Handicap - Claire-Lise Campion : "Pour favoriser l'implication de tous sur l'accessibilité, l'échelle intercommunale est vraiment idéale"
Localtis : Dix ans après la promulgation de la loi Handicap, quelles sont les avancées importantes pour la vie des personnes handicapées ? Et sur quels autres sujets bute-t-on encore ?
Claire-Lise Campion : C'était une loi très novatrice et ambitieuse, qui abordait la question du handicap différemment de la manière dont elle l'avait été précédemment. Le corollaire de cette ambition, c'est qu'il fallait l'atteindre.
Sur l'accessibilité à l'espace public et au bâti, on est encore loin du compte. L'objectif du 1er janvier 2015 est maintenant dépassé. Environ 30% des établissements recevant du public sont mis en accessibilité au niveau national : le délai de 10 ans n'a pas suffi. Mais au-delà de cette accessibilité-là, il y a les autres dimensions de l'accessibilité universelle : le domaine scolaire, l'accès à l'emploi, à la santé, aux sports, aux loisirs… tout ce qui fait notre vie quotidienne. Le nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire a vraiment progressé : on est à 240.000 aujourd'hui, alors qu'on était à 126.000 en 2006, selon des chiffres récemment mis en avant par le défenseur des droits. Il reste pourtant encore beaucoup d'enfants à intégrer et on doit aussi améliorer la coordination entre le domaine éducatif et le médicosocial.
Sur l'accès au travail, il y a deux fois plus de personnes handicapées sans emploi (22%) que chez les personnes valides (11%). La marge de progression est considérable, même si on s'approche progressivement de l'objectif des 6% fixé par la loi de 2005, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public.
Concernant l'accessibilité à la citoyenneté, on est très en-deçà de ce qu'on doit faire. Une mission a été confiée à des députés sur l'accessibilité dans le domaine électoral - l'accessibilité des bureaux de vote, mais aussi des documents mis à disposition des citoyens (pour les personnes non-voyantes, ou encore en facile à lire et à comprendre pour les personnes ayant un handicap mental). Plus globalement, l'accès à l'information reste difficile.
Sur l'accès aux soins, là aussi on a énormément de progrès à faire, les inégalités sont colossales. Des choses sont faites, mais cela passe souvent par des individus, lorsqu'il y a par exemple un médecin ou un directeur d'hôpital particulièrement mobilisé. Ce n'est pas acceptable de se dire que les choses avancent à tel endroit, du fait de la motivation d'une personne, et pas ailleurs.
Avec les agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), pensez-vous que désormais tout le monde va s'y mettre ?
Non seulement tout le monde va s'engager dans les Ad'AP parce que c'est obligatoire mais, pour ce qui fait la vie quotidienne de chacun d'entre nous, ce sont des améliorations qu'on va pouvoir constater à court terme. Il faut déposer un Ad'AP, quelle que soit la situation, avant le 27 septembre 2015. Sinon, les sanctions prévues par la loi de 2005 tombent. Mais tout le monde n'est pas face à une obligation de la même ampleur. Pour 80% de notre vie quotidienne, ce sont des établissements recevant du public (ERP) de 5e catégorie : le commerce de proximité, le cabinet du généraliste, l'hôtel de ville ou les salles associatives… Pour ceux-là, la plupart des Ad'AP vont s'inscrire dans des délais courts, avec un objectif d'un an et peu de travaux à réaliser. Quand un ERP de 5e catégorie aura un peu plus de travaux à faire, il aura potentiellement un an, deux ans ou trois ans.
Et, ce qu'on a désormais bien compris, c'est qu'il ne faut pas passer à côté de l'accompagnement sur le terrain. Des ambassadeurs de l'accessibilité - des jeunes en service civique formés au CNFPT - vont être déployés sur le territoire national, auprès des collectivités, pour aller rencontrer tous les acteurs et les aider. En outre, les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers et de l'artisanat sont déjà au travail pour fournir un appui à leurs adhérents. Un accompagnement financier va être aussi déployé, avec des prêts de la Caisse des Dépôts et de BpiFrance pour le secteur public et le secteur privé.
En 2015, pour un nouvel élan en faveur des personnes handicapées, quelle est la priorité ?
On dit depuis longtemps qu'il faut parvenir à faire changer le regard de notre société sur le handicap, il faut maintenant aller au-delà de l'incantatoire. Il est nécessaire que l'on s'engage fortement, de façon collective, sur ces questions. Pour impliquer tous les citoyens, je suis convaincue du rôle essentiel que peuvent jouer les élus locaux, notamment municipaux. Dans mon département, le maire d'une toute petite commune voulait travailler sur un plan d'aménagement de la voirie (PAV) ; il a réussi à convaincre ses habitants, au départ interrogatifs, du bien-fondé de sa démarche. Souvent, sur l'accessibilité, il n'y pas de commission locale communale, parce que les communes sont trop petites : utilisons l'intercommunalité. L'échelle intercommunale est vraiment idéale, on reste dans la proximité, dans la connaissance du territoire. Et, dans ces commissions, mettons autour de la table des représentants du monde du handicap, mais aussi des représentants de personnes âgées, des commerçants… C'est l'implication de tous qui permettra, pas seulement le contrôle de la bonne mise en œuvre des obligations légales, mais aussi l'accompagnement, la pédagogie.
En même temps, il faut regarder toutes ces réponses à apporter à la question du handicap d'une manière pragmatique et concrète. Arrêtons de monter des usines à gaz pour tout, de vouloir toujours apporter toutes les réponses à la fois. Des élus découvrent parfois que les ERP de 5e catégorie ne doivent pas être accessibles à 100%, mais doivent déjà donner un point d'accessibilité aux services. Si votre service urbanisme est au premier étage et que vous n'avez pas la capacité de le descendre, il est toujours possible de recevoir une personne en fauteuil roulant, lorsque la situation se présente, au rez-de-chaussée.