Egalité hommes-femmes - C'est encore loin, l'égalité hommes-femmes dans les quartiers et les campagnes ?
Le Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes relève, dans son rapport remis le 19 juin à la ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, trois grands "facteurs aggravants" des inégalités femmes-hommes dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés : la concentration de la pauvreté, la "répartition traditionnelle renforcée" des rôles sociaux entre les femmes et les hommes et le moindre accès aux droits et aux services, notamment publics.
Les chiffres rendant compte de ces inégalités sont mieux connus en territoires urbains. Selon une étude du HCEfh, réalisée en collaboration avec l'Onzus et l'Insee, "la pauvreté est accrue chez les femmes cheffes de familles monoparentales dans les quartiers de la politique de la ville, où elles représentent 1 famille sur 4 et vivent deux fois plus souvent sous le seuil de pauvreté qu’en dehors des zones urbaines sensibles".
Les rapports annuels successifs de l'Onzus ne disent pas autre chose (voir nos articles ci-contre du 18 décembre 2013, 22 février 2012, 16 novembre 2012, 4 janvier 2011…). Dans son rapport de 2013, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles notait que "40% des femmes de ZUS ne sont pas seulement sans emploi mais se sont retirées de la vie active". Un an avant, la présidente de l'Observatoire, Bernadette Malgorn, soulignait qu'à niveau de qualification égale, "les femmes acceptent un déclassement bon gré mal gré".
Le rapport de 2010, déjà, relevait qu'une femme d’origine étrangère avait quatre fois moins de chances d'avoir un emploi lorsqu’elle habitait en ZUS…
"Je connais ces femmes…"
Tout ça pour dire que les inégalités hommes-femmes ne sont pas des découvertes, du moins pour ce qui concerne les quartiers de la politique de la ville. Dans son discours d'ouverture des Journées d'échanges sur la rénovation urbaine, le 17 juin (lire notre article ci-contre), Najat Vallaud-Belkacem s'est attardée sur le vécu des mères isolées, qu'elle a déclaré "connaître". "Je connais ces femmes, qui subissent particulièrement l’enclavement des territoires et éduquent leurs enfants, coincées entre toutes les contraintes : contraintes des fins de mois qui ne bouclent pas, des solutions éducatives qui se dérobent, des doubles journées de travail, dans le tiraillement entre la volonté, pour être une bonne mère, d’assurer un revenu décent au ménage et d’être présente dans l’éducation des enfants. Les mères isolées sont plus nombreuses dans les quartiers et elles y souffrent davantage de la pauvreté et de l’enfermement social. Elles peinent plus souvent à mettre bout à bout les miettes de travail qu’elles n’ont d’autre choix que d’accepter".
Un fois ce diagnostic sensible posé, la ministre a déclaré : "Ces mères isolées doivent être au centre de toutes nos attentions, car elles sont le ferment de la cohésion sociale des quartiers, autant que le reflet de leurs fragilités". Et de manière plus opérationnelle : "Elles doivent être une préoccupation transversale de l’organisation même de nos services publics : petite enfance, éducation, emploi, accompagnement social, santé, mobilité..." Préoccupation qui doit se refléter dans les contrats de ville. La ministre a donné une orientation : que les quartiers prioritaires "reprennent la réflexion sur les bureaux des temps, pour permettre aux acteurs locaux de mettre à plat le rythme de vie de ces femmes et d’en tirer toutes les conséquences dans l’organisation des services publics".
100.000 nouvelles places de crèches d'ici 2017 dans les quartiers prioritaires
A la remise du rapport du Haut Comité, la ministre s'est engagée plus précisément. Elle a ainsi promis que 100.000 nouvelles places de crèches seront créées d'ici 2017 dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et que "des dispositifs de garde sur les horaires atypiques seront développés, à des coûts accessibles". La ministre s'est félicitée de la mise en place des conseils citoyens dans chaque quartier prioritaire, rappelant qu'ils sont "composés à parité" et qu'ils auront "un droit de regard sur l’espace public, les transports, les logements". Elle a également annoncé que le ministère lancera, "dans les semaines à venir", onze marches exploratoires des femmes, en lien avec les collectivités, pour "permettre aux femmes d’être actrices de leur propre sécurité en les aidant à se réapproprier l’espace public".
La ministre a exprimé sa volonté de "faciliter le retour à l’emploi des femmes, en particulier des mères isolées", via des politiques de l'emploi territorialisées avec des objectifs ciblés vers les femmes. Rappelant que seuls 6% des bénéficiaires actuels des clauses d’insertion des chantiers Anru sont des femmes, elle s'est engagée à ce que l’utilisation des clauses d’insertion dans les marchés du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) soit "repensée pour en faire un véritable outil d’insertion pour les jeunes femmes, en lien avec le travail conduit avec la Fédération française du Bâtiment pour développer la mixité dans les emplois du BTP". Elle entend aussi soutenir l’entrepreneuriat féminin dans les quartiers, en annonçant que le fonds de garantie à l'initiative des femmes (FGIF) sera "plus facilement accessible aux femmes des quartiers prioritaires".
Dans les contrats de ville et les contrats de plan
Aucun des engagements de la ministre n'est en contradiction avec le rapport du Haut Comité qui embrasse plus large avec ses 44 recommandations.
Le HCEfh identifie trois leviers dont celui des politiques publiques et des services publics. Car s'il y a encore un chiffre à retenir, ce serait celui-ci : "1 femme sur 4 déclare avoir renoncé à des soins dans les quartiers, et en zones rurales, en raison de la distance géographique", assure le Haut Comité, "l’accessibilité aux soins des femmes (maternité, gynécologue, etc.), et à d’autres services tels que les services d’accueil de la petite enfance, est rendue difficile".
Parmi les 44 recommandations, on retiendra celle de rétablir l’égalité entre les femmes et les hommes parmi les bénéficiaires des dispositifs d’insertion par l’activité économique (recommandation 4) ; celle de faciliter l’accès à la restauration scolaire "afin d’en finir avec les discriminations à l’encontre des mères sans emploi et de prévenir le non-recours aux droits" (recommandation 5) ; celle de "s’assurer d’une attention particulière aux femmes des territoires fragilisés" dans les plans visant le développement de l’entreprenariat des femmes des quartiers et des territoires ruraux fragilisés (recommandation 9) ; celle de penser l’urbanisme et l’aménagement du territoire au filtre de l’égalité femmes-hommes (recommandation 10) ; celle de développer le sport et notamment les sports collectifs et le self-défense (recommandation 11) ; celle de sensibiliser les élus locaux et secrétaires de mairie en milieu rural au phénomène des violences faites aux femmes et à sa prise en charge ; celle d' accélérer le soutien à la création de modes d’accueil collectif pour les 0-3 ans dans les territoires urbains et ruraux fragilisés, en privilégiant notamment les services socialement innovants : horaires atypiques, relais et maisons d'assistantes maternelles, etc. (recommandation 21) ; celle de faciliter la mobilité des femmes par "des transports en commun repensés pour prendre en compte les besoins des femmes", via par exemple des comités d’usagers et le recours à des démarches de co-conception et en milieu rural par des transports innovants (recommandation 22) ; celle de créer un groupe de travail Egalité femmes-hommes au sein des comités de pilotage des contrats de ville (recommandation 30)…
Signalons également celles de prendre en compte le sujet de l’égalité femmes-hommes dans le volet "emploi" et le volet territorial des contrats de plan Etat-région (recommandation 35) et dans le cadre des fonds structurels européens (recommandation 36).
Démarche EGAliTER
Le Haut Comité propose également, via la démarche "EGAliTER" (égalité femmes-hommes et égalité territoriale) de faire émerger des territoires urbains et ruraux fragilisés "modèles". Ces "territoires EGAliTER +" seraient des lieux "d’expérimentation et d’innovation sociale, transférables par la suite à d’autres territoires semblables". Ils seraient identifiés via un appel à initiatives locales lancé au niveau national, auprès des territoires ruraux fragilisés et des quartiers prioritaires ayant déjà amorcé une action publique contre les inégalités femmes-hommes. Les "territoires EGAliTER +" bénéficieraient de moyens et d'un accompagnement technique, financés par des fonds européens et des fonds de l’Etat (investissements d’avenir) et avec la contribution des collectivités (recommandation 42).
Le Haut Comité définit la démarche "EGAliTER" comme une "démarche globale d’action publique visant à atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes sur l’ensemble du territoire et reposant sur six piliers (portage politique, formation, ciblage des crédits, coordination et animation, innovation sociale, évaluation)".