Certificats d’économies d’énergie : la Cour des comptes plaide pour une réforme structurelle d’ampleur
"Certificats d'économies d'énergie : un dispositif à réformer car complexe et coûteux pour des résultats incertains"... le titre du rapport de la Cour des comptes dédié aux CEE sur sollicitation de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, ne laisse guère place au suspens. Des évolutions structurelles profondes sont nécessaires, selon les magistrats de la rue Cambon, qui proposent outre une participation accrue du Parlement dans la définition des paramètres du dispositif, de mettre un terme aux pratiques de bonification et de financement des programmes et de redéployer les efforts de lutte contre la fraude en amont des dépôts de dossiers.
Le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) "ne peut perdurer sans réforme d’ampleur", a martelé la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, Inès-Claire Mercereau, lors de la présentation en commission des Finances de l’Assemblée nationale, ce 17 septembre, des conclusions d’une enquête dédiée très attendue, relevant les fragilités d’un mécanisme atypique "de plus en plus complexe", "coûteux pour les ménages", et "aux résultats réels incertains".
Précédant la publication du rapport, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a lancé la veille un appel à programmes inédit pour l’évaluation du dispositif. D’autant que le Conseil d’analyse économique (CAE) avait déjà jeté un pavé dans la mare en proposant dans une note sur l’efficacité énergétique des logements, publiée en juin dernier, le remplacement des CEE par une contribution des distributeurs d’énergie abondant directement le budget de MaPrimeRénov’.
"Au vu des défauts et anomalies relevés par la Cour, la suppression du dispositif des CEE pourrait être envisagée, à l’instar du choix fait par le Danemark", reconnaît la rue Cambon, qui s’est déjà penchée sur le sujet à plusieurs reprises (en 2013 et 2016), et après elle l’Ademe (en 2019) et les inspections générales (2020).
D’autres modalités d’organisation du dispositif sont également esquissées par le rapport, comme la transformation des CEE en fonds budgétaires, le ciblage du dispositif sur un seul public (soit sur les ménages précaires, soit sur le secteur des professionnels, des bailleurs sociaux, et des collectivités) ou la transformation en certificats carbone. Avec "un mix possible" des différentes solutions présentées, à la fois une concentration du dispositif et une budgétisation, si le législateur optait pour son maintien, pour atteindre les objectifs de réduction des consommations d’énergie, souligne Inès-Claire Mercereau. Si la Cour n’y va pas avec le dos de la cuillère sur les constats, ses recommandations sont dosées. Ces scénarios "requièrent tous des analyses plus approfondies avant d’être mis en œuvre", insiste-t-elle.
Une facture salée de 6 milliards d’euros…
Le dispositif des CEE, qui s’est imposé comme l’outil central des politiques de maîtrise de la demande en énergie, aurait permis d’économiser plus de 106 TWh de consommations d’énergie finale en 2020 (soit 6,5% de celles-ci) grâce aux opérations financées depuis 2014. Le niveau d’obligation imposé aux entreprises assujetties au dispositif des CEE, qui dépend de leur volume de ventes d’énergies, a été multiplié par 3,5 depuis 2015, et pour l’essentiel consacré à la rénovation énergétique des bâtiments (74% des CEE), alors que le secteur des transports est peu soutenu.
L’accroissement ininterrompu des objectifs d’économies d’énergie assignés au dispositif par l’État se traduit par son renchérissement, avec un coût de l’ordre de 6 milliards d’euros par an en moyenne pour les années 2022 et 2023. Chaque MWh de CEE produit coûte désormais autour de 7,4 euros pour un obligé (contre 4 euros au démarrage du dispositif). Et ce coût croissant associé aux CEE est supporté in fine par les ménages et les entreprises du secteur tertiaire, s’apparentant à une taxe sur l’énergie. D’après la Cour, en 2023, chaque ménage a ainsi, en acquittant ses factures d’énergie, "financé à hauteur de 164 euros en moyenne le dispositif, soit un peu plus de 4% de ces factures".
L’Union européenne ayant rehaussé ses ambitions climatiques pour 2030 avec le paquet "Fit for 55", la France s’apprête à accroître son effort afin de réduire sa consommation d’énergie finale de 30% en 2030 par rapport à 2012, soit une baisse de 400 TWh. Une consultation publique conduite à l’été 2023 pour préparer la 6e période du dispositif CEE (2026-2030) suggère un doublement du niveau d’obligation. La Cour tire la sonnette d’alarme : "si on allait jusqu’au bout, le coût moyen pour un ménage, qui était de 164 euros sur sa facture, pourrait monter aux alentours de 500 euros dans une fourchette basse". Et pointe une contradiction : "aucune réflexion d’ensemble n’a été menée sur l’articulation de ce dispositif, dont les effets sont inflationnistes, avec les mesures prises pour limiter les effets de la hausse des prix de l’énergie".
…pour une efficacité incertaine
La principale faiblesse du dispositif réside dans l’incertitude qui entoure ses résultats réels. Les résultats affichés surévalueraient les économies d’énergies réalisées en 2022 et 2023 d’au moins 30%, selon les estimations de la Cour. L’effet incitatif propre du dispositif est en outre délicat à apprécier, dans la mesure où les CEE sont souvent cumulés à d’autres aides, en particulier MaPrimeRénov’ et le fonds chaleur. D’après l’évaluation de l’Ademe réalisée en 2019, un effet d’aubaine de l’ordre de 20% serait également à prendre en compte. Ainsi, la Cour estime que "les économies d’énergies imputables aux CEE ne représenteraient au mieux plus qu’un tiers des certificats délivrés".
Plus grave encore, le dispositif est toujours miné par les fraudes persistantes, en particulier dans le secteur du bâtiment, posant aussi la question de la réalité des économies obtenues. Pour remédier à ces défaillances, la Cour préconise d’asseoir le dispositif sur les économies d’énergie réelles et d’en publier les résultats et de mettre en plan d’action renforcée de lutte contre la fraude aux CEE, pour favoriser notamment l’automatisation des contrôles et des sanctions rapides. Il suffirait aussi, note le rapport, d’inclure, dans les dossiers de demande de certificat, les informations essentielles à l’évaluation du dispositif (montant des travaux ou équipements financés, montant des autres aides obtenues, nombre de ménages concernés, etc.). Pour la Cour, il convient de renforcer les études de gisement préalables et les évaluations en y consacrant une part du coût total du dispositif. "C’est à cette condition que pourront être définis des objectifs atteignables à un coût raisonnable pour les ménages et les entreprises", remarque-t-elle.
Simplifier et mieux encadrer
A cette effet, la Cour propose sur le volet gouvernance de soumettre au Parlement le niveau précis d’économies d’énergie pour chaque période quinquennale dans la loi portant la stratégie française pour l’énergie et le climat, et d’arrêter les paramètres structurants du dispositif dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). "Le manque de transparence des processus décisionnels et des données ainsi que l’instabilité chronique des règles créent les conditions d’une défiance des acteurs et fragilisent le dispositif en limitant la structuration des filières professionnelles concernées et en fragilisant l’émergence d’un marché", expliquent les magistrats.
Depuis 2018, plus de 80 arrêtés et décrets ont été publiés auxquels il faut ajouter les 204 arrêtés liés aux programmes. Les modalités de mise en œuvre varient fréquemment, notamment pour inclure des objectifs supplémentaires comme le soutien aux ménages précaires (CEE précarité), des programmes de formation ou d’innovation, ou des bonifications au profit de certaines opérations comme le changement de chaudière ou l’isolation des combles. Des variables d’ajustement, qui éloignent le dispositif de son esprit originel, biaisent les résultats et favorisent les comportements opportunistes. La Cour en fait son cheval de bataille et appelle en particulier à proscrire les "coups de pouce" et à supprimer le financement des programmes "car ils n’ont pas de lien direct avec des économies d’énergie et s’apparentent à une débudgétisation".