Les propositions des groupes de travail du CNR Logement dévoilées
Initialement prévue le 9 mai, la présentation des conclusions du CNR Logement a été reportée par le gouvernement au 5 juin prochain. On ignore à ce stade ce que le gouvernement retiendra des multiples propositions formulées par les trois groupes de travail mis en place. De l’encadrement des prix du foncier à l’encouragement de la production de logements sociaux, en passant par la mise en place de nouveaux dispositifs fiscaux ou la massification de la rénovation, tour d’horizon des principales propositions formulées.
Alors que la crise de l’immobilier gronde, et que les professionnels s’inquiètent, l’attente est grande avant la prochaine présentation des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, désormais prévue pour le 5 juin prochain.
En attendant ce rendez-vous, les animateurs des trois groupes de travail installés en novembre 2022 ont remis leurs propositions au ministre délégué en charge du Logement, Olivier Klein, fin février. Des "propositions immédiatement opérationnelles", rappelle Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, vice-président de la Métropole de Lyon dans une tribune parue dans Le Monde le 10 mai dernier.
Co-animateur avec Serge Contat, directeur général d’Emmaüs habitat, du groupe de travail "Redonner du pouvoir d’habiter aux Français", le maire de Villeurbanne propose de réinvestir le logement social, sanctuariser le foncier et doter les plus fragiles d’un "bouclier" logement pour faire en sorte que personne en France ne consacre plus de 25% de ses ressources à son loyer. Conditionner les avantages fiscaux consentis aux investisseurs à des engagements environnementaux et sociaux de leur part, accompagner les publics les plus éloignés vers le logement de droit commun, réformer la gouvernance entre l’Etat et les collectivités et, enfin, garantir que toutes les collectivités prennent leur part figurent également parmi les propositions de ce groupe.
Encadrer les prix du foncier
Chargé pour sa part de trouver des solutions pour "Réconcilier la France avec l’acte de construire", le deuxième groupe de travail, animé par Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal), et Mickaël Nogal, ancien député et ancien président du Conseil national de l’habitat, a axé ses 19 propositions - dont cinq qualifiées d’"incontournables" - sur la production de logements sociaux, rebaptisant leur rapport "Pour réconcilier la France avec la production de logements sociaux".
Le premier axe de leurs préconisations concerne la maîtrise des prix. Considérant que "le foncier n’est pas une marchandise", la première de leurs "propositions incontournables" consiste à encadrer les prix du foncier.
Le groupe de travail propose ainsi de développer la planification à l'échelle locale grâce aux réserves foncières, d’encourager la libération du foncier en appliquant sur les terrains à bâtir une fiscalité inversée, encourageant le flux plutôt que le stock. Il préconise également d’interdire les enchères sur le foncier public, de privilégier les ventes de gré à gré sur les cessions foncières du stock des établissements publics fonciers (EPF) pour les programmes majoritairement sociaux, ou encore de limiter la plus-value sur les logements dont la valeur est directement liée à des investissements publics.
Deuxième proposition phare : se doter d’un nouvel outil pour "documenter rigoureusement et sérieusement les besoins de logement, territoire par territoire". L’idée consisterait à changer la manière d’envisager le marché et la politique du logement, souvent guidée par l’offre, "sans que n’aient été depuis très longtemps explorés les ressorts de la demande".
PLU en 3D
Autre piste d’évolution : les documents d’urbanisme. Le groupe de travail préconise de généraliser le PLU en 3D. Cela permettrait "de présenter l’image d’une ville réelle et non de projets isolés, souvent extraits de leur environnement. (…) et de rendre acceptable le projet en faisant comprendre qu’il profitera à tous et au cadre de vie général".
Le groupe présidé par Catherine Sabbah et Mickaël Nogal suggère aussi d’imposer une densité minimale et de lutter contre les recours abusifs en mettant en place dans les départements une commission de médiation présidée par le préfet. Elle pourrait être saisie par les maîtres d’ouvrage en conflit avec une commune au sujet de la délivrance d’un permis de construire conforme au PLU et refusé sans motif explicite.
Concernant les dispositifs fiscaux et les outils financiers à mettre en œuvre pour encourager la production, les membres du groupe de travail avancent trois propositions, dont deux "incontournables" : l’instauration d’un "bonus aux maires engagés" qui s'accroîtrait avec le caractère social du logement produit (sauf dans les communes carencées) ; et la création d’un "réel statut pour les bailleurs privés". Car qu'il s'agisse de dispositifs de défiscalisation ou d'amortissement, "l'investissement locatif est essentiel pour générer une nouvelle offre de logements abordables, dans le parc neuf comme dans l'ancien".
"Renverser la philosophie de l'aménagement du territoire"
Missionné pour plancher sur le thème "Faire du logement l’avant-garde de la transition écologique", le troisième groupe de travail, animé par Marjolaine Meynier-Millefert, députée de l’Isère, et Christine Leconte, présidente du conseil national de l’Ordre des architectes, préconise en premier lieu de faire de la réhabilitation une orientation majeure des politiques publiques. Ce qui suppose de "passer d’un accompagnement 'à la carte', saupoudrant des aides à la rénovation au bon vouloir des habitants, à une politique d'accompagnement stratégique 'ciblée', traitant plus vite et en prospective les besoins les plus urgents sur notre territoire national".
Un plan "France 2050" est recommandé, qui vise à "renverser la philosophie de l'aménagement du territoire" en conjuguant la transition écologique avec la relance de l’économie et la cohésion territoriale. "L'objectif est d'adapter notre territoire aux enjeux écologiques et d'équilibrer nos villes et nos villages avec le patrimoine déjà existant", précisent les membres du groupe de travail. Cela en scénarisant les plus grands risques pour s'adapter (inondations, submersion, vague de chaleur, etc.), en définissant à l'échelle locale des territoires "sensibles" pour agir plus vite (concentration de passoires thermiques, population fragile, ilot de chaleur intense) et en préservant la biodiversité et les sols.
Ériger le parc social en laboratoire de la rénovation
Mais parce que "construire 2050 avec le patrimoine bâti d’aujourd’hui ne pourra pas se faire avec les mêmes méthodes", le groupe de travail souhaite "simplifier le parcours de la rénovation pour tous, mais également le rendre plus performant" et le massifier. Il veut par ailleurs élargir le champ de la rénovation thermique à la rénovation environnementale intégrant les autres urgences écologiques (confort d’été, qualité de l’air, utilisation de matériaux locaux et décarbonés…).
Pour mettre en œuvre ces changements, il propose un plan formation écologie pour assurer une montée en compétences massive pour tous les acteurs de la filière rénovation. Il recommande en outre d’ériger le parc social en laboratoire de la rénovation : "Le logement social a une grande capacité à accompagner les travaux en site occupé et à garantir lors de la rénovation la prise en compte patrimoniale du site." L’idée serait donc de "monter un accord avec les bailleurs sociaux d’une enveloppe d’un milliard d’euros par an pour accélérer la rénovation en contrepartie de laquelle ils développeront des retours d’expérience et mettront en place des accompagnements en AMO dans la rénovation du parc privé et des copropriétés".
Enfin, le groupe de travail s’est intéressé au financement, recommandant notamment "d’assurer la visibilité financière et la stabilité des politiques publiques par une loi de programmation pluriannuelle" (cinq ans).
Outre la stabilisation des dispositifs, ils suggèrent d’augmenter les financements de façon planifiée en abondant le budget de Ma Prime Rénov' de 1 milliard d'euros par an pendant cinq ans et d’augmenter le budget dédié à la formation de l'ensemble des professionnels du secteur de 500 millions d'euros par an pendant cinq ans. Ils proposent en outre de relocaliser, réindustrialiser et développer des "filières territoires" autour d’équipements et de matériaux locaux et renouvelables, ceci afin de développer la construction bas carbone à l'échelle d’un territoire.
Enfin, la dernière proposition du groupe de travail concerne la création d’une banque de la rénovation ou guichet unique du financement qui interviendrait dès lors que l'on s'engage dans la rénovation globale. Celle-ci serait un "accélérateur de la transformation, intégrateur de complexité et créateur de simplicité pour toutes les parties prenantes, interface au service de la rénovation énergétique, pilote des risques pour les investissements publics et privés".
Toutes ces propositions seront présentées le 5 juin prochain, nouvelle date fixée pour la restitution des conclusions des groupes de travail du CNR logement.
Incompréhension, inquiétude, exaspération… le report de la présentation des conclusions du CNR logement a suscité des réactions en chaîne chez les acteurs du secteur (professionnels de la construction, promoteurs, bailleurs, associations…). "Quand l'État prendra-t-il la véritable mesure du risque de bombe économique, sociale et sociétale que représente la crise du 'pouvoir d'habiter' à laquelle font face nos concitoyens ?", demandent ainsi les présidents de six fédérations patronales de la construction et de l’immobilier (FFB, Pôle Habitat, Fnaim, FPI, Unis, Procivis) dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron le 15 mai. "Un électrochoc est indispensable [pour relancer la production de logements neufs] : des mesures applicables immédiatement et puissantes sont nécessaires pour éviter que cette crise ne s'accentue encore", écrivent-ils. Les déclarations du chef de l’État dans une interview au magazine Challenges appelant à une nouvelle "conférence des parties" pour répondre à la crise du logement, estimant qu’on "ne peut (pas) tout attendre de la réforme gouvernementale" et fustigeant "un système de sur-dépenses publiques pour de l'inefficacité collective" en a en outre agacé plus d’un. "Après tout ce qui a été fait, les commissions, colloques, comités, assises, débats... sur le logement, je crois qu'aujourd'hui, tout le monde a donné ce qu'il avait à donner comme propositions, et il faut décider parce que l’urgence est là", peste Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment. "L'exaspération, en effet, est générale parce que la situation du logement est très mauvaise, affirme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat. On a un sentiment d'embolie de l'ensemble de l'accès au logement, et en face, nous n'avons aucune proposition, aucune perspective, aucune réponse. Et ça explique en partie ces réactions." Quant au président d’Action Logement, Bruno Arcadipane, il juge "inadmissible" que le gouvernement envisage des coupes budgétaires dans le secteur, et le presse, dans un entretien à l'AFP, d'aider à relancer la construction sous peine d'activer une "bombe sociale". |