Chaleur et logement : la fondation Abbé-Pierre alerte sur la précarité énergétique d'été
La précarité énergétique d'été, soit le fait de vivre dans un logement trop chaud sans pouvoir y remédier, peut être considérée comme une nouvelle forme de mal-logement, estime la fondation Abbé-Pierre dans une étude publiée ce 26 juin. Elle émet pour y remédier une série de recommandations en direction de l'État, des propriétaires et des collectivités locales. Elle appelle notamment à lancer un grand plan de végétalisation à l'échelle des villes et des logements.
"En été, les passoires énergétiques se transforment en véritables bouilloires. Or, la précarité énergétique est encore largement associée au ressenti du froid dans son logement, et trop peu à l’inhabitabilité liée aux pics de chaleur", souligne la fondation Abbé-Pierre dans l'introduction de son étude "Précarité énergétique d’été une nouvelle forme de mal-logement", publiée ce 27 juin. "La définition de la précarité énergétique inclut des indicateurs liés au taux d’effort énergétique et au ressenti du froid, mais ne tient pas compte pour le moment des difficultés à maintenir une température acceptable dans son logement pendant les périodes de chaleur, développe-t-elle. Pourtant, de plus en plus de personnes sont exposées à la précarité énergétique en été, un phénomène accentué par le changement climatique et les vagues de chaleur extrêmes de plus en plus fréquentes, avec des effets parfois dramatiques sur la santé."
Populations précaires urbaines, jeunes et personnes âgées parmi les plus touchées
L'ampleur du problème n'est pas connue précisément, mais les personnes concernées sont nombreuses, relève la Fondation, qui cite des sondages récents révélant certains aspects du phénomène. En 2022, selon le baromètre énergie info du Médiateur de l’énergie, 59% des Français déclaraient avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins 24 heures (+8 points par rapport à 2020). En 2021, 37% des Français disaient souffrir souvent ou systématiquement de la chaleur dans leur logement, selon un sondage OpinionWay. Parmi les plus concernés, les populations précaires urbaines, les jeunes mais aussi les personnes âgées, qui sont les plus vulnérables face aux canicules, relève la Fondation.
Les quartiers populaires, souvent peu végétalisés, sont plus vulnérables au phénomène d'îlot de chaleur urbain, le béton stockant la chaleur le jour avant de la rediffuser la nuit. "De plus, les ménages qui y vivent sont plus souvent confrontés à des situations de surpeuplement, habitent des logements moins bien isolés, moins ventilés", note l'association qui regrette que la protection des logements contre la chaleur, ou confort d'été, ne soit pas suffisamment prise en compte dans la loi. Pour la construction neuve, ce n'est le cas que depuis 2022 et pour le parc existant, les diagnostics de performance énergétique obligatoires doivent en tenir compte mais les paramètres sur le confort d'été n'ont pas d'effet sur l'étiquette énergétique.
Les aides à la rénovation, elles, ne ciblent pas les dispositifs visant spécifiquement à améliorer le confort d'été. "Dans certains cas, la protection du patrimoine ou les règlements de copropriété empêchent même l'installation de volets ou de protections solaires en façade", observe la Fondation. Si la loi impose aux bailleurs une température minimale dans leurs logements (19 degrés), il n'y a pas de température maximale.
Solutions low tech
Pour y remédier, la fondation Abbé-Pierre émet une série de 19 recommandations, la plupart visant à intégrer la protection contre la chaleur dans la politique de rénovation énergétique. Certaines reposent sur des solutions low tech. "La température intérieure peut baisser de 2°C à 5°C grâce à de simples protections solaires et de 6°C à 7°C en peignant les toits en blanc, suggère l'association. Végétaliser les villes et les logements peut aussi se révéler très efficace avec une différence de température pouvant atteindre 10°C." Autant de solutions vues aussi comme des alternatives à la climatisation que la Fondation voit comme "une forme de 'mal-adaptation' au changement climatique en plein boom, très polluante, injuste pour celles et ceux qui en subissent les rejets d'air chaud, et qui sont très chers à l'utilisation." Elle propose ainsi de subventionner l’installation de protections solaires fixes, d’occultants, de brasseurs d’air fixe et de revêtement réfléchissant ou de végétalisation pour la toiture dans le cadre de MaPrimeRénov' / MaPrimeRénov' Sérénité, et d'y appliquer le taux de TVA réduit de 5,5 %. Elle préconise également d'intégrer les critères de confort d’été aux caractéristiques d’une rénovation performante, et même aux critères d’attribution des aides et de faire évoluer les documents d’urbanisme et les règles de protection du patrimoine (notamment la doctrine des architectes des Bâtiments de France, en lien avec le ministère de la Culture) pour faciliter les modifications du bâti ayant pour but d’améliorer l’habitabilité thermique des logements en été et en hiver. Elle appelle aussi à lancer un grand plan d’urgence sur trois ans, associant collectivités, État, bailleurs sociaux, afin de proposer des protections solaires à tous les logements, en lien avec France Rénov' et les dispositifs de repérage et d’accompagnement existants.
Pérenniser les moyens de lutter contre les îlots de chaleur urbains
D'autres recommandations, plus générales, touchent à l'urbanisme et visent à lutter contre les îlots de chaleur urbains (ICU). Elle suggère ainsi de faire figurer des critères d’adaptation dans les programmes urbains (NPNRU, Action cœur de ville…) même dans les zones qui sont encore peu impactées par le dérèglement climatique, d'intégrer aux documents d’urbanisme des mesures sur les coefficients minimaux de pleine terre, de végétalisation et de réalisation de trames vertes et bleues et de soutenir le financement de programmes de végétalisation et de désimperméabilisation. "Une étude de Carbone4 estime les dépenses d’investissement pour renaturer les villes à 480 millions d’euros par an jusqu’en 2050, sans compter les dépenses récurrentes liés à l’entretien de ces espaces verts, note-t-elle. Un programme avec un fonds de 500 millions d’euros a été annoncé le 14 avril 2022 par le gouvernement pour 'remettre de la nature dans les villes'. L’échelle de ce programme se révèlera pertinente si le budget est reconduit et pérennisé d’année en année", souligne-t-elle. Il faudrait aussi selon elle "introduire des normes pour lutter contre la massification de la climatisation, en interdisant par exemple la vente des appareils les plus énergivores, en interdisant l’installation de nouveaux climatiseurs dans les zones sujettes aux ICU (en commençant par le tertiaire)". La Fondation propose en outre de "limiter le trafic routier lors des vagues de chaleur, en rendant possible la mise en place de règles de circulation alternée, n’autorisant que certains véhicules à circuler, comme ce qui peut être mis en place lors des pics de pollution".
Enfin, pour aider les ménages à faire face aux surcoûts liés au refroidissement de leur logement, elle propose un triplement du chèque énergie pour atteindre 450 euros en moyenne et d'augmenter le forfait charges des APL, la partie des APL dédiée au paiement des charges du foyer. "Dans la même perspective que l’augmentation du chèque énergie, doubler le forfait charge APL actuel permettrait d’aider réellement les ménages à s’acquitter de leurs charges énergétiques, estime-t-elle. Ce doublement, dont le coût est estimé à 2 milliards d’euros, permettrait en réalité de rattraper un montant considéré par la Cour des Comptes comme 'notoirement sous-évalué'".
Depuis 2014, entre 30.000 et 35.000 personnes sont décédées l'été en France à cause des effets de la chaleur, a estimé vendredi 23 juin Santé publique France, soulignant que cette mortalité ne concernait pas seulement les périodes de canicule. Santé publique France avait déjà donné des chiffres témoignant d'une forte surmortalité pendant ces épisodes de canicule. Elle avait ainsi enregistré près de 3.000 décès excédentaires l'été dernier lors des trois canicules. Mais sa dernière étude va plus loin en évaluant la mortalité liée à l'ensemble des périodes de chaleur estivale (du 1er juin au 15 septembre) et non plus seulement les pics intenses des canicules. "L'exposition de la population générale durant les jours chauds en dehors des canicules (...) est souvent perçue comme ne présentant pas d'enjeu pour la santé, alors qu'elle est également associée à un risque accru de décès", explique-t-elle. Au final, l'agence estime qu'entre 29.612 et 34.975 décès sont attribuables entre 2014 et 2022 à la chaleur estivale, soit trois fois plus que les morts liées aux seules canicules. Autrement dit, "l’exposition de la population à la chaleur en dehors des périodes de canicules, associée à un risque plus faible mais plus fréquent, contribue davantage à l’impact total que les chaleurs extrêmes associées à un risque plus élevé mais plus rare". Dans la mesure où la chaleur "a des effets multiples sur la santé", "il n'est pas possible d'identifier en temps réel les décès attribuables à la chaleur, sur la base par exemple d'une cause de décès unique prédéfinie", souligne Santé publique France. Alors, pour parvenir à leurs estimations, les chercheurs ont utilisé des modélisations, difficilement résumables, qui prennent non seulement en compte l'évolution des températures et celle de la mortalité, mais tentent aussi de distinguer le rôle de la chaleur d'autres facteurs comme notamment la pandémie de Covid. Ses estimations ont été faites à l'échelle départementale, à la fois sur l'ensemble de la population et sur les personnes de plus de 75 ans. Si "environ deux tiers de l'impact concernent, comme attendu, majoritairement des personnes de 75 ans et plus", "il est à noter qu'une part importante (soit un tiers) concerne des personnes de moins de 75 ans". |