Congrès des maires – Le Beauvau des polices municipales relancé en vue d'une loi en 2025

Le gouvernement a relancé, jeudi 21 novembre, en direct du Congrès des maires, la démarche du "Beauvau des polices municipales" interrompue par la dissolution. L'enjeu : élargir les prérogatives des policiers municipaux et répondre aux attentes des syndicats en matière sociale. Le ministre délégué à la Sécurité du quotidien, Nicolas Daragon, a déroulé son calendrier : quatre rencontres sont prévues d'ici le mois de mars et un questionnaire en ligne va être adressé aux maires et au public "dans les prochaines semaines". Les premières mesures règlementaires sont attendues dès le 1er avril et une loi est annoncée pour le "premier semestre 2025". 

"On a une absolue nécessité d'aboutir", affirmait l'ancienne ministre déléguée chargée des collectivités et de la ruralité Dominique Faure, lors du lancement du "Beauvau des polices municipales", le 4 avril. C'était sans compter sur la dissolution. Qu'à cela ne tienne, ses successeurs ont repris le flambeau, à l'occasion du 106e Congrès de l'Association des maires de France (AMF). Cet exercice de concertation qui doit permettre de renforcer les prérogatives des polices municipales tout en améliorant le statut des agents est "indispensable", a déclaré le ministre délégué à la Sécurité du quotidien, Nicolas Daragon, jeudi 21 novembre, rappelant que "la dernière grande loi qui a régi les polices municipales date du 15 avril 1999". "Elle a plus de 25 ans." Or, les enjeux de sécurité ont beaucoup évolué entre temps, "hélas, pas dans le sens d'une amélioration", a déploré celui qui est toujours maire de Valence et vice-président de l'AMF, se présentant comme un "allié" des élus. Lui qui a "plus que doublé" les effectifs de sa police, forte aujourd'hui de 75 policiers armés. 

Devant un parterre de maires, de syndicalistes, de représentants de la police, de la gendarmerie, de la justice, et de préfets, le ministre a déroulé sa "méthode" pour relancer ce Beauvau. Deux questionnaires en ligne seront ouverts "dans les prochaines semaines" aux maires qui ont une police municipale et au public. La concertation va se poursuivre jusqu'au 31 mars, avec quatre rendez-vous fixés : le 16 janvier dans le Rhône autour de la doctrine d'emploi, de l'équipement et de l'armement des policiers municipaux, le 30 janvier dans le Pas-de-Calais, et deux réunions en février dans les Pays de la Loire et en Ile-de-France où sera abordé notamment le volet social, jugé prioritaire par les syndicats. Parallèlement, le ministre chargé des Outre-mer François-Noël Bufffet conduira concomitamment les deux "Beauvau" (polices municipales et sécurité civile) dans les territoires ultramarins qui ont "leurs spécificités".

Les premières mesures réglementaires seront prises "dès le 1er avril". S'en suivra un travail législatif censé aboutir au "premier semestre 2025". 

"C'est au maire de décider"

"C'est au maire de décider pour ce qui concerne la création, les effectifs, les prérogatives, ou encore l'équipement de leurs polices municipales et de leurs gardes champêtres", a insisté Nicolas Daragon. "Il n'y aura pas d'obligation", a-t-il assuré, avant d'évoquer les premières pistes issues des travaux conduits au printemps par ses prédécesseurs. Les nouvelles compétences devront être cantonnées à des "actions simples, facilitantes" et "ne nécessitant pas d'actes d'enquête". Il s'agit d'"aller le plus loin possible", dans le cadre d'une "boîte à outils" dans laquelle chaque maire pourra piocher. Les agents pourraient ainsi relever l'identité d'un suspect, constater par procès-verbal certains délits simples, inspecter visuellement des bagages dans les transports en commun, ouvrir les coffres des véhicules, accéder à davantage de fichiers nationaux, être dispensés de tenues dans les transports en commun pour constater des outrages sexistes ou sexuels… Parmi les incongruités relevées par le ministère : quand un individu est pris en flagrant délit d'usage de stupéfiants, le policier municipal ne peut ni prononcer une amende forfaitaire délictuelle (AFD) ni saisir les produits. Il doit contacter le commissariat ou la gendarmerie mais l'individu est laissé libre... Le président de l'AMF David Lisnard plaide pour des solutions "extrêmement simples", des "sanctions rapides et précises". Car "la crise de la démocratie est une crise de l'exécution", a-t-il mis en avant.

Le ministre ne part pas d'une page blanche et pourra s'appuyer sur la proposition de loi portée par le député des Alpes-Maritimes Eric Pauget (Droite républicaine) déposée il y a quelques semaines (voir notre article du 2 octobre). Un "texte sérieux", "point de départ d'un texte plus large" et qui "devra passer par les fourches caudines du Conseil constitutionnel", a souligné le parlementaire, rappelant qu'à deux reprises, les Sages s'étaient opposés à une extension des pouvoir des policiers municipaux : d'abord en 2011, avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) et, en 2021, avec la proposition de loi "sécurité globale", dont l'article 1er permettait "à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, aux agents de police municipale et gardes champêtres de certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre d'exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle" (voir notre article du 21 mai 2021). Dans les deux cas, le juge a considéré que ces dispositions n'étaient pas conformes à l'article 66 de la Constitution selon lequel la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire.

"Qui paye décide"

Alors pour passer cet écueil, le ministre reprend l'idée du député : donner la possibilité "dans un temps limité" à des officiers de police judiciaire habilités par le maire (directeurs ou chefs de la police municipale) d'exercer certains pouvoirs de police judiciaire (par exemple d'accéder à des fichiers), tout en restant sous la surveillance et le contrôle de l'autorité judiciaire. "Il y a des craintes d'avoir une double autorité. En limitant le périmètre, on limite le risque", estime le ministre. Car pour David Lisnard, la police municipale doit "rester sous commandement du maire". "Qui paye décide", a martelé le maire de Cannes, qui ne veut pas de "transfert déguisé".

C'est le nœud du problème : les maires sont d'accord pour une extension des pouvoirs de leurs polices sur la base du volontariat. Mais ils ne veulent pas servir de supplétifs. La police municipale doit rester une police de proximité et de la tranquillité publique, martèlent-ils. "La sécurité est la raison d'être de l'Etat", a rappelé David Lisnard. Et l'article 72 sur la libre administration des collectivités devra être "scrupuleusement respecté". Seulement "dans la réalité (…) les primo-intervenants sont très souvent les policiers municipaux". "Il est temps de mettre tout ça à plat en respectant le principe de contrat social local", dans une "subsidiarité ascendante", a-t-il développé.

Inégalité devant la loi

Pour Jean Léonetti, maire d'Antibes, les propos du ministre sont "frappés du sceau du bon sens". Mais "il ne faudrait pas qu'on se retrouve devant deux situations : un transfert de charge qui ne dit pas son nom et une inégalité devant la loi". Ces prérogatives et moyens nouveaux pourraient ne concerner "que les villes riches". "Il y a presque une obligation d'avoir une police municipale sur mon territoire", avec l'afflux de touristes pendant la période estivale, a-t-il expliqué. "Cette situation est volontaire et imposée." Le ministre a retenu l'idée avancée par le représentant FO Ludovic Durand d'un observatoire des polices municipales pour objectiver les données.

Et qui dit nouvelles compétences, dit nouvelles formations. Pour le président du CNFPT, Yohann Nédélec, il faudra trouver "100 millions d'euros" pour financer les centres de formation de la police municipale. Or, si les policiers municipaux représentent 1,2% des effectifs de la Fonction publique territoriale, ils concentrent 15% des dépenses de formation du CNFPT. Il propose une "cotisation additionnelle" au "0,9%" actuellement appliqué aux mairies.

Venu clôturer cette rencontre, le ministre de l'Intérieur a salué une démarche "extrêmement audacieuse" qui ne prend pas le problème "par le petit bout de la lorgnette". "Une partie de la société est de plus en plus violente. Aucun territoire n'est désormais épargné", a-t-il déclaré, évoquant une "violence de plus en plus désinhibée", "un rajeunissement effroyable". "Les clivages ont sauté (...), je veux que nous allions le plus loin possible pour doter les maires d'un maximum d'outils." Et faire en sorte que "les maires soient de vrais producteurs de la sécurité du quotidien".