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Quelles solutions pour les collectivités face à la flambée des prix de l’énergie ?

La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales organisait ce 7 juillet une audition consacrée à la hausse du coût de l’énergie, visant à identifier des solutions à court et long termes pour faire face à ce phénomène. 

"Quelque chose d’inédit, d’incroyable, de jamais vu." Frédéric Lefort, directeur général d’Engie Entreprises et collectivités, peine à trouver les mots pour qualifier la flambée des coûts de l’énergie à l’œuvre depuis la fin 2021 (voir notre article du 13 octobre 2021). Il était auditionné, parmi d’autres, ce 7 juillet par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales sur ce sujet, plus que jamais en tête des préoccupations des collectivités (voir notre article du 1er juillet). Et ce sans doute pour longtemps encore. 

Trois horizons

Frédéric Lefort distingue en effet trois horizons : la "fin de mois", les prochains hivers et à plus long terme l’objectif de neutralité climatique en 2050. Le premier est déjà familier pour la plupart des collectivités, pour lesquelles "le paiement de la facture est déjà extrêmement compliqué", indique Frédéric Lefort. "Celles qui ont acheté leur énergie avant octobre 2021 sont encore relativement protégées", précise-t-il, en observant que "le prix de l’électricité était alors de 50 euros le MWh, comme il l’a été pendant des années" – ce qui au passage relativise l’argument de la volatilité des marchés sur le long terme (il n’avait jamais dépassé les 100 euros avant septembre 2021). Ces derniers se sont en revanche emballés à l’automne dernier – conséquence de la forte reprise après l’arrêt forcé de l’activité, effet renforcé compte tenu du lien avec le prix du CO2 –, puis au printemps, avec la guerre en Ukraine et sa gestion. Aujourd’hui, les prix d’achat de l’électricité en France tutoient ou même dépassent les 400 euros le MWh (après avoir atteint des pics plus élevés encore).
Le spécialiste estime que deux "incertitudes" devraient continuer à peser à moyen terme : la première liée à la guerre et la seconde, spécifique à la France, à la disponibilité des centrales nucléaires. "Le marché anticipe un déséquilibre entre l’offre et la demande, ce qui explique que la France achète l’électricité deux à trois fois plus cher", explique-t-il (parmi d’autres, l’Italie souffre également de prix très élevés). Pour faire face, "tout le monde a un rôle à jouer", insiste-t-il : "Les pouvoirs publics, en protégeant à court terme les plus fragiles et en fixant à long terme un cadre garantissant les prix, la teneur en CO2 et la sécurité des approvisionnements ; les producteurs et distributeurs, en sécurisant la production et l’approvisionnement (nucléaire et GNL) et en accélérant le déploiement des énergies renouvelables ; les fournisseurs et consommateurs, en consommant moins, via sobriété et efficacité énergétiques".

Les collectivités invitées à "mieux acheter"…

Les collectivités sont d’autant moins oubliées qu’elles sont concernées à plus d’un titre. En qualité de consommateurs, Frédéric Devieilhe, directeur clients publics d’Engie Entreprises et collectivités, les invite d’abord à "acheter mieux" : "Il y a encore énormément de collectivités qui lancent leurs appels d’offres trop tardivement dans l’année – 60% le font sur le dernier trimestre pour l’année suivante. Or il existe deux pratiques fondamentales à respecter : anticiper ses achats, au minimum d’un à deux ans, et acheter au bon moment, en se faisant accompagner. Le risque est désormais énorme de ne pas regarder les prix des marchés". Pour preuve, il relève qu’au 4 juillet, le prix de l’électricité était de 388 euros le MWh pour 2023, mais de 214 euros pour 2024 et 176 euros pour 2025.
Arnaud Mercier, maire de Venelles (Bouches-du-Rhône), invite pour sa part à la mutualisation, comme le fait sa commune dans le cadre d’un syndicat départemental, que la ville de Marseille devrait rejoindre prochainement, indique-t-il. Le recours aux Power Purchase Agreements (PPA) de long terme (avec de l’électricité provenant d’un actif à construire) a sans surprise une nouvelle fois été promu. Outre les économies d’achat qu’ils génèrent, Frédéric Devieilhe souligne que "cela permet d’investir dans les territoires et de valoriser du foncier non utilisé". Mais on le sait (voir notre article du 1er juillet), leur déploiement est entravé par le code de la commande publique : "Alors que cette solution permet aux collectivités de contourner les aléas du marché et d’acheter local, en circuit court, le code ne permet pas de fixer l’origine de la production. En outre, le principe même du PPA est d’offrir de la visibilité au producteur, via des engagements de long terme, de 15 à 20 ans. Or le code ne permet pas de lancer des appels d’offres de plus de 4 ans sur l’énergie", se lamente Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce.

… à moins consommer…

Comme les autres, et singulièrement face à l’hiver qui vient, les collectivités sont conviées à faire preuve de sobriété – "la solution la plus efficace à court terme", insiste Frédéric Lefort. Arnaud Mercier, Michel Maya, maire de Tramayes (Saône-et-Loire) et Nicolas Garnier égrènent les mesures pouvant être prises – que les deux premiers ont parfois déjà adoptées : report de la mise en route du chauffage dans les services, baisse de la température, meilleure connaissance – notamment via l’outil eSherpa – et pilotage, de sa consommation, extinction nocturne, rénovation des bâtiments mais aussi de l’éclairage public, etc.

… et à produire plus…

Les collectivités sont également invitées à tenir leur place en matière de production d’énergie, Arnaud Mercier et Michel Maya vantant leur bilan en la matière. L’autoconsommation a ici encore été promue. "La question est centrale", affirme le premier, qui précise néanmoins "qu’elle implique une consommation homogène", ce qui a contraint sa collectivité à opter pour la revente. Frédéric Lefort met lui en avant "le rôle important que les collectivités doivent jouer en matière d’acceptabilité sociale". "Il faut que chaque région fasse sa part du job", insiste de son côté Nicolas Garnier, qui recommande par ailleurs de développer les réseaux de chaleur et de "sortir le biogaz et la chaleur fatale de leurs carcans". "Si on valorise bien nos déchets, on a l’équivalent de 1.500 éoliennes ou d’une tranche d’une centrale nucléaire", assure-t-il.

… veulent être davantage accompagnées

Reste qu’à court terme, de l’avis général, tout cela ne permettra pas de franchir l’obstacle, alors que les budgets sont fortement sollicités et les recettes figées, insiste Arnaud Mercier. L’élu plaide pour que "le bouclier tarifaire soit d’urgence appliqué aux collectivités" et pour "une nouvelle augmentation du plafond de l’Arenh [accès régulé à l'électricité nucléaire historique], au moins à 160 TWh" *. Nicolas Garnier, qui milite pour que le prochain projet de loi pouvoir d’achat "comporte un chapitre consacré au pouvoir d’achat territorial et à la fiscalité locale", cerne les différents contours que pourrait prendre ce bouclier pour les collectivités : "un chèque énergie, une partie de l’Arenh fléchée vers les services essentiels, la réintroduction de tarifs réglementés pour ces mêmes services – il faut être conscient qu’on ne peut pas le demander sur tout ce que fait une collectivité – ou encore une baisse de taxes sur l’énergie ou sectorielles", évoquant notamment ici la TGAP [taxe générale sur les activités polluantes]. Pour faciliter la transition énergétique dans les territoires, il préconise par ailleurs "un doublement, un triplement de la DSIL" (dotation de soutien à l’investissement local), un "doublement du dispositif CEE [certificats d'économies d'énergie] pour la rénovation" ou encore l’affectation "d’une part de la fiscalité carbone". Pour appuyer la demande, il suggère "d’établir qui a gagné quoi dans cette crise énergétique". Non sans avoir déjà une petite idée en tête : "C’est peu dit, mais l’État gagne beaucoup d’argent sur l’énergie aujourd’hui."

* Pour mémoire, EDF était depuis 2010 dans l’obligation de vendre 100TWh de sa production nucléaire et hydraulique aux fournisseurs alternatifs qui en font la demande à un prix fixe de 42 euros. Ce plafond a été relevé à 120 TWh par arrêté du 11 mars dernier, à un prix de 46,2 euros le MWh. Le 29 mars dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) plaidait pour un nouveau relèvement du plafond à 150 TWh, moyennant réévaluation du prix.