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Achat public - Code des marchés : "le risque zéro" n'existe pas

Jérôme Grand d'Esnon, directeur des affaires juridiques du Minefi, s'est prêté le 5 octobre, lors d'une rencontre avec les acheteurs publics, au jeu des questions-réponses sur le nouveau Code des marchés. Il appelle les praticiens à plus de pragmatisme : "respectez les principes et profitez des libertés qui vous sont données pour optimiser vos achats".

L'heure n'est plus à l'explication des grandes lignes de la réforme du Code des marchés publics. Depuis le 1er septembre, date de l'application du décret du 1er août 2006, les acheteurs publics étudient le nouveau cadre réglementaire de référence de la commande publique, article par article, alinéa par alinéa. Dans la liste de leurs nombreuses interrogations, on retrouve certains thèmes de prédilection. Ce sont avant tout les nouveautés du code de 2006 qui prédominent, même si les marchés à procédure adaptée (Mapa) restent pour beaucoup d'entre eux source de questionnements. L'accord-cadre arrive en tête d'affiche. Ce nouveau dispositif intrigue les acheteurs - et les laisse même parfois dubitatifs : quelle est sa véritable valeur ajoutée par rapport aux marchés à bons de commandes ?
Jérôme Grand d'Esnon, maître d'oeuvre de la réforme, n'économise pas, depuis des mois, ses efforts d'explications, rencontrant de visu ou virtuellement, par l'intermédiaire du site internet du Minefi, les praticiens de l'achat public. Le 5 octobre, lors d'une session d'études organisée par l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp), les acheteurs étaient encore nombreux à interroger le directeur du service des affaires juridiques du Minefi.

Un effort de pédagogie s'impose

Celui-ci assure qu'un grand nombre de questions peut être élucidé par un idiome simple : "Il faut inverser votre compéhension du code. Ce n'est pas parce qu'une disposition n'est pas dans le texte qu'elle est interdite, au contraire. Ce qui n'est pas dans le code ouvre de nouvelles perspectives". Si le temps n'est plus celui de l'explication des grandes lignes du code, c'est encore celui de la pédagogie sur la philosophie juridique, inscrite dès le code de 2004 :  plus de liberté et plus de responsabilité. "On a ouvert le code en 2004 mais beaucoup de collectivités l'ont, depuis, en partie refermé. Ce verrouillage dépend pour une grande part du niveau d'expertise des praticiens", commente le directeur du service des affaires juridiques du Minefi.
Avec le code du 1er août 2006, cette tendance se poursuit. La suppression de toute référence à la personne responsable des marchés (PRM)  en est une illustration : "Un élu m'a déclaré qu'avec le nouveau code, il disparait ! Si le code ne fait plus référence à la PRM, c'est parce que chaque institution a son propre mode de décision. Mais il faudra toujours quelqu'un pour signer le marché !" Dans le même ordre d'idée, l'article 27 du code prévoit la possibilité, pour les marchés allotis, de ne pas définir de minimum et de maximum pour les lots. "C'est une opportunité qui est ouverte aux acheteurs, tout comme l'article 77 qui envisage la conclusion d'un marché à bons de commandes sans qu'il soit prévu un minimum ou un maximum en valeur ou en quantité. Cela ne veut pas dire que l'acheteur ne peut plus définir cette fourchette. Le plus souvent, ces montants s'imposent, notamment pour caler au mieux l'offre du fournisseur et éviter des surcoûts dus à cette incertitude", a commenté Jérôme Grand d'Esnon devant un amphithéâtre attentif.

L'accord-cadre : le système des poupées russes

L'accord-cadre offre justement la possibilité de mettre en concurrence les entreprises sans que les besoins aient été au préalable chiffrés. Les règles européennes de publicité sont bien respectées lors du lancement de l'accord-cadre. Jérôme Grand d'Esnon reconnaît que ce nouveau dispositif, initié par les directives européennes, impose ensuite une mise en concurrence, contrairement aux marchés à bons de commandes, qualifiés de "solution de facilité".

L'accord-cadre est un contrat et non un marché. Il implique donc deux étapes : un appel d'offres ouvert à toutes les entreprises qui désirent être présélectionnées puis, si les seuils l'imposent, un nouvel appel d'offres, mais restreint à ces seuls fournisseurs, pour la passation de marchés. Compliqué !
"Son principal intérêt est économique. Vous devez par exemple acheter du matériel informatique. Il est pour vous difficile de définir votre besoin car celui-ci va évoluer dans le temps en fonction des évolutions technologiques et en fonction des prix. Vous faites un accord-cadre pour une durée de quatre ans. Et lorsque votre besoin est précisément connu, vous mettez en concurrence les fournisseurs sélectionnés. C'est donc un gain de temps." Il reste, et le conférencier l'a admis, que l'achat peut être remis en cause par les tribunaux à deux occasions : lors de l'accord-cadre, par toute entreprise, et lors de la passation des marchés, par les seules entreprises référencées. Un double risque de contentieux !
"Il faut aller au-delà des textes tout en respectant les principes qui guident l'achat public. Il n'en demeure pas moins que cette liberté, comme le montrent les marchés à procédure adaptée, fait peur aux acheteurs", commente Jean-Marc Peyrical, président de l'Apasp. "Avec les Mapa, chacun fait ce qui lui plait. Cette liberté ne doit pas être remise en cause parce que trois affaires sont passées depuis deux ans devant les juges ! Il faut éviter de fantasmer sur le risque zéro : il faut au contraire intégrer le risque comme un élément de l'achat public", répond, en conclusion, Jérôme Grand d'Esnon.

 

Clémence Villedieu