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Décentralisation - Projet de loi Lebranchu : les ajustements ne font que commencer

C'est ce jeudi 30 mai que débute au Sénat l'examen en séance publique du projet de loi "Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles". Les sénateurs misent sur dix jours de discussion. "Au départ, jeudi et vendredi, ce sera assez théâtral. Puis les débats seront longs et compliqués", prédit le rapporteur René Vandierendonck. Et ce n'est qu'un tout petit début puisqu'il s'agit d'une première lecture sur quatre (pas de procédure accélérée sur ce texte) pour le premier des trois projets de loi sur la décentralisation portés par Marylise Lebranchu. En sachant que le troisième texte n'est désormais pas attendu avant avril 2014, après les municipales. Grosso modo, on est donc partis pour une année de travaux parlementaires !
A la mi-mai, la commission des lois du Sénat, après avoir examiné 558 amendements, réécrivait sensiblement le texte (voir ci-contre notre article du 16 mai détaillant les modifications adoptées). Le tableau comparatif mettant en miroir le texte initial et le texte adopté par la commission est assez éloquent. "Nous l'avons élagué, pour que l'arbre soit plus fort", a redit ce 29 mai à la presse le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, poursuivant : "Le Sénat tient à jouer tout son rôle dans l'écriture de ce projet de loi. Ce qui signifie marquer notre différence par rapport au texte initial. Certains s'en étonnent. Or n'est-ce pas là notre rôle ? Nous ne faisons cela en opposition à personne, nous voulons simplement faire avancer la décentralisation." Et le sénateur du Loiret d'énoncer trois grands objectifs : la "solidarité territoriale" (impliquant communes et départements), des "régions fortes" en faveur de l'économie et de l'emploi, les "métropoles du futur" fondées sur des "communautés fortes". Selon lui, il aurait fallu "avoir trois textes forts sur ces trois axes".

Le gouvernement tient à encadrer les cofinancements

Ce mercredi, la commission des lois s'est à nouveau réunie pour se pencher, cette fois, sur les quelque 891 amendements déposés sur son texte à elle. Sur ces 891 amendements qui seront examinés en séance (et sur lesquels elle se contentait cette fois de donner un avis), 45 émanent du gouvernement. Jean-Pierre Sueur assure que le dialogue avec le gouvernement est bon. Le fait que le Premier ministre ait rencontré mardi le groupe PS du Sénat en témoignerait. René Vandierendonck considère pour sa part que "le gouvernement est dans une position d'ouverture" et "évolue" : alors que l'on aurait pu craindre que les amendements gouvernementaux se résument à un retour à la case départ (au projet de loi initial), plusieurs points pourraient être rediscutés.
Ainsi, sur le titre I, la commission avait, on le sait, considérablement allégé la conférence territoriale de l'action publique. Pour Jean-Pierre Sueur, il y avait dans le dispositif prévu par le gouvernement, au-delà des "bonnes intentions", de l'"hyper-complexité" et de l'"hyper-conseillisme", que ce soit dans la composition des conférences ou dans le nombre d'avis à formuler, de schémas à approuver… Or on voit dans les amendements du gouvernement que celui-ci est prêt à faire un bout du chemin, par exemple en proposant "une définition minimale" de la composition de ces conférences.
De même, la commission des lois avait carrément supprimé ce qui semblait pourtant représenter l'un des piliers de la réforme, à savoir le pacte de gouvernance territoriale. "On ne voyait pas pourquoi il fallait un grand bidule qui soit la cristallisation des diverses conventions", commente Jean-Pierre Sueur. Marylise Lebranchu l'a ouvertement laissé entendre lundi lors de la 9e journée des présidents d'agglomération (voir ci-contre notre article du 27 mai) : un allégement du pacte était envisageable, y compris si besoin en le rebaptisant au passage. Et effectivement, un amendement du gouvernement prévoit désormais "une version simplifiée du pacte de gouvernance territoriale pour tenir compte des observations de la commission des lois". Ceci étant dit, on est loin de l'accord parfait puisque le gouvernement tient en revanche fermement à son dispositif d'incitation financière imaginé en lien avec le pacte (limitation des cofinancements) et voudrait donc le réintroduire par amendement… alors que René Vandierendonck continue de juger ce mécanisme sur les cofinancements très "infantilisant" pour les collectivités (l'élu du Nord brocarde volontiers toute tentation de "mise sous curatelle" des collectivités…).

Le tourisme redonné au département ?

S'agissant du jeu des compétences des différents niveaux de collectivités (article 3), on voit que les ajustements ne font que commencer. Les sénateurs s'étaient étonnés de voir que les communes "n'étaient chef de file que pour la qualité de l'air et la mobilité durable". Ils avaient préféré leur confier "l’accès aux services publics de proximité, au développement local et à l’aménagement de l’espace". Le gouvernement demande aujourd'hui que l'on rectifie en partie le tir : "Si la commission des lois a opportunément identifié son rôle de chef de file en matière d’aménagement de l’espace, il apparaît plus difficile de les désigner chef de file en matière d’accès aux services publics de proximité, compte tenu du risque de créer des confusions avec le rôle du département en la matière. Il en va de même pour la notion de 'développement local' qui est par nature une mission que partagent l’ensemble des collectivités, la région étant elle-même chef de file en matière de développement économique". Le gouvernement tient également à redonner la compétence tourisme au département (la commission l'avait fait glisser vers la région) et préfère conserver, toujours pour le département, le terme d'"action sociale" plutôt que celui de "cohésion sociale" proposé par la commission des lois, craignant que ce second terme réponde à "une notion trop large".
Des ajustements, il y en aura évidemment aussi sur le volet métropoles, même si finalement, hors du cas marseillais, les choses semblent relativement plus consensuelles. Certes, on ne sait pas encore si le seuil de création d'une métropole de droit commun sera de 450.000 ou 400.000 habitants, si la transformation sera automatique ou résultera d'une démarche volontaire des collectivités, si le transfert de certaines des compétences départementales aux métropoles sera lui aussi automatique... Il faudra aussi par exemple vérifier si la future "Grand Paris Métropole" verra ses compétences uniquement recentrées sur le logement ou pas. Sur Lyon, les choses semblent assez lisses : "Nous approuvons sans réserve le dispositif prévu, c'est exactement ce qu'il faut faire", résume René Vandierendonck. On sait toutefois que certains, dont les sénateurs écologistes – qui se disent opposés au projet de loi "en l'état" – craignent un manque de "démocratie" sur le territoire de la future métropole lyonnaise.
Pour Marseille, ce sera une tout autre affaire… L'ensemble des sénateurs des Bouches-du-Rhône, excepté le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, ont en effet réaffirmé mercredi leur opposition à la création de la métropole Aix-Marseille-Provence prévue par le projet de loi, arguant que "depuis de nombreux mois, 109 maires (sur 119) et présidents d'intercommunalités des Bouches-du-Rhône de toute tendance politique, contestent activement l'opportunité de la métropole imposée par le gouvernement". Les aménagements suggérés par la commission des lois (report d'un an, décentralisation accrue via les "conseils de territoire" accordant un rôle important aux maires…) et le fait, note René Vandierendonck, que le gouvernement soit "prêt à aller très loin là-dessus", n'a donc jusqu'ici pas suffi…