Congrès de Villes de France : Caroline Cayeux passe de l'autre côté du miroir
Délicate situation pour la nouvelle ministre déléguée aux Collectivités territoriales, Caroline Cayeux, venue conclure à Fontainebleau, ce 12 juillet, le congrès de Villes de France, association qu'elle préside toujours officiellement. Le ton de ses anciens collègues se voulait amical mais "exigeant" dans un contexte financier très tendu, sur fond d'explosion des factures énergétiques. La ministre a confirmé que l'économie de 10 milliards d'euros demandée aux collectivités n'était plus à l'ordre du jour. Mais la suppression de la CVAE, elle, est bien maintenue, comme l'a indiqué Bruno Le Maire dans une brève allocution retransmise. Le congrès a aussi été l'occasion pour le préfet Rollon Mouchel-Blaisot de présenter en avant-première ses pistes pour la prolongation en 2026 du programme Action coeur de ville. Il les remettra au gouvernement la semaine prochaine.
Avant de rejoindre Bercy où d’intenses tractations se jouent en ce moment, Caroline Cayeux est venue conclure le congrès de Villes de France, mardi 12 juillet, sur la scène du théâtre de Fontainebleau, avec sa nouvelle casquette de ministre déléguée aux Collectivités territoriales. En prenant soin d'emmener avec elle la "liste de courses" que son ancien bras droit à la tête de l’association, Jean-François Debat, lui a remise oralement, alternant entre le tutoiement et le vouvoiement, l’émotion et la realpolitik. Le maire de Bourg-en-Bresse, président délégué de Villes de France, a promis que l’association représentative des villes moyennes serait "toujours force de proposition" à l’entame de ce quinquennat, comme elle l’a été lors du précédent, étant largement "co-constructrice" du programme taillé sur mesure Action cœur de ville (ACV). "Nous serons vigilants et exigeants, même avec vous", lui a-t-il aimablement glissé. Car les collectivités ont quelques sérieux sujets d’inquiétudes. Notamment sur le plan financier, dans un contexte d’inflation, d’explosion des charges (certaines factures d’énergie ont bondi de 300%) et d’une possible baisse de recettes en perspective, comme la suppression de la CVAE peut le laisser présager.
"Si les collectivités locales ne vont pas, ça n’ira pas"
"Les 10 milliards d’euros ne seront pas pris dans la poche de nos conseils municipaux", a tout d’abord tenu à confirmer celle qui est toujours officiellement présidente en exercice de l’association (Caroline Cayeux devrait prochainement remettre sa démission de maire de Beauvais pour se "conformer" à la règle édictée par le président de la République). "À moins d’un coup de Trafalgar, la mesure me semble assurée." Une clarification bienvenue après quelques jours de flottement : dans son discours de politique générale, Élisabeth Borne n’avait fait aucune allusion l’économie de 10 milliards d’euros demandée par Emmanuel Macron aux collectivités pendant sa campagne (voir notre article du 6 juillet 2022). Caroline Cayeux va cependant devoir rester aux aguets. Elle ne sait, par exemple, quel sort sera réservé à sa demande d’aligner la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur une partie de l’inflation, alors que les collectivités vont devoir absorber l'augmentation de 3,5% du point d'indice de leurs agents (voir notre article du 8 juillet 2022). Une mesure saluée par les maires qui demandent toutefois des compensations (pour la ville de Vitré, par exemple, elle représente un coût de 300.000 euros sur un budget de 22 millions d’euros). "Si les collectivités locales ne vont pas, ça n’ira pas", a martelé la ministre-présidente, rappelant qu’elles représentent 70% de l’investissement public en France. "Le quinquennat qui s’engage doit être celui des maires et des collectivités territoriales", a-t-elle appuyé, comptabilisant une douzaine d’anciens maires dans le gouvernement actuel. Caroline Cayeux assure vouloir mettre en pratique "la nouvelle méthode de travail" promise par Emmanuel Macron, en s’appuyant sur trois axes : "terrain, écoute, dialogue". Mais elle devra ruser avec la forteresse de Bercy. Dans un message diffusé dans la matinée, le ministre de l’Économie a confirmé la poursuite de la baisse des impôts de production, à savoir des 8 milliards de CVAE. "Bercy est le seul endroit de la République dans lequel il n’y a jamais d’alternance", a ironisé Jean-François Debat, rappelant l’hostilité de Villes de France à la précédente baisse. "Avec fermeté et absence d’agressivité, nous disons : stop, ce n’est plus possible. (…) Nous souhaitons que le gouvernement renonce à ce projet."
Mettre en place un "bouclier territorial"
Au Parlement, les élus trouveront des alliés de poids. Entre la suppression de la CVAE et la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN ), les collectivités n’auront plus d’intérêt à investir dans l’économie, a fustigé Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, lundi, au premier jour du congrès. "Il faudra un jour faire le grand soir, ou le grand matin des finances locales", et aller vers "l’autonomie financière (et non fiscale, ndlr)", a-t-elle martelé. La sénatrice d’Ille-et-Vilaine (UC) défend le besoins de "stabilité et lisibilité" des collectivités, ce qui pourrait passer par une contractualisation financière pluriannuelle. Une revendication qui a parcouru ces deux journées de discussions, Jean-François Debat jugeant à cet égard "bien pâlots" les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Le maire de Bourg-en Bresse a invité le gouvernement à ne pas s’arrêter à la situation financière des collectivités au 31 décembre 2021. "En théorie, on peut nous renvoyer à une situation financière saine", a-t-il dit, devançant le rapport de la Cour des comptes (voir notre article de ce jour) qui, le jour même, a estimé que la participation des collectivités au redressement des comptes publics pouvait apparaître "légitime". Car la situation a bien changé depuis, avec la guerre en Ukraine et l’inflation. Jean-François Debat alerte sur la question des marchés publics dont certains ont augmenté de 60%. Il y a, selon lui, une forme d’anticipation de candidats qui craignent l’inflation à venir. "C’est exactement comme cela qu’une inflation s’emballe", a-t-il mis en garde, invitant la DGCCRF à s’en saisir. De manière générale, les élus considèrent qu’ils n’ont quasiment pas de marge de manœuvre sur leurs tarifs. "En fonction du type de contrats, les factures grimpent de 50, 100 voire 300% pour le gaz, l’électricité, les carburants", a indiqué Jérôme Baloge, le maire de Niort. "C’est une vraie vague, un risque colossal", a-t-il alerté. Françoise Gatel a proposé qu’un "bouclier territorial" soit ajouté au projet de loi sur le pouvoir d’achat, un "bouclier tarifaire indispensable sur les prix des cantines, des piscines, des services"…
Une nouvelle feuille de route pour Action coeur de ville
Dans ce marasme ambiant, les maires de villes moyennes ne veulent pas passer pour les "ronchons" de service. Et ils ont pu se satisfaire des orientations de la phase II d'Action coeur de ville, dévoilées en primeur, lundi, par le directeur du programme, le préfet Rollon Mouchel-Blaisot. Ce dernier remettra son rapport de préfiguration la semaine prochaine au gouvernement, lequel rendra ses arbitrages à l'automne. Le préfet souhaite que "la lutte contre l’étalement urbain et l’adaptation au changement climatique via la sobriété foncière soit le socle de la prolongation" du programme, jusqu'en 2026. Cet acte II devrait poursuivre quatre objectifs : conforter le rôle de centralité des villes moyennes, revitaliser en priorité le centre-ville, accompagner "les villes à taille humaine" vers les trois grands défis que sont les transitions écologique, démographique et économique, sortir des opérations de plus en plus complexes. Conformément au souhait formulé par Emmanuel Macron, le 7 septembre, le programme serait élargi aux quartiers de gares et aux entrées de villes. Dans sa feuille de route, Rollon Mouchel-Blaisot propose de mettre en place des "ORT (opérations de revitalisation de territoire) vertes", de créer un fonds d’intervention à l’échelle régionale en remplacement du Fisac, une réforme des zones de revitalisation de centres-villes (avec une mission flash et des dispositions dans le PLF pour 2023), un doublement du fonds Friches qui a connu beaucoup de succès... Il défend également un socle de services essentiels à la population (santé, médicosocial, enseignement supérieur, inclusion des aînés, etc.). "Dans les grandes lignes, nous souscrivons à ces conclusions, par anticipation. Il reste à les valider", a commenté Jean-François Debat, listant toutefois deux alertes. La première est celle des moyens financiers qui seront déployés par l’État (la question des financements est aussi un point de vigilance du Sénat - voir notre article du 7 juillet 2022) et qui ne sont toujours pas connus. La seconde est de ne pas mettre les objectifs ACV en porte-à-faux avec d’autres décisions, comme la réforme des valeurs locatives qui, en l’état, privilégierait les grandes surfaces de périphérie par rapport aux commerces de centre-ville. Villes de France demande au gouvernement de "lever le stylo" pour réfléchir davantage. Et de se pencher sur la question de la fiscalité des entrepôts. Enfin, alors que les villes moyennes se font fort d’attirer des étudiants chez eux, Jean-François Debat pointe la tendance "centripète" des présidents d’universités de privilégier, dans le cadre des contrats de plan, les centres d’universités par rapport aux antennes des villes moyennes.
Forte de cette copieuse "liste de courses", Caroline Cayeux donne rendez-vous pour l’Agenda territorial proposé par Élisabeth Borne. "C’est ensemble que nous pouvons construire ce nouveau chapitre", a-t-elle promis. La présidence de Villes de France devrait être remis en jeu en septembre.