Elisabeth Borne se pose en bâtisseuse de compromis
Lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale ce 6 juillet, Elisabeth Borne a appelé à "bâtir ensemble" des "compromis" pour répondre aux défis économiques ou climatiques et fait à de nombreuses reprises référence aux collectivités pour les mettre en œuvre. Elle a notamment détaillé le contenu du projet de loi Pouvoir d'achat qui sera présenté ce 7 juillet en conseil des ministres et annoncé le lancement en septembre d'une grande concertation en vue d'une loi d’orientation énergie-climat, la renationalisation à 100% d'EDF, une réforme de l'allocation adultes handicapés et proposé un "agenda territorial" avec les collectivités, pour apporter plus de lisibilité à leurs compétences.
"Je m’engage à ne jamais rompre le fil du dialogue avec les groupes parlementaires, avec les forces vives, avec les Françaises et les Français." C’est sur une volonté de dialogue que la Première ministre, Elisabeth Borne, a conclu son discours de politique générale, devant l’Assemblée nationale, le 6 juillet, tenant ainsi compte des résultats des dernières élections, de "l’écho de l’abstention" et de la nouvelle situation politique avec une majorité relative. Une façon aussi de tourner la page d’un exécutif jupitérien coupé des "corps intermédiaires". Dans un monde en pleine effervescence (guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation record…), elle veut – et se doit de – "bâtir des compromis", terme revenu avec insistance tout au long de son discours d’1h30, ponctué d’applaudissements mais aussi de huées lorsque les sujets qui fâchent, comme la réforme des retraites, sont revenus sur la table. Compromis ne signifie pas "compromission", a-t-elle martelé, invitant les différents groupes à la "responsabilité".
Dans la nouvelle méthode qu’elle assure vouloir mettre en œuvre, la volonté de s’appuyer sur les collectivités est une constante. Ce que son nouveau gouvernement, dont la part d’élus a été renforcée, pouvait laisser présager. L’occasion pour elle de rendre un court et unique hommage à son prédécesseur, Jean Castex, "infatigable voix des territoires", qui s’est notamment "engagé personnellement pour le ferroviaire". Elisabeth Borne se veut à l’écoute des "colères" qui s’expriment dans le pays. "De tous les territoires de France, j’entends cette demande commune de justice, de cohésion, de considération", a-t-elle déclaré.
Pouvoir d'achat
La Première ministre assigne cinq grandes priorités à son gouvernement : le pouvoir d’achat, le plein emploi, l’urgence climatique, l’égalité des chances et les enjeux de souveraineté. Dès jeudi, le conseil des ministres examinera des textes d’urgence : l’un sur le pouvoir d’achat, dans le prolongement des mesures déjà prises depuis l’automne pour limiter l’augmentation des prix, et l’autre sera le projet de loi de finances rectificative. Sachant que les nouvelles mesures envisagées se chiffreraient à 25 milliards d’euros. Le projet de loi Pouvoir d’achat proposera ainsi "de prolonger le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité" ; "d’augmenter les revenus du travail et de mieux partager la valeur, en baissant les charges sur les indépendants et en triplant le plafond de la prime de pouvoir d’achat" ; "de revaloriser les retraites et les prestations sociales, notamment les allocations familiales, la prime d’activité, les APL (celles-ci avaient été baissées de 5 euros sous le précédent quinquennat, on parle désormais d’une revalorisation de 3,5%, ndlr), l’allocation adultes handicapés" ; "de revaloriser les bourses sur critères sociaux" ; "d’aider les travailleurs pour lesquels la voiture est une nécessité". Il s’agit d’un socle de base qui aura vocation à s’élargir lors du débat parlementaire. Le gouvernement propose aussi un "chèque alimentation" pour les ménages les plus démunis. L’autre priorité et au-delà de ces mesures d’urgence, c’est le logement, premier poste de dépense des Français. Comme annoncé il y a quelques jours, l’exécutif table sur un plafonnement de la hausse des loyers (et non d’un gel comme le réclamaient certaines associations de locataires). Il entend aussi ouvrir la caution publique aux classes moyennes, construire davantage de logements dans les zones en tension, conclure un "pacte de confiance" avec les acteurs du logement social et enfin, engager un "nouvel acte de décentralisation"... ce dernier permettrait de "concentrer les moyens et les responsabilités à l’échelle des bassins de vie".
"Le pouvoir d’achat est un combat collectif. Chacun doit y prendre sa part, et notamment les entreprises qui dégagent des marges (…). J’attends des employeurs qui le peuvent, qu’ils prennent leurs responsabilités", a aussi souligné Elisabeth Borne. Pas question pour autant de laisser filer les comptes publics, comme avec le "quoi qu’il en coûte" mis en place au moment de la crise sanitaire. Elisabeth Borne en appelle à la "responsabilité budgétaire" avec deux objectifs "clairs" : baisse de la dette à partir de 2026 et retour du déficit sous les 3% en 2027, ce qui sera possible en "bâtissant les conditions d’une croissance forte et durable", "en menant les réformes nécessaires" et "en accentuant la lutte contre les fraudes". En revanche, "pas de hausse d’impôts" à l’horizon. "Nous devons cesser de croire qu’à chaque défi, la solution est une taxe", a affirmé Elisabeth Borne, confirmant la suppression de la redevance audiovisuelle et de la CVAE pour 2023 "contre une compensation de l'Etat".
"Le plein emploi à notre portée"
Le deuxième défi : "bâtir ensemble la société du plein emploi". Celui-ci est "à notre portée", a assuré l’ancienne ministre du Travail, se félicitant d’un taux de chômage à 7,3%, soit le plus bas depuis quinze ans, atteint notamment grâce à la réforme de l’apprentissage qui souffre cependant aujourd’hui de quelques difficultés de financement. La transformation de Pôle emploi en France Travail, comme proposé par Emmanuel Macron, est confirmée. Derrière le changement d’appellation, la Première ministre souhaite engager une réorganisation des acteurs de l’emploi. "Nous ne pouvons plus continuer à avoir, d’un côté, l’Etat qui accompagne les demandeurs d’emploi, de l’autre, les régions qui s’occupent de leur formation et les départements en charge de l’insertion des bénéficiaires du RSA", a-t-elle pointé. "Avec les régions, nous ferons en sorte que chaque élève puisse découvrir et connaître des métiers, notamment ceux de l’artisanat, de l’industrie, du tourisme, les métiers d’art", a-t-elle ajouté.
Du plein emploi, qui permettra de financer "notre modèle social", Elisabeth Borne en est venu au sujet brûlant : la réforme des retraites, soulevant une bronca. "En la matière, la transparence est une exigence, les faux-semblants un manque de respect pour nos concitoyens", a-t-elle posé d’emblée. "Oui, nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps." Cette réforme n’est pas "ficelée", a-t-elle garanti. Elle "ne sera pas uniforme et devra prendre en compte les carrières longues et la pénibilité", elle devra aussi "veiller au maintien dans l’emploi des seniors". Et "elle se fera dans la concertation avec les partenaires sociaux, en associant les parlementaires le plus en amont possible".
"Réponses radicales à l'urgence écologique"
La Première ministre a promis des "réponses radicales à l'urgence écologique", que ce soit "dans notre manière de produire, de nous loger, de nous déplacer, de consommer", rejetant l'idée que "cette révolution climatique passe par la décroissance". "Au contraire, ce sont des innovations, des filières nouvelles, des emplois d'avenir."
"Sous l'impulsion de la France, l’Europe s’est fixé l’objectif d’être neutre en carbone en 2050 et de réduire ses émissions de 55% d’ici à 2030. Ces objectifs, nous devons les atteindre. Ensemble, nous gagnerons la bataille du climat", a affirmé Elisabeth Borne, ajoutant que chaque ministre aurait une "feuille de route climat et biodiversité" et qu'elle même chapeauterait la planification écologique. "Nous allons définir ensemble un plan d’action. Un "plan de bataille" pour une "révolution écologique", a-t-elle martelé. "Dès le mois de septembre, nous lancerons une vaste concertation en vue d'une loi d’orientation énergie-climat", a-t-elle annoncé, en promettant de définir "filière par filière, territoire par territoire" des "objectifs de réduction d'émissions, des étapes et des moyens appropriés". "Nous avancerons avec les élus locaux, a souligné Elisabeth Borne. Ils ont en charge l'aménagement du territoire, les transports, l'habitat, les déchets. Nous avons besoin d'eux et c'est le sens même de la création d'un ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires." "Ils seront également des sources d'inspiration, d'initiatives et d'idées, a-t-elle poursuivi. Bien souvent dans leurs territoires, ils ont montré le chemin."
La France sera la "première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles" afin de garantir sa "souveraineté énergétique" face à des pays producteurs d'hydrocarbures comme la Russie, a-t-elle assuré. Pour cela, elle s'appuiera sur "un mix énergétique équilibré autour des énergies renouvelables et du nucléaire", a dit Elisabeth Borne, reprenant une antienne du président Emmanuel Macron. Pour garantir la "souveraineté de la France face aux conséquences de la guerre" en Ukraine, l’Etat va renationaliser EDF à 100%, a-t-elle annoncé, esquissant un parallèle avec les grandes décisions de politique publique, dont la création d'EDF, prises après 1945.
Pour réduire la dépendance vis-à-vis du gaz russe, même si la France est moins exposée en la matière que d'autres pays européens, les "consommations inutiles" vont être réduites, notamment dans le domaine du chauffage pour lequel le dispositif MaPrimeRénov sera étendu à 700.000 logements par an.
En matière de transport, "le ferroviaire est et restera la colonne vertébrale d'une mobilité propre", a affirmé celle qui fut d'abord ministre des Transports dans le précédent quinquennat. "Nous continuerons les investissements de ces dernières années pour les transports du quotidien, pour les petites lignes." "Partout, des solutions alternatives à l'usage individuel de la voiture thermique devront être construites." Un système de location de voitures électriques à moins de 100 euros par mois sera mis en place, a-t-elle également confirmé. Elisabeth Borne a par ailleurs assuré que personne ne serait laissé "sur le bord de la route" du fait de l'abandon de certaines filières et certains modes de consommation.
"Nous avons retenu les leçons du textile et de l’acier. Chaque transition ira de pair avec un accompagnement pour la formation et la reconversion", a-t-elle promis.
Le défi de l’égalité des chances
"L’enfance sera une priorité de ce quinquennat", a déclaré Elisabeth Borne. "Nous répondrons à la première préoccupation des parents aujourd’hui : le manque de solution de garde pour les enfants, et notamment les enfants de moins de trois ans", a-t-elle assuré. "Mon gouvernement souhaite bâtir, avec les collectivités, un véritable service public de la petite enfance. Il permettra d'offrir les 200.000 places d'accueil manquantes", a-t-elle ajouté. Ces solutions de garde seront "proches des domiciles" et "accessibles financièrement". Elisabeth Borne a également annoncé que le gouvernement accorderait "une aide aux familles monoparentales pour la garde des enfants jusqu'à 12 ans".
Le gouvernement veut en outre rendre accessible dès la 6e le pass culture, qui permet actuellement aux 15-18 ans de disposer d'un budget pour acheter des produits culturels, a annoncé Elisabeth Borne. Initialement destiné aux jeunes atteignant 18 ans avec 300 euros à dépenser, ce pass a été élargi en début d'année aux adolescents dès 15 ans avec 20 euros l'année de leurs 15 ans, 30 euros l'année de leurs 16 ans et 30 euros l'année de leurs 17 ans. Il comprend aussi actuellement un volet collectif, avec une enveloppe dépendant du nombre d'élèves pour les classes à partir de la 4e.
En matière de santé, "nous devons activer tous les leviers", a affirmé Elisabeth Borne, le premier étant selon elle la prévention : "Prévenir les maladies, c’est agir sur la qualité de l’air, sur l’habitat, sur les conditions de vie. C’est prendre en compte les inégalités sociales qui sont aujourd’hui les principaux déterminants de la santé de chacun." "Nous devons construire sur chaque territoire une offre de santé adaptée. Je suis convaincue que les solutions viendront des professionnels, des élus, des patients et du terrain", a-t-elle estimé. Elle a annoncé le lancement de "concertations dès septembre", en particulier pour lutter les déserts médicaux. Il faut aussi "permettre le recrutement de 50.000 infirmiers et soignants d’ici à 2027".
Concernant le grand âge, il s’agit d'abord de "donner aux personnes âgées la capacité de vieillir sereinement chez elles" en s'appuyant sur le dispositif "Ma PrimeAdapt" pour leur permettre d'adapter leurs logements et "en améliorant la qualité des services à domicile". Autre nécessité, pour la Première ministre : "Construire des liens plus forts entre établissements et domicile, créer des Ehpad hors les murs pour une prise en charge toujours plus adaptée à chaque situation."
Au sujet du handicap, qui touche selon elle "12 millions de Français", Elisabeth Borne soutient la construction d’une "société qui accepte, qui inclut, qui respecte". Elle a annoncé une conférence nationale sur le sujet début 2023. "Nous agirons pour l'accessibilité universelle, pour l'autonomie des personnes handicapées, notamment financière, pour la transformation des structures médicosociales, pour une meilleure reconnaissance des personnels de l'accompagnement", a-t-elle détaillé, estimant aussi nécessaire d'"améliorer l'inclusion par le travail, dans le milieu ordinaire d'abord, ainsi que dans les Esat ou en entreprise adaptée." Elle a aussi annoncé que le gouvernement souhaitait réformer l'allocation adultes handicapés (AAH). "Nous partirons du principe de la déconjugalisation", a-t-elle précisé, permettant de calculer cette allocation de façon individuelle, sans tenir compte des revenus du conjoint. "C’est une question de dignité et une avancée très attendue", a-t-elle estimé.
L’égalité des chances passera aussi par la "justice territoriale", et la résorption des fractures territoriales qui a déjà commencé avec la redynamisation des centres-villes et des centres-bourgs et le déploiement de plus de 2.000 Maisons France services, a-t-elle fait valoir. Elisabeth Borne propose un "agenda territorial" avec les collectivités, pour apporter plus de lisibilité dans leurs compétences. "Etat et collectivités doivent se donner une lecture commune des défis à relever, des leviers à activer, des moyens nécessaires." Le gouvernement "poursuivra la logique de différenciation partout où elle répond aux attentes". "Nous voulons donner plus de poids aux élus locaux, plus de lisibilité dans leurs compétences, plus de cohérence dans leur action", a-t-elle assuré. "Les conseillers territoriaux peuvent être un moyen d’y parvenir et de construire les complémentarités indispensables entre départements et régions", a-t-elle ajouté. Des "concertations approfondies" seront lancées dès l’an prochain. Le cas du statut de la Corse sera "relancé dans les prochains jours". La Première ministre a aussi eu un mot pour les outre-mer, s’engageant à répondre à l’appel lancé par les collectivités à Fort-de-France il y a quelques jours.
Enfin, toujours dans ce chapitre de l’égalité des chances, Elisabeth Borne s’est appesantie sur les enjeux de sécurité, évoquant le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) déjà présenté en conseil des ministres en mars dernier.
Le dernier défi posé par la Première ministère est celui des enjeux de souveraineté, rendus plus aigus par la situation internationale. Outre les questions militaires et énergétiques, Elisabeth Borne a évoqué la question de la souveraineté alimentaire et le problème de renouvellement des générations d’agriculteurs. La moitié d’entre eux sont appelés à partir à la retraite d’ici à 2030. Une loi d’orientation et d’avenir pour l’agriculture tentera d’endiguer ce problème.