Décentralisation - Compétences, pacte de gouvernance... Le Sénat confirme pour l'essentiel le texte voté en commission
Comme l'avaient laissé présager les différentes étapes des travaux en commission des lois puis la discussion générale en séance jeudi 30 mai (voir nos articles des 16, 29 et 30 mai), l'examen du titre I du premier projet de loi de décentralisation a donné lieu de la part des sénateurs à un sérieux démantèlement du texte gouvernemental. Le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, avait prévenu : le Sénat entendait "élaguer" le texte. Or "ils ne se sont pas contentés d'un simple élagage, ils y sont allés à la tronçonneuse !", a par exemple commenté la sénatrice UMP Dominique de Legge.
Vendredi 31 mai, il s'est en fait surtout agi pour les sénateurs de maintenir le texte tel qu'adopté en commission et d'écarter les amendements du gouvernement qui tendaient, soit à revenir au texte initial, soit à proposer des aménagements de compromis.
De façon plus marginale, il s'est aussi agi d'insister sur quelques positions de principe… D'où, notamment, l'adoption de deux amendements du groupe CRC (communistes) donnant lieu à deux nouveaux articles. En notant au passage que toutes les voix mobilisables seront nécessaires, dont celles des communistes et des écologistes, pour que le projet de loi puisse être voté. Et c'est bien ce qu'espère a minima Jean-Pierre Sueur ("notre volonté c'est qu'il y ait un texte du Sénat", insistait-il récemment) qui a encore en tête le rejet par les sénateurs du projet de loi Valls (rejet qui avait de facto conduit les députés à examiner le texte du gouvernement).
Un article inséré avant l'article 1er, défendu par Christian Favier, dit : "La commune occupe une place fondamentale dans l'architecture locale de notre République. Elle est le pivot de l'organisation et du dialogue territorial, située au plus près des besoins des populations et un premier échelon de la vie démocratique. Aussi l'intercommunalité doit être un outil de coopération et de développement au service des communes, dans le respect du principe de subsidiarité." Tant la ministre Marylise Lebranchu que le rapporteur René Vandierendonck ont émis un avis défavorable, soulignant que l'article avait une portée "déclaratoire" plus que "normative".
Un autre article (3 bis) introduit à l'initiative du groupe CRC indique qu'une collectivité "ne peut exercer une tutelle sur une autre, en sa qualité de chef de file, pour l'exercice d'une compétence qui nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales". Cette fois, le gouvernement s'en est remis à la sagesse du Sénat, tout en relevant que le nouvel article ne semblait rien apporter de plus par rapport à ce que dit déjà l'article 72 de la Constitution.
Plus qu'une simple instance de dialogue
Mais surtout, les sénateurs ont confirmé leur opposition aux deux dispositifs clefs de la réforme portée par Marylise Lebranchu, à savoir les Conférences territoriales de l'action publique (CTAP) et les pactes de gouvernance territoriale.
Sur les CTAP (leur composition, leur fonctionnement…), les amendements ont été nombreux, les débats ont été longs et pas toujours limpides. Le gouvernement, a expliqué la ministre, avait accepté de "répondre à ce [qu'il avait] ressenti comme étant une opposition grandissante" : "Sans doute les collectivités territoriales ont-elles eu le sentiment que la région, en tant qu'institution, avait la totale maîtrise", a reconnu la ministre.
Jean-Pierre Sueur a rappelé que "la configuration initiale [leur] était apparue trop complexe, trop contraignante, peu lisible, avec des enchevêtrements, une collection de schémas, un véritable embrouillamini". Le but des sénateurs était donc d'aboutir à "un dispositif plus souple et plus léger". "Quelque part j'ai l'impression que vous ne nous faites pas confiance pour élaborer, nous les collectivités, des façons de coopérer ensemble, et que vous voulez nous imposer un cadre national", a de même déploré Marie-France Beaufils (CRC) à l'adresse du gouvernement.
Seuls les écologistes, par la voix d'Hélène Lipietz, se sont opposés à cette vision : "Nous sommes peu satisfaits que la commission des lois ait transformé la conférence territoriale d'action publique en simple instance de dialogue. Nous considérons, en effet, que la conférence territoriale doit avoir une vision de l'intégralité des enjeux du territoire", a déclaré la sénatrice de Seine-et-Marne.
Les amendements présentés par Marylise Lebranchu pour redonner un peu plus de corps à cette Conférence ont tous été rejetés.
Le Sénat a aussi ratifié la suppression du Pacte de gouvernance territorial qui devait être le bras armé de cette CTAP. Les articles 1er, 5 et 6 sont ainsi tout simplement supprimés. L'article 6 correspondait à la limitation des cofinancements : "Avec le pacte de gouvernance territoriale, le gouvernement avait imaginé que le cofinancement ne serait pas possible faute d'accord entre les collectivités", a rappelé Marylise Lebranchu. Mais là encore, la proposition gouvernementale d'assouplissement du pacte n'a pas suffi à faire changer d'avis la majorité des sénateurs.
C'est donc la philosophie même du texte qui semble avoir été bousculée. La ministre de la Réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, en a redonné le fil rouge : "La volonté du gouvernement était de proposer qu'au lieu de voter des lois de décentralisation tous les trois ou quatre ans, comme c'est désormais le cas, nous trouvions un accord autour d'un texte qui permette aux collectivités territoriales de bénéficier d'un environnement négocié. (…) J'entends dire que les exécutifs locaux ont l'habitude de se voir et d'échanger de manière informelle. Je crois que la gouvernance d'une compétence va au-delà d'un simple échange et ne saurait se résumer à un bavardage. Il s'agit de dire que, pour une durée de quatre ou cinq ans, par exemple, telle collectivité gérera cette compétence de telle façon, tandis qu'une autre procédera différemment suivant la géographie, l'histoire, les habitudes et la démographie des territoires (…) Telle était notre idée ; vous la rejetez, je le comprends."
Le tourisme reste entre deux eaux
L'examen de l'article 3 relatif à la désignation des chefs de file pour la mise en oeuvre de compétences nécessitant l'intervention de plusieurs niveaux collectivités a lui aussi été sensiblement modifié et a donné lieu à d'âpres discussions.
On en retiendra notamment que la région ressort chef de file, non seulement pour l'aménagement et le développement économique des territoires, pour l'innovation et "la complémentarité entre les modes de transport"… mais aussi désormais - suite à un petit coup de pinceau vert accordé aux écologistes - pour la biodiversité, la transition énergétique et l'établissement d'un Agenda 21 régional. Un amendement du gouvernement ajoute aussi "l'internationalisation des entreprises".
Pas de changement pour les départements par rapport au texte adopté en commission, qui restent donc chefs de file pour "l'action sociale et la cohésion sociale, l'autonomie des personnes, l'aménagement numérique et la solidarité des territoires".
La version commission des lois reste également inchangée pour les communes et les intercommunalités : celles-ci seront chefs de file pour "l'accès aux services publics de proximité, le développement local et l'aménagement de l'espace", alors que le texte d'origine ne prévoyait que la qualité de l'air et la mobilité durable.
Restait la question de la compétence tourisme. Le gouvernement a tenté en vain de revenir à son texte d'origine qui attribuait le tourisme aux départements alors que la commission des lois l'avait ensuite attribué aux régions. Il a finalement été décidé… de ne pas attribuer de chef de filât pour le tourisme.
Sur ce point comme sur d'autres, plusieurs sénateurs ont regretté que les associations d'élus aient tant voulu peser sur la teneur du texte. "Si chacune de ces associations vient faire son marché ou passer ses commandes à l'Assemblée nationale et au Sénat, ne parlons plus de représentation nationale", a par exemple lancé Roger Karoutchi.
Cet examen en première lecture a repris ce lundi 3 juin pour s'attaquer à son volet métropoles et doit en principe durer jusqu'au 8 juin.