Budgets verts des collectivités : la dynamique est là mais la réorientation des dépenses reste limitée

Selon une étude d'I4CE publiée le 12 octobre, une "dynamique autour de la budgétisation verte" au sein des collectivités territoriales se met en place, quatre ans après les premières expérimentations. Les collectivités interrogées jugent que le principal apport de la démarche est d'institutionnaliser et de systématiser des moments d’échanges sur les enjeux environnementaux lors des discussions budgétaires. Mais la réorientation des dépenses qui peuvent l’être est encore limitée.

Le jour même où Bercy publiait le "budget vert" de l'État (lire notre encadré ci-dessous), I4CE (Institut de l'économie pour le climat) dévoilait, le 12 octobre, un bilan de la budgétisation verte au sein des collectivités, quatre ans après les premières expérimentations menées en la matière.

Fondé sur les témoignages de collectivités, recueillis via des questionnaires ou des entretiens, l'étude constate d'abord qu'une dynamique autour de la budgétisation verte se met en place. En quatre ans, une centaine de collectivités territoriales de toutes tailles et de tous échelons se sont lancées dans la démarche ou vont le faire : 11 des 13 régions métropolitaines, au moins 12 départements et un tiers des communes ou intercommunalités de plus de 100.000 habitants. Si les collectivités de grande taille sont celles qui se sont lancées les premières dans la démarche, des expérimentations sont également menées dans de petites collectivités, note I4CE. 6 sur les 14 collectivités de moins de 10.000 habitants ayant répondu à l'enquête et 10 sur les 29 collectivités entre 10.000 et 30.0000 habitants font déjà ou projettent de faire un exercice de budgétisation verte, relève l'étude.

Analyse des enjeux d'atténuation du changement climatique

D'après l'enquête, les exercices de budgétisation verte se concentrent pour le moment sur l’analyse des enjeux d’atténuation du changement climatique et se limitent le plus souvent au budget primitif de la collectivité. Impulsé dans la plupart des cas par une volonté politique, le lancement d'une budgétisation verte poursuit majoritairement quatre objectifs : " transversaliser" les enjeux environnementaux à l’ensemble des services, communiquer sur les efforts environnementaux de la collectivité, objectiver son action environnementale et ajouter un critère environnemental lors des arbitrages budgétaires.

L'étude montre que le principal apport de la budgétisation verte est d’institutionnaliser et de systématiser des moments d’échanges sur les enjeux environnementaux lors des discussions budgétaires. "Dès lors, un exercice de budgétisation verte doit être davantage considéré comme un outil de pilotage stratégique interne ou une démarche managériale visant à l’appropriation des enjeux environnementaux par l’ensemble des directions, au niveau des services et des élus, que comme un instrument budgétaire stricto sensu ou un outil de reporting", estime I4CE. D’autres usages sont également favorisés par la budgétisation verte comme le fait d’apporter de la transparence sur les efforts budgétaires et environnementaux de la collectivité.

Faible impact dans la construction et les arbitrages budgétaires

Mais au vu des retours d'expérience, la prise en compte des résultats de budgétisation verte dans la construction et les arbitrages budgétaires, c’est-à-dire la réorientation des dépenses qui peuvent l’être, est encore limitée, relève I4CE. Ainsi, les entretiens avec les collectivités ont fait remonter peu de cas où une dépense considérée comme "défavorable" aurait été remise en cause sur la base de ce seul critère ; l’inverse est vrai également concernant des dépenses "favorables" qui auraient été priorisées grâce à la démarche. "La mise en place encore récente et imparfaite de l’outil dans la plupart des collectivités rencontrées explique probablement sa sous-utilisation à ce jour comme outil décisionnel", analyse I4CE. "Pour autant, ajoute l'institut de recherche, les personnes interrogées considèrent que l’outil 'budget vert' pourrait aider à de tels arbitrages, à la condition qu’il existe une volonté politique et que les résultats soient disponibles suffisamment tôt dans le processus budgétaire." Pour I4CE, l’utilisation qui est faite de ces résultats devra être suivie dans les prochaines années, en particulier au moment de l’élaboration des nouveaux projets de mandat, moment clef de définitions des projets d’une collectivité, en particulier en investissement.

Dix facteurs de succès à intégrer

Selon les collectivités rencontrées dans le cadre de l'étude, dix facteurs de succès peuvent concourir à faire des résultats de budgétisation verte un critère d’arbitrage et une aide à la décision. Plus d'un tiers des collectivités recommandent d'abord "un portage politique et administratif de haut niveau".  Ensuite, il faut anticiper le temps que l'exercice - très chronophage à son lancement – demandera aux agents qui la pilotent, sans oublier les échanges nécessaires avec l'ensemble des directions. Autre facteur de réussite couramment cité : faire œuvre de pédagogie en expliquant les objectifs et limites de l’outil de budgétisation verte auprès des élus et des services. Un tiers des collectivités interviewées recommandent également d'associer l’ensemble des services et élus à l’exercice dès le lancement de la démarche et lors de toutes ses étapes. Les répondants estiment aussi nécessaire de s’appuyer sur un binôme entre les directions "transition écologique" et finances, et si possible avec l’appui des élus respectifs. 

Ils recommandent également de réaliser la budgétisation verte en amont des arbitrages pour discuter les résultats au moment de la prise de décision et d'intégrer l’exercice de budgétisation verte à toutes les étapes de la vie d’un budget, de la prévision à l’exécution puis l’évaluation. Ils se prononcent aussi pour la réalisation d'une budgétisation verte au moment de l’élaboration des prochains projets de mandatet pour la pérennisation de l’outil sur plusieurs années. Ils plaident pour la transparence sur la méthodologie utilisée "qui se doit d’être robuste et objective. Enfin, ils jugent qu'il faut "associer un maximum les partenaires externes" et "combiner la budgétisation verte avec les autres outils déjà existants pour faciliter la remontée d’informations nécessaires à sa réalisation".

 
  • Bercy se targue d'un "budget vert" en hausse en 2024

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une hausse "inédite" des dépenses favorables à l'environnement, s'est félicité le gouvernement en présentant l'évaluation de son "budget vert" ce 12 octobre. Les dépenses de l'État dites "vertes" passent ainsi, hors plan de relance et mesures exceptionnelles, de 32 milliards d'euros cette année à 38,6 milliards l'an prochain selon Bercy, qui publie pour la quatrième fois un "budget vert" annexé au projet de loi de finances (PLF).

Ce document évalue l'ensemble des 569,7 milliards d'euros de dépenses budgétaires et fiscales inscrits dans le PLF pour 2024, et les classe "favorables", "mixtes" ou "défavorables" en fonction de leur impact sur l'environnement. Seule une partie des dépenses inscrites au budget de l'État est répartie selon ce classement, les "trois quarts" d'entre elles, dont les retraites ou les dépenses dans l'éducation, étant considérées comme "neutres", c'est-à-dire sans impact significatif sur l'environnement, indique-t-on au ministère de l'Économie. D'autres encore, comme celles liées à la dématérialisation des services publics, sont "non cotées" car elles ne peuvent être évaluées "de manière consensuelle", selon Bercy. Les dotations aux collectivités territoriales échappent elles aussi à la cotation "On ne peut pas savoir ce que les collectivités en font, c'est là tout l'enjeu de la démarche de budget vert que l'on voudrait voir généralisée parmi les collectivités ainsi que chez les opérateurs de l'Etat", explique-t-on à Bercy.

Tout en saluant l'"effort de transparence" de l'État, la Cour des comptes avait, dans un rapport publié fin juillet, relevé "les limites" de cet exercice du "budget vert", "seules 10% environ des dépenses" faisant l'objet d'une cotation environnementale "non neutre". Cela interroge "le caractère opérationnel" du document pour les décideurs publics à court terme, avait relevé la Cour.

Parmi les dépenses du PLF 2024 "favorables" à l'environnement, en hausse de 6,6 milliards d'euros sur un an, on retrouve le soutien à la rénovation énergétique des logements, notamment à travers le dispositif "Ma Prime Rénov'", le plan d'investissement France 2030 ou encore les "mobilités" vertes.

Les dépenses dont l'effet environnemental est considéré comme "mixte" augmentent elles aussi, passant en un an de 2,7 à 3,1 milliards d'euros. Elles concernent par exemple la prime à la conversion des véhicules polluants et les tarifs particuliers pour les agrocarburants, explicite Bercy. Celles ayant un impact "défavorable" sur l'environnement s'élèveront, hors mesures exceptionnelles, à 11 milliards d'euros, un chiffre stable par rapport à 2023.

Une diminution de 20 milliards d'euros des dépenses "brunes" (défavorables à l'environnement) est prévue dans le PLF 2024 par rapport au budget 2023, en raison de "l'extinction" de certains boucliers tarifaires mis en place pour faire face à la hausse des prix de l'énergie.