sait discuter entre nous et trouver des points d’accord. Laissez-nous travailler !", a lâché Jean-François Debat ce 21 novembre, en conclusion du débat d'ouverture du 105e Congrès de l'AMF intitulé "Réussir la transition écologique dans le respect des libertés locales". Donnant le ton de la séance plénière de l'après-midi (lire notre article), c'est le spectre d'une recentralisation rampante que le maire de Bourg-en-Bresse et président de Grand Bourg agglomération (Ain) a fustigé dans son intervention, tout comme ses collègues intervenant lors de ces deux heures de débat, ponctuées de questions d'élus dans l'assistance.
"Injonctions contradictoires"
"Réussir la transition écologique, c'est fondamental, les élus sont mobilisés mais cela doit venir du terrain car nous avons des priorités différentes", a appuyé d'emblée Bertrand Hauchecorne, maire de Mareau-aux-Prés (Loiret), co-président de la commission transition écologique et vice-président de l'AMF. Pas de remise en cause de la nécessité de la transition, donc, mais une volonté de garder une liberté d'agir et des capacités financières. En matière d'énergies renouvelables, par exemple, Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette (Essonne), membre de la commission transition écologique et de la commission aménagement, urbanisme, habitat de l'AMF pointe la difficulté à mener des projets de rénovation de bâtiments par l’extérieur et de pose de panneaux photovoltaïques, du fait du refus des Architectes des bâtiments de France.
A propos de la mise en place des zones d'accélération des énergies renouvelables, prévues par la loi "Aper" de mars 2023, si la ministre de la Transition énergétique a assuré que la date du 31 décembre 2023 n’était "pas une date butoir" (lire notre article), "certains préfets font du zèle", assure le maire, qui pointe des "injonctions contradictoires" et un manque de cohérence entre gouvernement et administration, ou entre les différents services de l’État. Autre exemple, celui de l’exemption de logements sociaux pour les communes soumises à une forte inconstructibilité, prévue par la loi 3DS. Michel Py, maire de Leucate (Aude) a expliqué que sa commune s'était vu d'abord accorder ce droit par le préfet, avant que celui-ci ne revoie sa copie, à la demande de "l’État profond", selon lui. Résultat : la collectivité a décidé d'attaquer l'arrêté préfectoral.
"Nous ne ronchonnons pas, mais nous sommes énervés car nous avons l’impression que parfois, on joue avec des bâtons qui nous sont mis dans les roues", pas forcément de façon volontaire, souligne Christian Métairie, maire d’Arcueil (Val-de-Marne), co-président de la commission transition écologique et vice-président de l’AMF. Il y a selon lui "beaucoup de choses à simplifier, fluidifier", car "c’est au niveau de la proximité, dans une commune ou une intercommunalité, qu’on a les clés de réussite" de la transition écologique. "Que l’État donne les grandes orientations, mais nous donne les possibilités d’agir, et les moyens". Pointant "un État impécunieux qui veut tout contrôler", Jean-François Debat estime que l'"on gagnerait à fixer des contrats d’objectifs, y compris qualitatifs, assortis de moyens". Prenant l'exemple du zéro artificialisation nette (ZAN), il en appelle à "des lois plus simples". "On a besoin de savoir vite notre objectif, et qu’on nous laisse tranquilles sur la façon d’y arriver. Aujourd’hui, on n’a pas la règle du jeu, (…) on est en train de perdre du temps !", déplore-t-il.
L'éternelle question des moyens
Autre difficulté majeure brandie par les élus, la question du financement de la transition écologique. Pour répondre aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone, les collectivités devraient investir 12 milliards d'euros par an, a chiffré l'institut I4CE (lire notre article), a rappelé Jean-François Vigier. Face à "l’urgence" de la situation mais aussi à l’obligation pour les maires de voter des budgets en équilibre, avec de surcroît une capacité d’endettement "limitée", "comment investir autant pour répondre à la stratégie nationale ?", interroge-t-il. Selon lui, deux pistes seraient à creuser, celle de la "dette verte" et celle d’une "fiscalité de résidence".
Le ministre de la Transition écologique, qui participait à la première partie du débat, a mis en avant le Fonds vert, avec "son esprit de souplesse sur toutes les strates de collectivités" et l'effet d'entraînement qu'il a suscité (10 milliards d'euros d'investissements des collectivités pour 2 milliards d'euros attribués par l'Etat). Mais il n'est pas aussi simple, ont critiqué plusieurs élus. "Il y a un décalage entre le volontarisme affiché par Monsieur Béchu, et ce qu’on observe sur le terrain, [où il] fonctionne avec des appels à projets et des dizaines de pages de dossier à remplir", ce qui en restreint l’accès des plus petites communes, moins bien dotées en ingénierie, a relevé Constance de Pélichy, maire de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) et co-présidente de la commission aménagement, urbanisme, habitat de l’AMF. Il faut selon elle "aller de la volonté politique aux actes sur le terrain", ce qui pose la question des "moyens mis dans les services déconcentrés de l’État".
"Nous faisons confiance au terrain", assure le ministre
Dans son intervention, Christophe Béchu a une nouvelle fois souligné l’importance des territoires pour faire la transition écologique, "point de jonction" entre l’État et les citoyens "où les politiques nationales se déclinent". Il a également rappelé l’ambition du gouvernement à travers les "COP régionales", dont celles des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine se tiendront "la semaine prochaine". "On donne aux régions le diagnostic sur les émissions, à elles de dire les secteurs et les domaines par lesquels elles souhaitent commencer, en animant à l’échelle des départements et des communes la remontée de ce qui a déjà été décidé, de manière que la consolidation de ces initiatives locales permette d’atteindre l’ambition qu’on s’est fixée", a-t-il résumé. Ainsi, "si l’ambition ne se discute pas", l’idée est "d’additionner la souplesse du terrain", en fonction des priorités de chacun (géothermie, biométhane, déminéralisation, etc.), insiste le ministre. "L’important est que tout le monde se mette en mouvement et fasse en sorte que sur ces leviers de biodiversité, d’atténuation ou d’adaptation, on soit en capacité d’avancer. Nous faisons confiance au terrain, avec une attente, que la somme de tout ça boucle."
Enfin, en réponse à la question d'un participant sur le retour à un transfert facultatif de la compétence eau et assainissement aux EPCI en 2026, le ministre s'est dit "pas d’accord par définition avec l’idée que l’intercommunalité ne serait pas un bon niveau en matière de gestion de l’eau" car "il y a une corrélation entre gestion en commune isolée et sécheresse", a-t-il affirmé. "Nous allons corriger le texte pour "rendre possible une alternative à l’intercommunalisation, notamment dans le cas d’intercommunalités XXL pour que les communes puissent se regrouper à plusieurs, mais en disant clairement que la gestion en commune isolée n’est pas possible", a-t-indiqué.