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Mobilité - Comment capter la plus-value foncière et immobilière pour financer les infrastructures de transports collectifs

La question a souvent été évoquée par les élus et les professionnels des transports : la plus-value des terrains constructibles et des biens immobiliers générée grâce à de nouvelles infrastructures de transports collectifs ne peut-elle pas contribuer au financement de ces projets ? Au moment où tout le monde s'interroge sur la manière dont le volet transport du Grenelle de l'environnement pourra être financé, en période de disette des finances publiques, le Centre d'analyse stratégique (CAS) vient de livrer une analyse éclairante sur le sujet. L'auteur de l'étude, Christine Raynard, s'est d'abord attachée à décrire des exemples étrangers de valorisation de patrimoines fonciers et immobiliers comme outil de financement de nouvelles infrastructures avant de présenter les options qui s'offrent aux pouvoirs publics pour permettre aux autorités organisatrices de s'engager dans cette voie.

Au Japon, note Christine Raynard, le financement partiel des infrastructures de transport par des opérations immobilières est une pratique ancienne. Au moment de la nationalisation des chemins de fer, en 1906, l'Etat japonais a interdit aux entreprises ferroviaires demeurées privées d'augmenter leurs tarifs. La plupart ont alors rencontré des difficultés financières et n'ont dû leur salut qu'à la construction de commerces et de logements sur les terrains qu'elles possédaient aux abords des gares. Après la privatisation de l'entreprise ferroviaire nationale JNR (Japanese National Railways) en 1987, les six sociétés dédiées au trafic passager qui en sont issues ont suivi le même modèle de valorisation  mais comme elles ne disposaient pas de terrains près des installations ferroviaires, elles ont centré leurs efforts sur les gares elles-mêmes, en dégageant des ressources foncières mais aussi commerciales (immobilier résidentiel et de bureau, centres commerciaux, activités de loisirs, etc.). Selon les compagnies, la part du revenu d'exploitation, indépendamment  de l'activité de transporteur, se situait entre 5% et 42% en 2006. L'Etat japonais ne recueille pas les profits des plus-values découlant des valorisations ferroviaires mais il limite au strict minimum son financement dans de nouveaux projets. Ce sont donc les sociétés elles-mêmes qui financent une grande part des investissements dans les gares.

L'analyste du CAS cite aussi l'exemple de l'Allemagne, où la valorisation des gares est six fois plus importante qu'en France. La filiale de la Deutsche Bahn qui gère les gares aujourd'hui perçoit environ un tiers de ses recettes grâce à la location de surfaces commerciales (commerces, restaurants, supermarchés, casinos). Elle valorise ainsi 1,2 million de m2 contre 200.000 m2 pour la SNCF. En 2007, la valorisation a rapporté à la Deutsche Bahn 300 millions d'euros qui lui ont permis de financer le fonctionnement de sa filiale, l'entretien, la propreté des gares mais aussi 20 à 25% de ses investissements. Autre illustration de l'utilité de la valorisation foncière : le montage financier du projet de métro de Copenhague, l'un des plus ambitieux projets d'infrastructures de transport de Scandinavie. Son coût total, estimé à 1,7 milliard d'euros, devrait être couvert par la vente de terrains par l'Etat et la ville (50%), les paiements directs des propriétaires des immeubles (10%), les impôts fonciers (10%) et le prix payé par les usagers (30%).
En France, l'idée d'une valorisation accrue du patrimoine immobilier et foncier fait son chemin. Dans son rapport sur le concept de "gare contemporaine" qu'elle a rendu au Premier ministre le 10 mars dernier, la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller évoque la mise en place d'une taxe sur les plus-values foncières autour des pôles constitués par les gares. François Fillon a également commandé fin janvier une étude sur la taxation des terrains qui pourraient prendre de la valeur lors de la création d'infrastructures de transport importantes. Les conclusions de ce travail devraient être disponibles à l'automne prochain, pour l'examen du projet de loi de finances.

 

Lier projet de transport et grande opération d'aménagement

 

Pour Christine Raynard, "toute opération de valorisation doit associer les collectivités locales qui maîtrisent les procédures d'urbanisme, et les autorités organisatrices des transports en charge de la définition des schémas de dessertes ferroviaires régionales". Reste à savoir quelle option choisir pour capter au mieux la plus-value foncière et immobilière générée par le projet d'infrastructure de transport collectif. "L'instauration d'une taxe sur la rente foncière est problématique", estime Christine Raynard. En effet, cela "nécessiterait de taxer les plus-values sur les résidences principales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui". De plus, "le produit d'une telle taxe ne serait pas à l'échelle des dépenses d'investissement et reste un processus lent".

Pour l'auteure de l'étude du CAS, "la captation de la rente foncière d'une opération d'aménagement est un mode de financement à développer" et "tout à fait réalisable puisque ces ressources financières ne peuvent exister qui si le projet de transport se concrétise". La construction d'une nouvelle infrastructure de transport pourrait ainsi s'intégrer dans une opération large d'aménagement du territoire, avec une valorisation commerciale des gares et la création décidée en collaboration avec les collectivités d'opérations d'aménagement immobilier autour des nouveaux points de desserte. Au même titre que les entreprises, les pouvoirs publics pourraient alors réinjecter tout ou partie des bénéfices dégagés par ces opérations dans le financement du projet. En fonction de la densité des secteurs, cela devrait permettre de gagner 5% à 10% de l'investissement, estime le CAS. En outre, afin d'obtenir un gain plus important, l'Etat et les collectivités pourraient accepter de reverser a posteriori au projet d'infrastructure, pour une période limitée, une partie des impôts (taxe foncière, taxe professionnelle, etc.) qu'ils collecteront grâce à ces opérations immobilières. La réalisation de nouveaux projets d'infrastructure de transport, couplée à des opérations d'aménagement d'envergure, apparaît donc comme la solution d'avenir. Pour la captation des plus-values en résultant, "un objectif de 10% de la valeur des investissements pourrait être envisagé, soit un enjeu de près de 10 milliards d'euros à l'horizon 2020".

Anne Lenormand